Me voilà tout chiffonné sur les rives du matin.
Peut-être avez-vous raison de faire comme si de rien n’était, comme si le monde même bancal pouvait être acceptable.
Peut-être avez-vous raison d’écrire ce qui est publiable aux yeux des cochers, d’étaler vos visages à la vitrine d’une ville, quatre jours durant, puisque les gens aiment ça.
Mon libraire entre dans la danse : il fait en quelques jours, presque son chiffre de l’année. Mais voilà le livre devenu un chiffre, une ligne dans une comptabilité. Le libraire est satisfait, le distributeur et l’éditeur peuvent se frotter les deux mains : l’auteur a bien joué son rôle, le comédien ou le musicien aussi.
Mais peut-être avez-vous raison de vous arrêter à l’apparence des choses, de glisser à la surface et de vous sentir libre dans cet espace où le commerce vous autorise à respirer, sans vous faire payer l’air inhalé.
*
Je ne parlerai pas d’hier, ni des auteurs, ni des livres, ni de ce que je n’ai point vu, enfermé dans ma tour laborieuse, si loin des flonflons de la fête.
Et il en sera de même aujourd’hui, sans doute.
Au point que comme quatre vingt pour cent de mes concitoyens, je pourrais psalmodier : « Quoi ? Des correspondances ? De la littérature ? Non, pas pour moi ! »
Et je m’en retournerai au silence qui est le mien, ce que nul ne sait plus faire.
Car il faut au peuple des jeux, du sang, des bruits, de la musique et des images.
Tout ceci est-il bien compatible avec le silence lové entre chaque mot écrit ?
Mon libraire poursuivra l’ascension de son chiffre, par la face ensoleillée, sans rien dire de sa contribution involontaire à la belle fortune des acteurs du CAC 40 qui étranglent le monde.
Les journées s’écouleront dans la douceur d’un automne qui hésite encore à s’installer.
On va s’extasier sur l’art de tel ou tel à donner voix aux mots, tricotés si possible de musiques éphémères.
On prendra en photo souvenir le portrait de l’auteur en fétiche des temps moderne, pour l’afficher sur Facebook, avec la dédicace arrachée de haut vol. On arborera l’image comme d’autres, en plus hautes altitudes et avec une autre spiritualité, arborent celle de leur chef religieux.
On sera heureux d’avoir versé son obole au grand marché d’un instant.
Puis mon libraire reviendra à sa même plainte : une fois le sommet atteint, il ne reste qu’à redescendre, et retrouver le vide abyssal où se cantonne la ville, pendant les douze mois à venir.
La culture et la lecture n’auront pas progressé d’un iota. Monsieur le Maire pourra reprendre le même sempiternel discours sur le désintéressement de la chose. Et ceux qui n’auront pas ouvert un livre de l’année (auront-ils même lu les ouvrages achetés en cette belle occasion ?) l’applaudiront à tout rompre puis iront devant les urnes voter sans savoir très bien ce qu’ils feront.
Mais le monde sera sauf, à l’adret des coffres forts.
Xavier Lainé
Manosque, 24 septembre 2011