Lettre sans correspondance 5

Publié le 26 septembre 2011 par Xavierlaine081

 

Allez, une petite dernière avant que ne retombe le soufflet, si vite, si vite ! 

On parlait hier, entre gens de bon aloi de la responsabilité de l’écrivain : mais nul ne songe à mesurer celle-ci à l’aune d’une maigre rémunération (quand elle existe), et nul ne parle de celle, très lourde de ces groupes financiers qui détiennent désormais presque tout le paysage éditorial français, y compris la distribution du livre et dont les publications ne doivent être que l’occasion de toujours plus de dividendes. 

Messieurs Lagardère et compagnie peuvent dormir sur leurs deux oreilles : on aura fait croire une fois de plus à la liberté d’écriture et de publication quand ce n’était que son apparence. 

Cruel système qui sait se doter des paravents de l’esprit pour mieux cacher ses manières peu amènes. 

Alors, voilà, hier ne m’a laissé aucun temps, sinon celui de recevoir sur ma terrasse deux amies de la marge littéraire. Car voyez-vous il vaut mieux aujourd’hui écrire dans la marge le reste de la page étant occupé par d’autres futilités. Et nous avons tenté de repeindre le monde, de partager nos soucis, nos silences, et le plaisir d’un thé. 

Le ciel était devenu gris. Nous avons dégusté l’instant, un peu tristes de devoir constater que notre genre ne trouvait plus sa place, et que les véritables romanciers était peut-être eux aussi bien cachés dans les souterrains d’une liberté confisquée. 

Et puis vint le soir, la nuit, le matin. Je larguais encore un peu de mon blé chez mon libraire pour quelques livres pas encore lus, mais ça viendra. 

J’ai cherché une table de bistrot avec difficulté : étrange sentiment que ces terrasses fermées car dimanche alors que les Moi-je/Moi-je étalent encore leur vie sur les estrades, devant maigre public. 

Etrange sentiment qui, devant la fontaine, m’aurait presque fait verser quelques larmes de désespoir de voir ma ville si peu ouverte à ce qui aurait pu être réjouissance. 

Et puis je regardais cette jeunesse, si belle, réquisitionnée pour le ballet de maintenance, son ruban rouge signé Télérama autour du cou, qui papote sur des places placées sous sourdine. 

Etrange, vous dis-je, ce feutre qui couvrait les rues, étouffant les pas et les voix, et ce gris du ciel qui se faisait encore plus lourd. 

J’écrivais sans trop d’enthousiasme quelques cartes, que la poste acheminera, pour une fois sans que j’ai à débourser le timbre (comme quoi, la gratuité est parfois possible), et je rentrais penaud. 

Plus tard, le Moi-je/Moi-je en chef de la maison Gallimard donnait son sentiment sur tout, Place de l’Hôtel de ville. Le parterre des affidés coudoudés l’écoutait religieusement. 

Au loin, de l’autre côté de la Durance, le noir des nuées se mettait à gronder, signifiant le terme des réjouissances. 

Plus tard encore, mon fils vint en larme me rejoindre, déçu de n’avoir pu profiter plus et mieux des festivités. Alors nous sommes retournés, traînant nos deux cœurs gros, en quelques écritoires, pour d’ultimes missives, à nos frais celles-ci car déjà on s’activait pour effacer toutes trace de la fête. 

L’Ecrivain local traînait son pas désabusés sur la place vide. Nous nous sommes salués de loin. Ma ville a le don de refroidir très vite le soufflet, pour qu’il redescende au fond du plat. 

Dès demain on oubliera tout. On passera à autre chose et le chiffre vertigineux de ces quelques jours reviendra à son cours normal, c'est-à-dire à peu de chose. 

Reste à espérer que quelques lecteurs auront pu être contaminés du virus de la lecture. 

Et qu’un jour peut-être nous sachions mobiliser quelques forces positives pour ouvrir d’autres perspectives, posant la vraie question qui est de notre responsabilité : c’est quoi le rôle et la place d’un écrivain, dans une société gagnée par la gangrène du profit et de son pendant de misère ? Qui sont les Hugo, Balzac, Verlaine, Rousseau ou Voltaire de ce siècle ? Ceux-là seraient-ils invités, aujourd’hui, au bal des faux semblants ? 

Mon âme, ce soir, est aussi grise que le ciel. L’envie de fuir ce monde, d’écrire sans autre volonté que laisser les mots filer au bout de mes doigts m’oppresse. 

Je ne sais vous, mais moi, j’ai le sentiment qu’au fond, l’écrivain est bien peu de chose dans le monde de la littérature, et que l’essentiel est résolument ailleurs, justement là où personne ne veut regarder. 

Xavier Lainé

Manosque, 25 septembre 2011