L’AF447 suscite de nouveaux dommages collatéraux.
Il faut toujours regarder la télévision avec détachement, ne pas prendre pour argent comptant les affirmations de spécialistes qui n’en sont pas toujours, éviter de se laisser embarquer par une mise en images qui utilise des méthodes plus raffinées, plus trompeuses qu’on pourrait le croire. Cala étant dit, dimanche soir, sur France 5, le pire ne s’est pas produit et il est sans doute préférable que cette chaîne du service public ait pris les devants. Elle a ainsi coupé l’herbe sous les pieds de ses concurrentes, moins sérieuses.
Malgré cela, on s’y perd un peu. Fabrice Amadeo, qui a réalisé avec Véronique Préault cette émission de Galaxie Presse diffusée en «prime time », est journaliste au Figaro, et non pas à France 5, et a publié en mai 2010 un brûlot intitulé «La Face cachée d’Air France», travail fouillé, certes, mais qui n’est pas apparu comme un exemple d’objectivité. Amadeo a évidemment attiré l’attention, suscité à cette occasion de sérieuses inimitiés et, pour dire les choses en termes mesurés, s’est brûlé les ailes du côté des personnels navigants et de la direction de la compagnie. D’où l’incident que nous avons évoqué récemment, c’est-à-dire le refus spontané de certains membres du personnel navigant distribuer Le Figaro aux passagers, un acte de rébellion évidemment très remarqué.
France 5 avait suscité l’inquiétude, aussitôt annoncée la diffusion de cette enquête. Nous voici à peu près rassurés. Le postulat : Air France a subi trois accidents en un peu moins de 10 ans et c’est trop. Là-dessus, tout le monde est évidemment d’accord. Le choix des intervenants était néanmoins judicieux, avec les inévitables visages floutés et les voix masquées et, heureusement, des visages découverts, des remarques sensées, d’autres qui l’étaient moins.
Les idées reçues étaient tout autant inévitables et elles le sont restées. Oui, Pierre-Henri Gourgeon, DG d’Air France, Noël Forgeard, ancien président d’Airbus et Paul-Louis Arslanian, directeur du BEA jusqu’en 2009, ont bien fait partie de la même promotion de Polytechnique. Mais il est un peu facile d’y voir une preuve supplémentaire de consanguinité au sein du microcosme aéronautique. Et il n’est pas justifié d’affirmer que les enquêtes du BEA sont hermétiques et se déroulent sans l’indépendance requise. Mais ce sont là de grands classiques…
Finalement, France 5 a conforté les téléspectateurs dans le sentiment qu’il y a eu perte de vigilance, au sens le plus large du terme, que la psychologie du pilotage a été négligée, une ambiance qui a imperceptiblement créé chez certains une forme subtile de surconfiance. Un intervenant a utilisé l’expression «suffisance des pilotes», peut-être justifiée pour une infime minorité d’entre eux. Cela étant dit, Air France aurait pris le virage de la sécurité : la formulation n’est pas nécessairement appropriée.
De toute manière, l’accident du Rio-Paris du 1er juin 2009 n’a pas fini de défrayer la chronique. Le pire est sans doute à venir et, en attendant le rapport final du BEA à la mi-2012, le débat sera relancé, à coup sûr, par d’autres enquêtes journalistiques ou encore des ouvrages qui diront peut-être noir sur blanc ce que personne n’a vraiment envie d’entendre. Ainsi, dans le dernier numéro de l’excellente revue bimestrielle «Piloter», on remarque une publicité de l’éditeur Altipresse qui annonce la publication imminente de deux ouvrages «prometteurs».
Le premier, qui paraîtra simultanément en France et aux Etats-Unis, est dû au journaliste d’investigation américain Roger Rapoport, «Le Mystère du vol Rio-Paris», ouvrage présenté comme une enquête parallèle évoquant les failles techniques constatées dans la recherche de l’épave de l’A330 d’Air France et «les carences d’un système dont les rouages sont souvent grippés». Est annoncé, simultanément, le cinquième tome de la série «Erreurs de pilotage» de Jean-Pierre Otelli. La publicité d’Altipresse précise qu’on y lira «tous les détails» sur ce qui s’est passé lors de la catastrophe du Rio-Paris. Connaissant les compétences de l’auteur, on peut estimer que la promesse est crédible.
Dans le même temps, les avocats des familles d’un certain nombre de victimes du vol AF447 ont écrit au juge d’instruction chargé de l’enquête judiciaire pour critiquer vertement la manière de faire du BEA. Ce dernier serait accusé, là encore, de ne pas témoigner d’une indépendance suffisante et, pire, de servir les intérêts d’Airbus. Il y a là matière à polémique, c’est le moins que l’on puisse dire. Oui, décidément, le pire est à venir.
Pierre Sparaco - AeroMorning