L'Education nationale française qui se prétend le meilleur système au monde avec un effectif comparable à celui de l'ex-Armée
rouge a pour résultats mirifiques : illettrisme et échec scolaire.
Dans son dernier livre, La détresse du petit Pierre qui ne sait pas lire, paru dans la collection Tribune libre chez
Plon ici, Chantal Delsol explique quelle idéologie sous-tend ce système qui
serait parfait.
Il est intéressant de lire ce livre du fait que cette idéologie sévit dans d'autres pays, même si en France elle est pousssée au paroxysme dans ses effets néfastes.
La base de cette idéologie est l'invention d'un enfant qui n'existe que dans le cerveau perverti de ses promoteurs. Le système unitaire français, qui n'autorise pas de penser autrement, a
empêché de se rendre compte que cet enfant inventé était un déni de réalité.
Quel est cet enfant inventé ?
"L'enfant est considéré [...] comme un citoyen à part entière, déjà doté de toutes les capacités et attributs
nécessaires. [...] Il est autonome de nature, et il s'agit seulement de laisser s'épanouir en lui ses capacités."
Cette conception de l'enfant, où l'on refuse de voir en lui "un être en devenir et attendant pour se structurer des modèles adultes" est à l'origine du
déficit d'autorité qui se manifeste à l'école. L'enseignant ne peut plus être un maître que l'enfant respecte parce que :
"On commence par enseigner à l'enfant la liste de ses droits, comme s'il était un adulte
responsable de soi et capable déjà de savoir à quels devoirs l'exposent ces droits. Il est le roi du monde."
Cette idéologie provient de la démocratisation généralisée, supposée s'appliquer à tout. Chantal Delsol montre que la démocratie ne peut s'appliquer qu'à la société civile parce qu'il s'agit
d'une société ouverte qui "transforme ses finalités au gré du temps".
La démocratie ne peut pas s'appliquer à des sociétés fermées qui se donnent des "finalités précises" telles qu'un syndicat, une armée, une église, avec des règles à observer connues à l'avance. L'école est justement une société fermée :
"Elle se donne pour but d'élever l'enfant à une vie adulte et raisonnable en l'insérant dans
le monde culturel qui est le sien."
L'égalité des chances était réelle naguère. Il s'agissait d'offrir à tous les possibilités de s'élever, sans garantie de succès, puisque celui-ci dépendait des talents et des efforts de
chacun. La réussite n'était pas encore devenue un droit pour tous. Il y avait égalité des conditions et non pas des situations :
"L'école républicaine des origines était fondée sur la certitude que tout enfant peut
acquérir un savoir de base, essentiel pour accéder à l'autonomie citoyenne et à la maîtrise de son propre destin."
Petite parenthèse : mon père, né en 1906, n'avait que le certificat d'études. Il avait appris à lire, écrire et compter.
Ce savoir de base lui a permis de réussir professionnellement de manière exceptionnelle, tout aussi bien, voire mieux que son frère qui était sorti d'une grande école.
L'égalitarisme n'a rien avoir avec cette conception de l'égalité des chances puisqu'à l'école "tous sont
censés tout y apprendre", sans tenir compte de la différence des esprits. En conséquence on enseigne d'abord le tout avant les éléments, globalement au lieu de partir du b-a-ba, et les
notes sont proscrites puisqu'elles feraient ressortir les différences.
Le pire est que ce "système égalitaire ne produit pas du tout une société égalitaire, mais un vaste marché noir de la distinction".
Chantal Delsol raconte ainsi comment les plus malins contournent la carte scolaire pour mettre leurs enfants dans les meilleurs établissements.
De même l'égalitarisme conduit à sélectionner les enseignants sur le seul savoir, sans tenir compte de leur pédagogie et de leur vocation... Une fois réussi leur concours ils deviennent
fonctionnaires à vie et ne doivent pas leur avancement à leur mérite, mais à l'ancienneté. Dans ces conditions il faut être très motivé et avoir vraiment la vocation pour accomplir son
devoir...
Le refus de la sélection conduit à un système hypocrite. Il y a d'une part l'élite émoulue des grandes écoles fortement sélectives, de l'autre la masse des étudiants qui sortent d'une
université non sélective sans diplôme - deux tiers des étudiants abandonnent après la première année - ou avec des diplômes sans valeur :
"Il y a une telle différence entre l'université et la vie que, sorti des campus, l'étudiant ne reconnaît plus le monde."
Ce qui alimente son ressentiment et sa révolte... Tout cela parce que l'on refuse d'admettre que la diversité est la loi de la vie. Quand on est bien obligé de l'admettre, on
refuse de lui reconnaître une légitimité...
Les Français sont fâchés avec l'argent et avec l'économie. Ils sont au-dessus de ces contingences matérielles.
L'école et l'université sont donc gratuites pour tous, les moins aisés comme les plus aisés, au nom de l'égalité. Il ne faut pas faire apparaître qu'il y a des nécessiteux, au détriment
d'une réelle solidarité mais au bénéfice des plus aisés. C'est un encouragement à la facilité, à la paresse, à la ruse, à l'indiscipline. Pourtant :
"Ne mérite l'estime que ce qui coûte, pas forcément de l'argent, mais de l'effort."
Dans cet esprit les Français ne refusent pas de recevoir toujours plus de bienfaits gratuits, qu'ils considèrent comme des droits, car ils sont de fervents adeptes de l'Etat-Providence,
responsable pourtant de leur paupérisation :
"Les droits deviennent exponentiels comme l'exigence de recevoir."
Les formations professionnelles sont dépréciées en France :
"Dans ce pays travailler uniquement avec son cerveau est infiniment plus respectable que travailler avec ses mains."
Du coup il y a peu de places dans l'enseignement technique, alors qu'il y a plein de débouchés, et beaucoup de places dans l'enseignement général, alors qu'il n'y a que très peu de
débouchés. La création du collège unique n'a fait que dévaloriser encore plus les filières professionnelles sous prétexte d'égalité.
Le système scolaire français ne fonctionne pas pour la bonne raison qu'il est immense et ingérable :
"On se trouve devant un gaspillage d'argent et de talents, non pas du tout volontaire ni dû à la désinvolture, mais inhérent à l'organisation."
Ce système planifié engendre l'irresponsabilité de ses acteurs et, pour eux, la nécessité de combines telles, par exemple, que le recours au PACS pour être mutés à l'endroit désiré. Tout le
monde en France sait ce qu'il faudrait faire pour y remédier mais, se heurte à l'opposition des personnels de l'Education nationale, idéologues et corporatistes confondus.
Que dit, dans un récent rapport, la Cour des Comptes ?
"Elle réclame la différenciation des moyens d'enseignement, l'accompagnement individualisé, la reponsabilisation des établissements : autrement dit,
l'assouplissement général de la Machine, soit une libéralisation des énergies, des responsabilités et des autonomies."
Pour obtenir cet assouplissement du Mammouth, seraient bénéfiques la mise en concurrence de ce monopole avec le privé, où les élèves sont "mieux
tenus", et le libre choix, qui est à la base de notre culture "où la personne est censée être autonome".
Pour ce faire, il faudrait justement que le monopole de la collation des grades soit aboli à l'université - il commence à être contourné par la collation de grades européens dans les
universités privées - et que les écoles, collèges et lycées privés puissent dépasser le quota actuel de 17% d'élèves, respecté par les gouvernements de gauche comme de droite.
L'autonomie des universités fait l'objet du dernier chapitre du livre. Elle n'est pas cet épouvantail qu'agitent les personnels de l'Education nationale pour l'empêcher. Il faut dire
que ces derniers s'accrochent à leur privilège de salaire à vie et à leur place inamovible, récompenses d'un mérite qu'ils
n'ont démontré qu'en début de carrière :
"A l'heure qu'il est les personnels de l'Education nationale savent bien que toute réforme profonde - apte à répondre aux problèmes - ira dans le sens d'une
diminution de leur protection statutaire. Aussi préfèrent-ils que l'institution moisisse en l'état, dans un environnement de plus en plus délabré, avec des salaires bas par rapport à leurs
homologues étrangers."
Entre-temps le scandale continue : le petit Pierre ne sait pas lire.
Francis Richard
PS du 27 septembre 2011 :
Le grand Francis croyait ne plus savoir lire [voir le premier commentaire]. Il n'en est rien. Voici la couverture de mon
exemplaire du livre de Chantal Delsol. A comparer avec la couverture qui illustre l'article et qui provient du site Amazon.fr :