Les derniers évènements tragiques où plusieurs joueurs considérés compulsifs se sont suicidés sont le symptôme d'un malaise structurel social beaucoup plus grave. Selon les études du bureau du coroner au Québec, 33 suicides dus au jeu se sont déjà produits en 1999, et pour reprendre la fameuse phrase, si la tendance se maintient, le portrait sera de moins en moins reluisant dans le futur. L'engagement des Ministres Gilles Baril et Agnès Maltais dans ce dossier est indéniable dans leur volonté sincère de régler certains aspects de ce problème social complexe. D'ailleurs, l'injection récente de vingt millions de dollars dans le champ du gambling témoigne de cette réalité.
Le jeu a toujours existé, oui mais…
Il n'y a aucun doute que la passion du jeu est vieille comme le monde. Le gambling, sous une forme légale, organisée ou pas, a été présent à travers l'histoire de l'humanité. Si le gambling a toujours fait partie de la condition humaine, l'engouement actuel envers ce type d'activité dépasse l'entendement social. L'histoire des législations sur le gambling constitue une source précieuse d'informations dans la saisie des repères ayant marqué la situation actuelle à travers le monde. À titre d'exemple, ce n'est qu'en 1931 que le jeu est officiellement légalisé à Las Vegas dans l'État du Nevada. Il faut rappeler que le contexte de la dépression économique de la fin des années vingt, constituait un facteur important dans le recours au jeu comme une stratégie de sortie de la crise. Depuis cette date, le modèle du Nevada est devenu la norme à travers le continent Nord-Américain et le reste du monde dans la mise en place des lois et règlements visant à implanter des casinos et des espaces de jeux.
Déjà durant les colonies en Amérique du Nord, les divergences entre les tenants du discours moral visant à dissuader les activités de gambling, versus ceux qui prêchaient le développement économique à travers les jeux de hasard, étaient déjà très apparentes. Les premières lois et règlements dans le nouveau monde étaient véhiculés par les Puritains et reflétaient grandement la protection des valeurs sacrées de l'Éthique Protestante. En 1660, les parieurs étaient punis durant les colonies et étaient sujets au fouet en public. Ainsi, on dénoncait le fait que, si quelqu'un était capable de gagner de la richesse sans travailler, la valeur du travail en serait alors minée. Dans cette optique, le recours au sort et au jeu arbitraire était prohibé comme une violation des Saintes Écitures et jusqu'en 1860, les lois anti-gambling dominaient la plupart des États. Ceci étant, le double standard devint la norme. Ainsi, en 1889, la loterie de l'État de Louisiane aux Etats-Unis, par exemple, est dénoncée comme un mal par des prêtres religieux méthodistes, alors que d'autres loteries étaient permises pour construire des routes, revitaliser des villes et leurs systèmes publics d'aquaduc ou pour faire des dons aux grandes universités telles Harvard, Yale, Princeton, Rutgers, Kings College et Dartmouth. D'une part, le jeu était donc perçu comme un danger et une source potentielle de désordre social, de l'autre, des accommodements et des exceptions étaient accordées selon les circonstances et le pouvoir des acteurs sociaux et politiques en présence.
Ce contexte s'apparente quelque peu à celui vécu en Amérique du Nord dans le cas le la prohibition de l'alcool. D'une part, il y avait la Ligue anti-bar (Anti-Saloon League) au début du 20 ième siècle avec l'appui de grandes corporations, d'industries, de juristes et du clergé à majorité protestante qui faisaient la promotion de la prohibition. Ce mouvement faisait du lobbying sophistiqué et moderne pour cristalliser ses alliances au plan stratégique en 1915. De l'autre, il a fallu attendre 1926 pour voir un mouvement d'opposition à la prohibition avec l'AAPA (Association Against the Prohibition Amendment). Cette organisation était financée par des compagnies telles que General Motors, Dupont Chemicals, American Telephone and Telegraph, Pacific Railroad, General Electric, Boeing Aicraft, U.S. Steel, etc. Ce n'est qu'en 1932, la pire année de la dépression, qu'on verra l'abolition de la prohibition. Ce qu'il faut souligner dans le cas de l'alcool, c'est le fait important que les classes ouvrières constituaient une force politique, économique et sociale qui exercait habilement les pouvoirs qui lui étaient accordés dans le "jeu politique". Alors que les populations issues des classes défavorisées sont en proportion les plus touchées par les problèmes psychosociaux et économiques liés au gambling, on ne peut parler, à ce stade-ci, de poids politique et social de la part de ces groupes.
Quant au mouvement Anti-Gambling durant cette période, il a été fondé en 1890 pour graduellement s'éteindre en 1946. Comme organisation visant à légitimer idéologiquement les actions législatives des gouvernements en place, ce mouvement avait réussi à amener sur la place publique l'idée qu'il fallait prohiber le gambling et éduquer le peuple pour des activités de loisirs autres que le gambling. Il faut rappeler que, comme avec l'alcool en Europe et en Amérique du Nord à la même période, les interventions gouvernementales en alliance avec les grandes corporations de l'époque, visaient prioritairement un contrôle des agirs des classes ouvrières, celles-ci étant vues comme la main-d'oeuvre moteur à préserver pour la réussite de l'industrialisation. Comme illustration de ce contrôle social des classes ouvrières, mentionnons le nombre d'arrestations policières à Manchester City, par exemple, où la majorité des dossiers montraient des citoyens issus de ces classes sociales.
Il a fallu attendre le 20 ième siècle, avec la littérature principalement d'inspiration psychanalytique, pour voir émerger l'idée du gambling comme une pathologie mentale. Rappelons que le gambling dans les années 50 était considéré comme une activité illégale avec une prévalence de la loi et et de la religion. À l'exception des casinos de Las Vegas et certaines églises Catholiques, ce type de discours concevait donc le gambling comme une activité rationnelle effectuée par le joueur avec une entière intentionnalité et conscience. À part deux auteurs dans la littérature psychiatrique qui avaient fait référence à la manie du gambling ("gambling mania") au début du siècle, c'est avec Bergler en 1936 et 1958 et Rosenthal en 1985 et 1987 que le gambling excessif est considéré comme une forme de désir inconscient de perdre et de masochisme psychique. Plus exactement, c'est en 1943 que Edmund Bergler écrit un article intitulé" le gambler: un névrosé incompris dans la revue Criminal Psychopathology. Cet article allait marquer le début d'une nouvelle conception du gambling et stimuler plusieurs autres publications qui allaient être des repères historiques dans l'expansion du modèle médical appliqué au gambling. De l'analyse freudienne de Dostoevsky à l'étude psychodynamique du gambling, les années 40 et 50 allaient être marquées par l'introduction de la pensée de Bergler jusqu'en 1958 avec son livre classique intitulé" The psychology of Gambling. Au dèlà de la faiblesse génèralement associée au gambler sur le plan moral, Bergler défendait l'idée que le gambler souffrait d'une névrose accompagnée d'un désir inconscient de perdre, et situait cette condition en dehors du cadre du vice et du pêché. Compris donc comme une manifestation d'une maladie intrapsychique, le gambler remplissait graduellement le rôle de la personne malade dans le sens de " sick role" de Parsons. Tel qu'avec Jellinek dans la construction sociale de l'alcoolisme, nous assistons avec le gambling à une transformation similaire où l'étiquetage du gambler pathologique s'inscrit comme une maladie de l'esprit (disease of the mind). En bref, ce qui était considéré auparavant comme un pêché, un vice, un comportement déviant et une industrie hors-la-loi, est aujourd'hui compris comme une pathologie psychiatrique teintée d'une perte de contrôle et de compulsion. De plus, et dans la mesure où un comportement est considéré socialement comme indésirable ou déviant par les groupes de personnes qui ont généralement le pouvoir de définir ce qui est socialement acceptable et ce qui l'est moins, ne peut-on pas dire que le problème du jeu dit compulsif relève plus d'un construit social et historique que le produit d'une pathologie de nature individuelle?
Et l'État dans tout ça
D'un point de vue économique, il ne fait pas de doute que les jeux de hasard représentent une occasion d'enrichissement pour divers groupes financiers publics et privés qui excellent dans le " marketing social " et dans la promotion des espaces de jeux présentés comme une occasion unique de développement économique et touristique. Dans ce contexte, le gambling est présenté comme une forme légitime de divertissement, un catalyseur pour le développement économique, une source de revenus pour divers paliers de gouvernement et un outil pour la création d'emplois pour plusieurs communautés. Ainsi compris, et en l'espace de quelques décennies, nous assistons à une augmentation sans précédent de l'accès à des formes légales de gambling dans le continent Nord-Américain. Légitimé comme une activité de loisir acceptable au plan social et classifié comme une maladie par l'Association Américaine de Psychiatrie en 1980, le gambling a, depuis cette période, été une source exceptionnelle de revenus pour les États, l'industrie privée des casinos et certaines communautés autochtones. En réponse à des coupures budgétaires par les gouvernements fédéraux, et suite à un certain déclin de revenus de taxes au plan provincial, le processus de légalisation des jeux de hasard s'est mis en branle avec une grande rapidité. Au Canada, c'est en 1969 qu'une réforme du code criminel permet la légalisation des jeux de hasard par les provinces. Déjà en 1996, le rapport de congrès national du bien-être social révélait que plus de la moitié des Canadiens s'étaient adonnés au jeu occasionnellement avec un nombre significatif de personnes sur une base hebdomadaire.
Selon plusieurs sources, les montants dépensés dans les activités de jeux de hasard au Canada sillonnaient entre 20 et 30 milliards de dollars, dont 4.6 milliards sous forme de loteries, alors qu'aux Etats-Unis les montants d'argent légalement investis dans cette industrie depuis vingt ans ont augmenté de 3000 %. À titre d'exemple, les Américains ont dépensé la somme de 586.5 milliards de dollars dans les activités de gambling durant l'année 1996 seulement.En ce qui a trait au domaine de la création d'emplois, cet essor s'est traduit également par une augmentation de la main d'oeuvre canadienne oeuvrant dans cette industrie qui est passée de 8262 en 1985, à 24.297 douze ans plus tard. Ce contexte, vu comme favorable, a permis l'ouverture de casinos permanents à l'échelle du pays en Ontario (Windsor, Orillia, Chutes du Niagara, Gloucester), au Québec (Montréal, Hull, Charlevoix) en Nouvelle Écosse (Halifax et Sydney), au Manitoba (Winnipeg), en Saskatchewan (Régina) et dans plusieurs communautés autochtones. Au Québec, l'exercice financier de Loto Québec en 1998-1999 montre un nouveau record de chiffres d'affaires de plus de trois milliards de dollars avec un bénéfice net de 1,2 milliard de dollars pour le trésor public.
S'il y a apparence d'un certain bien-être économique avec l'introduction légale des jeux du hasard, plusieurs individus, organisations et communautés s'opposent à la multiplication des casinos, aux loteries de toutes sortes, aux appareils de loterie vidéo et aux machines à sous. Pour une variété de raisons, qui vont des croyances religieuses aux impacts psychosociaux négatifs auprès des personnes qui développent des problèmes de dépendance, certains voient dans l'étalement des espaces de jeux de hasard une exploitation étatique et privée des plus pauvres, ou comme dirait Eadington une " taxe pour les stupides ". D'ailleurs, des enquêtes menées aux États-Unis depuis une trentaine d'années, montrent que les pauvres investissent un plus grand pourcentage de leurs revenus dans les loteries et autres jeux que les milieux aisés.
En lien avec ces défis, une étude récente de Coram sur le facteur chance selon les classes sociales, conclut que, contrairement aux croyances populaires à l'effet que la chance est égale pour tout le monde, la chance n'a pas le même impact égal sur les riches que sur les pauvres. À partir de tableaux axés sur la distribution de probabilités, Coram démontre bien que les probabilités de se ruiner avec le jeu sont plus plausibles à l'intérieur d'une seule génération pour les pauvres alors que cela prend plusieurs générations pour les classes sociales plus favorisées et qu'elles sont de 30% pour les pauvres et d'un peu moins de 8% sur 1000 pour les riches. Ce constat est bien reflété dans la réalité sociale de ce début de troisième millénaire dans le champ du gambling. En effet, nous remarquons que les groupes sociaux ayant développé la dépendance aux jeux de hasard se recrutent principalement auprès de catégories sociales à faibles revenus avec une plus grande exposition de leurs symptômes dans les espaces sociaux publics, les groupes plus aisés préférant emprunter des trajectoires plus privées dans les tentatives de solution aux même problèmes.
Il y aurait également des conséquences négatives au niveau d'un certain démantèlement des réseaux communautaires et des liens sociaux et familiaux existants, qui peuvent se traduire par un nombre de plus en plus élevé de sans-abris ayant eu une trajectoire de joueurs invétérés, de comorbidité psychiatrique et de tentatives de suicide. Les populations de jeunes, de femmes, d'autochtones et des aînés seraient également les groupes sociaux qui sont les plus touchés par l'augmentation et l'incidence des jeux de hasard.
De plus, la dépendance mixte au jeu, à l'alcool ou aux drogues en contexte de gambling, produirait une prévalence qui serait 5 à 10 fois plus élevée dans une population de joueurs pathologiques en traitement que dans la population en général. Dans cette perspective, une étude en Alberta révèle un taux de 63,3 % d'alcooliques parmi les joueurs pathologiques, comparativement à 19% dans le reste de la population et 23,3 % des individus ayant un problème de jeu sont également toxicomanes, comparativement à 6,3 % au sein de la population en général. L'intensité du jeu serait également corrélée à l'usage abusif du tabac et à l'état d'ébriété auprès de jeunes adultes universitaires.
Un autre indicateur important de ce malaise social croissant est celui de l'augmentation impressionnante des demandes d'aide téléphonique par les citoyens. Au Québec, et depuis la création du premier casino en 1993, plus de 22.000 personnes ont eu recours au service téléphonique d'écoute, d'aide, et de référence de nature anonyme et confidentielle. Il faut rappeler que ce service est financé par Loto-Québec et ses filiales, et est assuré par le Centre de Référence du Grand Montréal.
Au plan social et politique, certains voient dans la situation actuelle un signe de " banqueroute politique ", dans la mesure où le débat réel sur une certaine ambiguïté des rôles de l'État n'est pas effectué et ce, en mettant principalement en veilleuse les dimensions sociales sous-jacentes à ce phénomène. Dans cette optique, une étude sur l'impact des casinos dans la communauté de Windsor en Ontario, révèle que les problèmes psychosociaux reliés au gambling sont en forte augmentation depuis les deux dernières décennies. Ainsi, l'augmentation de l'accès aux casinos explique la corrélation d'une plus grande prévalence de problèmes de dépendance au jeu et de comportements considérés comme pathologiques. Déjà en 1976, une étude scientifique à l'échelle nationale du phénomène démontrait qu'à Las Vegas, l'accès généralisé à diverses formes de gambling se traduisait par un taux de dépendance au jeu qui est était trois fois supérieur à la moyenne nationale.
En termes de prévalence, nous remarquons que les taux sont, toute proportion gardée, de plus en plus élevés dans le temps et le sont en corrélation avec le nombre d'années d'exposition dans les communautés respectives, à savoir, plus il y a accès aux jeux du hasard, plus l'incidence augmente. Il faut souligner également le taux de prévalence très élevé de problèmes liés au gambling chez les jeunes et chez les communautés autochtones, ce qui est très préoccupant, certains chercheurs n'hésitant pas à parler d'épidémie silencieuse du jeu. Dans la mesure où les jeunes, par exemple, commencent à s'adonner aux jeux de hasard de plus en plus jeunes et sur une base plus fréquente, et que les autochtones affichent un taux de plus grande prévalence, la tendance ne risque pas de s'amenuiser si des actions collectives et concrètes ne sont pas prises pour adresser clairement les problèmes actuels et futurs auprès de ces populations plus vulnérables.
La situation actuelle soulève des questions d'ordre social mais également d'ordre politique et éthique. En effet, et dans la mesure où les gouvernements impliqués dans la promotion du jeu utilisent des techniques de marketing des plus sophistiquées auprès de groupes sociaux, généralement parmi les plus faibles, sont les mêmes instances qui sont censées protéger les populations et l'intérêt public, nous assistons alors à un double discours teinté de conflit d'intérêt et à des contradictions fondamentales qui méritent d'être soulignées. Dans cette perspective, on peut se poser certaines questions. Jusqu'à quel point les citoyens sont réellement informés des enjeux psychosociaux entourant le gambling? Est-il pensable que les techniques et les stratégies utilisées par les gestionnaires des casinos en vue d'un certain contrôle de comportement des populations fréquentant les casinos soient accessibles aux citoyens et citoyennes? Comment se fait-il que ces pratiques ne sont pas du tout connues du public? Tel qu'avec la question du tabagisme, où l'industrie du tabac a mis en veilleuse les informations précieuses pour les citoyens durant des décennies, il serait louable de faire circuler un certain nombre d'informations qui pourraient contribuer à une certaine prévention de l'incidence telle que nous la connaissons aujourd'hui. À titre d'exemple, on pourrait s'inspirer de certaines méthodes appliquées aux Pays-Bas où le joueur est informé objectivement sur une base continue et invité à soupeser le pour et le contre avant qu'il ne s'adonne au jeu.
En ce qui concerne la classification actuelle de l'abus au jeu comme une pathologie telle que décrite au DSM-IV, l'État s'appuie justement sur cette version qui privilégie la défaillance individuelle plutôt que la co-responsabilité sociale dans la création de conditions propices aux dépendances. Alors que le débat scientifique sur cette question est loin de faire l'unanimité, on n'a qu'à penser aux variances culturelles ou sociales dans le rapport au jeu qui remettent en question fortement le discours associant la dépendance au jeu à une maladie psychiatrique ou à une compulsion accompagnée d'un manque de contrôle, l'État nous présente ce phénomène comme un problème individuel auquel il faut répondre avec des traitements majoritairement axés sur l'individu plutôt que sur son milieu immédiat et son environnement (familles, communautés, etc). Quand on pense aux campagnes de promotion du jeu qui socialisent de plus en plus cette activité, tel qu'avec les autobus des casinos qui offrent des forfaits et des spéciaux, incluant le transport et souvent un repas dans l'enceinte du casino pour les personnes âgées, on peut se poser de sérieuses questions sur la finalité de ces gestes et mouvements. En effet, ces personnes sont prises en charge du début à la fin de la journée dans un but de divertissement géré par le casino, avec comme arrière-plan le fait que ces activités remplacent graduellement les activités sociales communautaires ou de loisirs, autrefois mises sur pied par ces mêmes personnes âgées dans leur propre communauté.
Un autre argument que l'État véhicule dans ce dossier est le fait qu'il assume ses responsabilités quand il s'agit d'investir dans les traitements ou programmes visant les personnes ayant développé des abus, que ce soit les programmes d'auto-exclusion pour les joueurs à problèmes- la revue de la littérature à ce sujet ne montre d'ailleurs pas de résultats concluants face à ce type de programmes- la formation d'intervenants compétents dans ce domaine, la recherche ou l'organisation de campagnes de prévention auprès des jeunes via des productions vidéo, etc. Ces interventions, bien qu'importantes, sont et restent infiniment petites quand on considère l'ampleur du phénomène et la réalité des enjeux psychosociaux et économiques qui s'y rattachent. Sous cet angle, on peut dire que c'est dans une logique de réaction aux problèmes et non de prévention réelle, que l'État intervient dans ce dossier complexe. On ne peut concilier à long terme le double standard et l'ambiguïté des rôles des gouvernements, à savoir de promoteur du jeu avec celui de protecteur des citoyens au plan public, car cela constitue un obstacle majeur à une mise en place d'une politique efficace socialement acceptable et légitime au plan éthique.
À la lumière de ces brèves références, nous remarquons que, malgré le nombre impressionnant de recherches sur le gambling, le regard dominant envers cette condition passe principalement par la pathologie tout en mettant en veilleuse les facteurs macro-contextuels explicatifs de nature politique, historique, culturelle et psychosociale dans la construction d'un tel discours. Cette définition est jusqu'à nos jours la version dominante dans la saisie du phénomène du gambling. Nous observons également que les modes d'usage du gambling et de sa conception varient dans le temps, celles-ci renvoyant à des réactions sociales dans l'espace public qui différent selon les acteurs sociaux en présence, les classes sociales, le contexte économique, historique et politique. Sous cet angle, peut-on penser le gambling comme un problème social qui se construit dans le temps plutôt qu'une pathologie?
En conclusion, on peut dire que l'État se désengage d'une part de ses responsabilités dans la mesure où il présente ce problème social complexe comme relevant d'une défaillance plus individuelle que collective alors qu'il est le principal maître d'œuvre des casinos et des divers espaces de jeu. Tant et aussi longtemps que le débat sur ces aspects n'est pas effectué, nous continuerons à produire de plus en plus de joueurs dits compulsifs, assister à des drames de suicide, de violence familiale, de sans-abris, etc. Enfin, et dans la mesure où le gambling est là pour rester, l'État pourrait, au contraire, accepter cette part de responsabilité et agir en conséquence, c'est-à-dire travailler à réduire à la base cette grande ambiguïté dans son discours et ses actes, car pour le moment, il contribue directement à la production de conditions propices aux jeux et à la vente d'utopies surtout pour les plus démunis au plan social et économique. Comme disait Pfhol les " gamblers malades" n'existent qu'en relation à ceux qui tentent de les contrôler.
Ammon J. Suissa: L'auteur est professeur au département de Travail social de l'Université du Québec à Hull, spécialisé dans le champ des dépendances (alcoolisme, toxicomanie et gambling)
Cet article a été publié la première fois à l'été 2002 et en 2008 sur ToxicoQuébec actualités. Nous le rééditons car son contenu demeure d'actualités
- An to Western culture is more often associated with deviance and criminality (Szasz, 1989). Cannabis constitutes a striking example of these paradoxes insofar as current laws place consumers in a position of deviance and exclusion, even imprisonment. Apart from some cases of tolerance of consumption for health reasons, especially in the case of persons with AIDS, cancer and glaucoma, this is still the status quo in Canada, even though half of all citizens in Quebec, for example, are ready to decriminalize the consumption of cannabis for personal use (Nadeau, 1995; Nolin, 2000). According to recent figures from the Canadian Centre on Substance Abuse (CCSA, 1998), over half of the 63,851 cannabis-related offenses recorded in 1995 were cases of simple possession. Every year, over 2,000 Canadians are imprisoned for cannabis possession, at a cost of $150 per day, and 92% of all