Réceptacle physique des interactions des hommes entre eux, des hommes et de leur environnement, la ville connaît depuis l’avènement de l’informatique, des opérations et des échanges qu’il permet, une petite révolution qui pourrait bien reconfigurer ses évolutions, sa croissance et les paradigmes qui les fondent. Et si l’informatique, internet et les milliards d’opérations, d’algorithmes qu’il véhicule, invisibles à nos yeux, étaient en train peu à peu de redéfinir physiquement les villes, leur organisation et leur architecture ?
De l’architecture numérique planifiée…
Flux informels de capitaux, d’idées ou encore d’informations, les réseaux imperceptibles tissés à travers le monde, dématérialisés sous le coup des progrès du numérique semblent aujourd’hui en passe de modifier physiquement nos environnements urbains. Si le poids de l’immatériel dans nos vie a considérablement augmenté, gagné en visibilités et en fonctionnalités quotidiennes, son impact sur la ville et ses fonctions croît également.
Un exemple d'architecture digitale près de Shanghai
Architecture digitale ou numérique, clusters économiques ou créatifs,… La ville ressemble de plus en plus et à s’y méprendre à une gigantesque « carte mère » dont les composants physiques, interagissant l’un avec l’autre semblent accélérer la vitesse des innovations et l’agrégation de leurs ramifications. A Shanghai, nous vous en parlions déjà, le Derivative Development and Data Processing Centre (DDDPC) lancé suite à un concours en 2005, témoignait dans son concept du rapprochement grandissant entre les modes d’organisation de la ville et le numérique. Dans le cas du Centre de Shanghai, pensé comme l’expression architecturale et systémique d’un micro-processeur, l’homme reste néanmoins par ce qu’il a pensé, un préalable à l’irruption d’une telle organisation.
… à la finance numérique qui modifie nos villes
Aujourd’hui, là ou le phénomène devient intéressant, c’est qu’il ne semble plus réellement obéir, dans certains cas, à une logique anticipatrice et planifiée, résultat d’un projet humain. Au contraire, l’internet, le numérique et ce qu’ils permettent, infiltrent désormais l’existant, la structure des métropoles et leur corps. Hier, élément métaphorique d’un être vivant, d’une biologie complexe, la ville contemporaine mue à croissance rapide vers une forme d’hybridité, mélange de sang organique et de « codes sources » informatiques.
Dans les grands centres de la finance mondiale, la soif du profit et de la croissance ont généré et multiplié en plusieurs années, des « monstres urbains de l’informatique ». Des lieux ou les murs, les immeubles, les rues et les espaces architecturés ne trouvent plus de résonances que dans le vrombissement des supercalculateurs informatiques, que dans le brassage des algorithmes et les flux numériques financiers. A New York, au bas de la presqu’île de Manhattan, un quartier à la DDDPC du concept shanghaien est en train de naître en dehors de tout cadre de projet d’une quelconque ville digitale que ce soit.
« Dans le monde financier, la vitesse est une arme. Si vous faites des échanges financiers à haute fréquence ou que vous essayez de voir comment ceux-ci se comportent, il vous faut de bons algorithmes, de bons processeurs et surtout un très bon réseau. Et pour gagner quelques millisecondes, il faut être proche de l’Internet. »
Par ces quelques mots prononcés à la conférence du Lift à Genève en 2011, Kevin Slavin, cofondateur d’Area/Code, dévoilait une réalité encore méconnue, mais pourtant, bien en marche. Là ou les réseaux numériques sont les plus denses, là ou ils permettent mécaniquement, le plus grand nombre d’opérations à la seconde, c’est-à-dire au cœur des villes, là ou débarquent les « principaux tuyaux de l’Internet », l’immatériel entreprend sa révolution matérielle.
Boostée par le moteur de la finance, insatiable, l’explosion des réseaux autour des « points stratégiques de connexion », permet de gagner sur le temps des autres villes, des autres espaces, moins bien dotés. Conséquemment, le numérique placé au service du monde des affaires, semble inéluctablement modifier la ville. Dans certains quartiers de New York, les bureaux et les appartements sont peu à peu vidés de leurs biens matériels et des hommes qui y vivent ou y travaillent. A la place, voilà que l’on y entasse des tonnes de serveurs.
« La ville de New York est en train d’être optimisée pour fonctionner comme une puce électronique. Et tout ce que nous pourrions faire en tant qu’être humain dans ces mêmes locaux vaut bien moins que ce que ces machines font et gagnent. »
Des processus multiples à l’œuvre
A New York ou à Shanghai, dans les métropoles modernes, l’Internet et les opérations qu’il joue en sous-sol sont sur le point de métamorphoser physiquement nos espaces, reléguant les hommes de certains territoires, pour laisser s’étendre et composer entre eux, les outils d’une toile numérique mondiale. A l’instar de ce phénomène, hypothétiquement remis en question dans sa structuration et son étendue future, par les crises systémiques de l’économie mondiale, de plus en plus fréquentes, les modèles de développement de la ville et de ses activités, rationnalisent toujours plus leurs formes. Sur la base d’initiatives privées, publiques ou parapubliques, parfois même sans initiatives clairement individualisées, des espaces urbains se construisent, imitant à la faveur de leurs fonctionnements, les caractéristiques d’un ordinateur et de ses composants. Les clusters, concept déjà relativement ancien, reprenant l’idée informatique de « grappes de serveurs », essaiment peu à peu leurs modèles, touchant non seulement les secteurs de l’économie productive mais bientôt, celle de l’économie du savoir, de la culture ou de la création.