L’allure est douce, régulière, comme on aimerait que soit la vie, une eau calme, au courant continu, maîtrisé, un cours d’eau sans ruptures, sans accidents, sans rapides. L’autoroute se déploie, infini ruban recommencé, réserve inépuisable de kilomètres, circuit d’errance où il oublie la marche et le reste du monde. Elle est devenue son milieu naturel. L’immense ramification n’a pas de point de départ ni d’arrivée, ni d’origine ni de fin, seulement des milliers de points d’entrée et de sortie, des milliers de points intermédiaires. La conduite est facile, les voies se déroulent devant lui, droites ou en courbes larges et relevées, entre les glissières de sécurité.
Il roule. Il tourne dans l’enclos, il tourne dans l’enceinte, dans cet écheveau de centaines de milliers de kilomètres. Parfois il passe une frontière, il le sait à des signes, aux couleurs de la signalisation, au changement de langue sur les panneaux. Le plus souvent il se retrouve en Espagne. Comme si la voiture était attirée vers le bas, par son propre poids, ou la pente du globe, un mouvement vers le sud, vers la lumière, vers la chaleur, vers la fusion. Il ne domine rien. Il n’est plus rien que le jouet du vent, du temps, un véhicule obéissant à une volonté supérieure. Une voiture héliotrope tournant sa fleur de métal vers l’aigu de la lumière.
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Ce petit texte, extrait d’un roman en cours d’écriture, vient de paraître dans le numéro 35 de la revue Microbe. Cette livraison sur le thème « Ministoires de voyages », pilotée par Pascale Arguedas, regroupe des textes courts de Pascale Arguedas, Jean-Christophe Belleveaux, Bernard Collet, Francis Dannemark, Xavier Deutsch, Eduardo Gallarza, Yves Gerbal, Denis Grozdanovitch, Claude Guimin, Jean-Paul Husson, Chantal Pelletier, Claude Pujade-Renaud, Marc Rousselet, Marc Trillard, Christine Van-Acker, Martine Vercruysse et Jean-Michel Verdugo.
Microbe qui, comme son nom l’indique, joue dans la catégorie poids plume des revues littéraires, est animée par Eric Dejaeger et Paul Guiot.