L'attentat de Karachi a tué, voici bientôt 10 ans, onze Français, un jour de mai 2002. Après des années d'enquêtes, de fausse pistes, de blocages politiques, l'instruction est en passe de faire basculer la Présidence Sarkozy. Pour sa 228ème semaine à l'Elysée, Nicolas Sarkozy craint le pire et il a raison. La violence de sa réaction aux récents développements est à la mesure de la gravité de la situation: attentat, corruption, manipulation, obstruction, l'affaire est grave.
A Lyon, des chercheurs de l'Institut de physique nucléaire de Lyon
auraient démonté la fameuse théorie de la relativité d'Albert Einstein:
ils ont envoyé de Lyon à Milan des
neutrinos «superluminiques», des particules très légères, plus
rapidement que la lumière.
En Sarkofrance, c'est la République irréprochable qui a été relativisée.
Fillon, la gaffe préméditée
François Fillon a fait une gaffe. Une belle, une grosse. Jeudi, il a annoncé... une nouvelle réforme des retraites ! On croyait que la précédente, qui a été votée il n'y a pas un an, devait résoudre tous nos problèmes. Pire, Fillon s'est abrité derrière l'exigence de faire converger notre fiscalité et nos régimes sociaux avec ceux de nos voisins allemands.
Outre-Rhin, la retraite nous est annoncée à 67 ans... Dans ces raccourcis oratoires, le premier ministre oubliait de préciser l'essentiel: les Allemands n'ont besoin que de 35 annuités de cotisations pour bénéficier d'une retraite complète. La France, avec 41 annuités et demi, affiche déjà l'un des régimes les plus durs d'Europe. Vendredi matin, rétropédalage. Le secrétaire d'Etat Pierre Lellouche confie à France2 que Fillon voulait bien sûr parler de l'âge légal pour une retraite à taux plein...
Cette polémique volontaire a rapidement échoué. L'attention générale était ailleurs.
Agitation diplomatique
Nicolas Sarkozy avait préféré consacrer l'essentiel de sa semaine à s'agiter sur la scène des Nations Unies, à New-York. Avant de partir, il avait une fois rencontré son grand ami dictateur du Kazahstan, autoproclamé « père de la nation ». Le pays que dirige Noursoultan Nazarbaïev d'une main de fer a du pétrole, du gaz et de l'argent. Un client idéal. Quatre jours à peine après de grandes leçons de démocratie et d'odes au printemps arabe sur une tribune à Benghazi, le même Nicolas Sarkozy accueillait avec tous les honneurs, et une interminable déclaration commune, cet autocrate régulièrement épinglé par les associations de défense des droits de l'homme. On doit sans doute commercer avec tout le monde, on n'est pas obligé de ridiculiser l'exigence démocratique par de telles courbettes.
A New-York, Nicolas Sarkozy amusait la galerie. Son agenda était en fait très allégé. Il cherchait juste la bonne image à envoyer aux journaux télévisés français, lui sur une tribune onusienne, lui avec Barack Obama, lui avec Mahmoud Abbas. Effectivement, il a bien eu ses moments de petite gloire: un discours d'une vingtaine de minutes à l'Assemblée générale... comme 192 autres chefs d'État ou de gouvernement. Il eut aussi ses rencontres diplomatiques, mais peu nombreuses et très brèves. Et jeudi, troisième et dernière journée de son périple, il s'était consacré à un hommage à la ... Statue de la Liberté pour son 150ème anniversaire. Honnêtement, on s'en fichait un peu. Pendant quelques heures, les communicants élyséens ont même failli nous faire croire que Nicolas Sarkozy avait trouvé la solution miracle, le compromis idéal pour concilier Palestiniens et Israéliens. Quel Grand Homme ! En fait, il avait proposé un statut d'État observateur à la Palestine, une formule ... prévue dans les statuts de l'ONU. Mahmoud Abbas, le président de l'autorité palestinienne, ne s'est pas démonté. Vingt-quatre heures plus tard, il demandait officiellement la reconnaissance de la Palestine dans ses frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capital. Le moment était historique, mais Nicolas Sarkozy l'a raté. Sarkozy était déjà reparti.
Jeudi soir, il fallait bien rentrer à Paris. Il y avait le feu. A distance, Nicolas Sarkozy paniquait.
Panique politique
Mardi, l'Elysée avait été informée qu'un proche de Nicolas Sarkozy, Thierry Gaubert, était placé en garde à vue. C'était illégal, mais bon, nous avions l'habitude. Gaubert, un « intime » a juste eu le temps de prévenir Brice Hortefeux, qui travaille désormais à l'Elysée. Le juge Renaud van Ruymbeke, en charge de l'instruction sur le volet financier de l'affaire de Karachi, a pu passer à la vitesse supérieure après les révélations de deux femmes, les semaines précédentes. L'épouse de Ziad Takieddine, divorcée le 14 septembre, et Hélène Gaubert, également séparée mais depuis 5 ans. De leurs témoignages respectifs, le juge apprend que Ziad Takieddine, un homme d'affaires proche de Nicolas Sarkozy depuis des lustres dont le site Mediapart a révélé les liens et l'entregent, et Thierry Gaubert aimaient aller en Suisse déposer ou retirer des espèces en grande quantité. Lors de son audition, Gaubert reconnait l'existence de comptes en Suisse mais nie tout retrait significatif.
Le lendemain, Gaubert est mis en examen. Un autre ami, Nicolas Bazire, ancien directeur de cabinet d'Edouard Balladur et témoin de mariage de Sarkozy en février 2008, est placé en garde à vue, son domicile et son bureau perquisitionné. Jeudi matin, Bazire est à son tour mis en examen. Les charges sont lourdes, abus de biens sociaux. Toute la presse, ou presque, fait sa une sur ce Karachigate devenu Sarkogate. Même TF1, le soir, diffusera un reportage sur les comptes de campagne truqués d'Edouard Balladur en 1995.
Nicolas Sarkozy est en rage. Cette affaire l'a toujours fait sortir de ses gonds. Le compte Twitter de l'Elysée s'affole dans l'après-midi de démentis en contre-arguments. Un communiqué de la Présidence est lâché. Le ton sent la panique, le texte est court et se termine par « tout le reste n'est que calomnie et manipulation politicienne. » Toute la journée, les ténors de Sarkofrance se succèdent pour dénoncer la « calomnie » et la « diversion », réclamer le respect de la présomption d'innocence. Nadine Morano, très en pointe, oublie qu'elle est ministre de la République et devient porte-parole du candidat Sarkozy sur les ondes radio-télévisées. Elle dénonce l'amalgame, Sarkozy n'était que porte-parole du candidat Sarkozy... Mais on s'en fiche: c'est son intervention comme ministre du budget en 1994/1995 qui nous intéresse; ou ses ventes d'équipements à la Libye ou en Arabie Saoudite, par Takieddine interposé, quand il était ministre de l'intérieur après 2002. Eric Besson explique « ce n'est pas le chef de l'Etat qui est visé, ça n'est pas lui qui est mis en examen.»
On sourit.
Accélération judiciaire
Mais le soir même, catastrophe. L'avocat des familles de victimes de l'attentat accuse Hortefeux de conversations téléphoniques avec Thierry Gaubert avant et pendant sa garde à vue. Le détail des échanges est quasi-intégralement publié le lendemain. Le scandale est d'Etat. Un ancien ministre, proche collaborateur de l'actuel président Sarkozy, s'est donc procuré le dossier de l'instruction (première faute), a prévenu un futur prévenu des charges qui allaient être retenues contre lui (seconde faute).
La procédure s'accélère. Une enquête préliminaire est ouverte sur le cas Hortefeux. Ce dernier se défend: «Thierry Gaubert a travaillé avec moi en 1994-1995, c'est resté un ami,
j'étais préoccupé pour lui, j'ai entendu des rumeurs donc je l'ai appelé
pour lui en faire part, savoir si c'était fondé ou pas. Point barre,
c'est tout.» Jean-François Copé, qui réclamait qu'on impose un serment d'allégeance aux armes aux Français, est aussi visé. Takieddine l'a grassement invité entre 2003 et 2005. La Commission consultative du secret de la défense nationale émet trois avis favorables et un avis défavorable à la déclassification
de documents réclamés par les juges Trévidic, van Ruymbeke et Le Loir dans cette affaire. Reste aux ministères concernés de suivre, ou pas, ces recommandations. Au domicile de Thierry Gaubert, la police trouve vendredi la preuve d'un transfert de 10 millions de francs de l'un de ses comptes suisse, soit exactement la somme douteuse retrouvée dans les comptes de la campagne présidentielle d'Edouard Balladur en 1995.
C'est la panique la plus complète. En quelques jours, quelques confessions et quelques aveux, des mois d'efforts en présidentialisation accélérée de notre Monarque ont été ruiné. Sarkozy perd tout le bénéfice de ses postures humanitaires en Libye ou protecteur en France.
Le Karachigate existe. Nous l'avons enfin rencontré. A Londres, le Guardian qualifie le Karachigate de « plus grand scandale de corruption depuis la Seconde Guerre Mondiale. »
Ami sarkozyste, où es-tu ?