"../...Cécile Colmont, assise sur un rocher au bord de la plage, contemplait les reflets de la lune, presque pleine, sur les eaux grises de l'Atlantique. Les vagues s'échouaient à quelques centimètres de ses pieds nus; elle avait posé ses bottes de caoutchouc à l'entrée du sentier qui menait à cette minuscule crique où, tous les soirs, elle venait passer un moment seule. La marée commençait à se retirer, abandonnant sur le sable quantité d'algues déracinées qui ondulaient, perdues au fil des flots.
Cécile se pencha en avant et saisit une pognée de fucus tout à fait comparable à une grappe de raisin. Elle en perça machinalement plusieurs grains avec les ongles, faisant jaillir une bulle gélatineuse qu'elle porta à ses narines. A sa grande stupéfaction, pour la première fois depuis si longtemps, elle perçut une vague senteur. Ténue. Quelque chose d'indéfinissable. Presque rien. Affolée, bouleversée, remplie d'espoir, elle quitta le rocher sur lequel elle était assise, s'engagea jusqu'à mi-cuisse dans l'eau glacée et empoigna des brassées de tout ce qui se trouvait à sa portée. Une végétation marine très dense, un conglomérat visqueux dont elle se frotta voluptueusement le visage, le cou. Avec la même sensation renouvelée, de plus en plus intense, au fil des minutes qui suivirent. Ce n'était pas suffisant. Il fallait en avoir le coeur net. Elle croqua un grain de fucus, rageusement, à pleines dents. Puis deux, puis trois, en prenant soin de les mâcher, de les mastiquer. Elle bloqua sa langue contre son palais avant de déglutir. Ce fut comme si l'océan entier explosait dans sa bouche. De vieux souvenirs olfactifs, gustatifs, tout un fatras reclus ou plutôt cadenassé dans un obscur recoin de sa tête, refirent soudain surface, en vrac.
Un plateau de fruits de mer, justement. Un dimanche à Trouville, ça remontait à quand déjà? Cinq ans? Six? Peu importe. Des huitres, de"s crevettes, des bulots, des pinces de tourteau dégustées à la terrasse d'un restaurant du port. Une cuillerée de mayonnaise. Quelques rondelles de citron dont le jus acide picotait la langue. Ou une glace à la vanille suçotée sur la plage de Propriano, la veille de son accident. Ce fut une déferlante de réminiscences confuses qui cognaient à la porte de sa mémoire, impatientes de rattraper le temps perdu. Jusqu'aux plus lointaines, aux plus enfouies. Le doudou qu'elle tétait le soir avant de s'endormir, quand elle était petite, avec son goût médicamenteux, pauvre doudou imprégné de gouttes pour le rhume, de sirop Théralène, de chocolat aussi, grâce aux nombreuses taches qui le parsemaient. Les tartines de confiture de framboises du petit-déjeuner avant le départ pour l'école maternelle, les chamallows croqués en douce dans la cour de récré...
Toute une collection de sensations à laquelle elle croyait ne plus jamais avoir accès s'ouvrait de nouveau à elle, à la manière d'un album de photographies oublié au fond d'un grenier et soudainement redécouvert.
.../..."
Extrait de: "Mon vieux" de Thierry Jonquet-
on en cause ici
et là aussi
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Puisque l'on est dans la lecture, ne nous arrêtons pas en si bon chemin. Claire de Viron (dont nous avons reproduit ici-même une de ces nouvelles, il y a quelque temps) nous dit ceci:
"Voici une publication qui pourrait vous intéresser: “Fracas” chez Thélès. C’est un recueil de nouvelles. J’y ai mis tout mon cœur pour faire vibrer le lecteur."
Présentation de l'éditeur:
« Surplombant le bief, un muret. Sur le muret, une enfant. Elle portait un chapeau, un short, et était nus pieds. Sa peau était tannée, et ses bras pointaient dans toutes les directions. Elle observait, s'émerveillait. Elle riait, criait, bougeait sans cesse, s'asseyant sur une cuisse puis sur l'autre. »"Autour de l'enfance et de ses secrets, Claire de Viron tisse neuf nouvelles. De la paternité aux lieux fondateurs, elle explore à travers ces textes nos propres questionnements, nos propres angoisses. Un recueil nostalgique, au style élégant, qui interpelle par sa justesse d'analyse, et montre que les souvenirs fondent nos vies d'adulte."
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