Poutine, maître de la Russie jusqu’en 2024 ?

Publié le 25 septembre 2011 par Sylvainrakotoarison

Comme prévu, Medvedev s’efface derrière son boss. Un cas assez exemplaire de contournement des institutions.

On aurait pu croire que Dimitri Medvedev allait finalement s’affirmer personnellement comme le représentant d’une force progressiste et originale dans le paysage politique russe. En fait, il n’en est rien.

Rappelez-vous l’épisode de la croisade, il y a juste six mois…

Croisades franco-russes

Croisade, c’était le mot employé par George W. Bush juste après les attentats du 11 septembre 2001 pour partir en guerre contre le terrorisme islamiste international.

Le 21 mars 2011, le mot "croisade" avait encore échaudé les esprits. Le Ministre de l’Intérieur Claude Guéant avait prononcé le mot pour évoquer la décision de l’ONU sur l’intervention militaire en Libye [résolution 1973] : « Le monde entier s’apprêtait à contempler à la télévision des massacres commis par le colonel Kadhafi. Heureusement, le Président a pris la tête de la croisade pour mobiliser le Conseil de sécurité des Nations unies puis la Ligue arabe et l’Union africaine. ».

Un mot qui a fait scandale en dévoilant une maladresse voire une faute pour François Bayrou : « Il est dangereux de faire de la politique sans connaître l’histoire et la mentalité des peuples. Le mot croisade est un signe de ralliement de toutes les sensibilités musulmanes contre l’Occident. ». Trois jours après, Claude Guéant a admis la gaffe : « Avec le recul, j’aurais pu prendre un autre mot, j’aurais pu dire : mobiliser l’opinion pour faire triompher nos thèses au Conseil de sécurité. ».

Le même jour que Claude Guéant, un autre personnage public de grande importance avait employé le même mot en parlant de « l’appel aux croisades à l’époque du Moyen-Âge ». C’était Vladimir Poutine qui critiquait ouvertement la résolution 1973 de l’ONU : « À l’époque de Bill Clinton, on a bombardé la Yougoslavie et Belgrade ; Bush a envoyé les troupes en Afghanistan, ensuite, sous de faux prétextes, on a envoyé des troupes en Irak. (…) Aujourd’hui, c’est au tour de la Libye. (…) Cela devient une tendance forte et une constante dans la [politique] des États-Unis. ».

Poutine, 59 ans dans quelques jours, est l’actuel Premier Ministre de la Fédération de Russie depuis le 8 mai 2008 et ancien Président du 1er janvier 2000 au 7 mai 2008.


À l’époque, le Président russe Dimitri Medvedev, 46 ans, avait blâmé Vladimir Poutine de façon assez énergique : « Il est inadmissible d’employer des termes qui mènent au choc des civilisations, des expressions du genre "croisade" ou autres. C’est inacceptable. Dans le cas contraire, tout peut se terminer d’une manière encore pire que la situation actuelle. Chacun doit le garder en tête. » pour ajouter : « Je considère que la résolution [1973] reflète notre interprétation de ce qui se passe en Libye, mais pas totalement. C’est pourquoi nous n’avons pas utilisé notre veto. ».

Seuls, deux quotidiens russes, "Vedomosti" et "Kommersant", avaient relaté cette discordance entre les deux têtes de la Fédération de Russie.

Une opposition Medvedev-Poutine ?

En Occident, cette intervention musclée avait étonné. Bien que de caractère très effacé, Medvedev avait alors montré un esprit résistant face à son mentor, ce qui alimentait les possibilités d’un duel au sommet entre lui et celui qui l’a fait roi, Poutine, lors de l’élection présidentielle du 4 mars 2012.

Sachant que le parti au pouvoir (Russie unie) n’aurait aucun mal à conserver son hégémonie pour d’évidentes raisons que la démocratie ignore, une partie de l’élite intellectuelle avait alors cru en lui, Medvedev, économiste, libéral, humaniste, sensible à l’aspiration du peuple vers plus de souplesse de l’État, comme possible candidat capable de s’opposer à l’inébranlable Poutine, de proposer une véritable alternative politique.

Cette hypothèse a même été propagée par Poutine lui-même le 13 avril 2011, peu après leur accrochage : « Ni monsieur Medvedev, ni moi-même n’excluons de participer à la présidentielle. Nous agirons en fonction de la situation dans le pays au moment de l’élection. (...) Il faudra un jour prendre une décision. Mais il reste encore un an avant l’élection et ces spéculations entravent notre travail. Si nous donnons de mauvais signaux dès à présent, la moitié de l’administration présidentielle et plus de la moitié du gouvernement cesseront de travailler en attendant des changements. ».

Le 29 août 2011, l’ancien et futur candidat nationaliste Vladimir Jirinovski (leader du Parti libéral-démocrate de Russie) le pensait encore : « À mon sens, leur place [celle de Medvedev et Poutine] dans la société et l’État, leurs interviews, leurs activités et leur calendrier montrent explicitement que les deux sont prêts et disposés à participer à l’élection [présidentielle]. ».

Medvedev, l’alibi constitutionnel de Poutine

Medvedev avait été proposé par Poutine comme candidat de Russie unie à l’élection présidentielle du 2 mars 2008 pour lui succéder. Constitutionnellement, Poutine ne pouvait plus se présenter à un nouveau mandat présidentiel, la Constitution interdisant d’exercer plus de deux mandats successifs.

Homme de paille, homme de l’ombre, faux nez de Poutine, Medvedev a toujours eu du mal à s’imposer face au tout puissant Poutine bien décidé à garder le pouvoir en reprenant la présidence de son parti ainsi que la tête du gouvernement russe (Il avait été Premier Ministre du 16 août 1999 au 7 mai 2000). Le Président avait cependant réussi à faire croire à certaines dissensions par des propos quelquefois désobligeants vis-à-vis de son Premier Ministre.


Il avait d’ailleurs réussi à ne pas démissionner pour laisser place à Poutine. En revanche, rien n’interdisait à Poutine de se représenter à l’élection présidentielle de 2012. Rien non plus à Medvedev qui pourrait exercer un second mandat.

On pouvait imaginer que malgré le rôle de marionnette qu’on lui avait attribué, Medvedev, disposant de la plénitude de ses pouvoirs, notamment dans le cadre de la diplomatie et de la défense (le feu nucléaire), aurait pu se transformer et avoir quelques velléités personnelles incompatibles aux ambitions dévorantes de Poutine.

Situation clarifiée depuis ce 24 septembre

Depuis ce samedi 24 septembre 2011 matin, lors du congrès de Russie unie, l’incertitude a été définitivement écartée.

C’est le Président Medvedev qui a lui-même proposé devant les onze mille militants du parti la candidature de Poutine à l’élection présidentielle de 2012. Poutine a bien évidemment accepté : « Je voudrais vous remercier pour votre réaction positive à la proposition d’avancer ma candidature à la prochaine Présidence russe. C’est un grand honneur pour moi. ».

En compensation, Poutine a proposé à Medvedev de prendre la tête de la liste de Russie unie aux élections législatives qui auront lieu le 4 décembre 2011 et de devenir le futur Premier Ministre : « Je suis certain que le parti Russie unie gagnera les élections et que Dimitri Medvedev pourra créer une équipe efficace, jeune et énergique et se placer à la tête du gouvernement grâce au soutien du peuple. Il poursuivra ainsi la modernisation de notre pays. ».

Poutine a même eu la mauvaise foi de parler de "tradition" pour évoquer cette combine électorale : « Ces dernières années, le chef de l’État se trouvait toujours en tête de la liste électorale du parti Russie unie. Je considère qu’il faut maintenir cette tradition. ».

Medvedev ne s’est cependant pas fait prier en acceptant immédiatement : « C’est une proposition responsable et sérieuse. Je l’accepte. ».

Comment contourner les règles constitutionnelles ?

Au cours de cet unique mandat de Medvedev, Poutine avait fait une révision très importante de la Constitution russe : il a en effet prolongé la durée du mandat présidentiel (toujours limité à deux successifs) de quatre à six ans.

Ce qui fait que probablement réélu le 4 mars 2012 pour six ans et dans la possibilité de se faire réélire en mars 2018, il pourrait ainsi se maintenir au pouvoir jusqu’en mai 2014 (il aura alors 71 ans) après avoir passé près d’un quart de siècle à la tête de la Russie comme Premier Ministre ou Président de la Fédération (au pouvoir depuis le 16 août 1999).

C’est à l’évidence une audace assez exceptionnelle que de se servir aussi facilement de la Constitution en manipulant comme un pion un homme visiblement toujours très effacé pour interchanger allègrement les fonctions de Président et celles de Premier Ministre.

Une réflexion intéressante

Dans un article assez long, l’universitaire parisien Arnaud Kalika a livré, le 19 septembre 2011, une analyse sans concession de la mécanique Poutine.
En voici quelques extraits intéressants :

« Pas une semaine ne s’écoule sans que Vladimir Poutine mitraille des slogans démagogiques couronnant de vertu l’ancienne armée Rouge, la victoire de Stalingrad et le génie d’Andropov... La cohésion de la population russe n’est jamais aussi forte que dans l’adversité, d’où ces incessants rappels à un passé mythifié.

(…) Poutine cite le passé, mais il sait que tout ne peut pas être comme avant. Museler les intellectuels, ne rien changer, aplatir le dialogue ou liquider ses opposants n’est guère tenable pour qui veut être fréquentable sur la scène internationale. Son action vise au premier chef à garantir la sécurité et la longévité de l’élite dirigeante, celle qui l’a adoubé en 1999 lorsque Boris Eltsine l’a publiquement intronisé comme son dauphin légitime. Protecteur de multiples intérêts politico-financiers, Poutine a su se rendre indispensable sur la scène intérieure.

(…) Dimitri Medvedev joue sans conviction les remplaçants et se complaît, par choix ou par obligation morale, dans ce rôle effacé. Il doit tout à son Premier Ministre : sa carrière, son train de vie, ses relations sociales, sa surface internationale… Medvedev ne fonctionne pas sans Poutine et l’erreur de nombreuses diplomaties européennes aura été de vouloir traiter la Russie de façon clanique, imaginant une concurrence à fleurets mouchetés au cœur du tandem. Un mot, un geste, une intonation… autant de signes qui anticiperaient l’émancipation de Medvedev de "l’emprise poutinienne". Cette lecture totalement spécieuse a fait le jeu de Poutine, véritable instigateur de cette interprétation clanique. »

Pas de lâcher prise

Finalement, Dimitri Medvedev n’aura jamais été qu’un ectoplasme au service exclusif de la soif de pouvoir jamais rassasiée de Vladimir Poutine. En jouant ainsi avec les institutions à l’aide d’un complice pour dénaturer la Constitution, Vladimir Poutine confirme qu’il est résolu à ne jamais lâcher prise…

Rendez-vous le 4 décembre 2011 pour les élections législatives et le 4 mars 2012 pour l’élection présidentielle.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (25 septembre 2011)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
L’élection de Medvedev.
L’investiture de Medvedev.
Coup d’État ?
Poutine jusqu’en 2021 ?
Les mandats successifs…
Portraits croisés Poutine-Medvedev.