La femme de paul
Publié le 24 septembre 2011 par Dubruel
Le texte suivant et ceux qui ont déjà paru sur ce blog sont extraits d'un remarquable ouvrage intitulé "Quel est ce cornichon qui a osé mettre en vers des
contes de Maupassant ?", publié aux éditions Edifree
l'auteur se réserve le droit de présenter sa géniale anthologie au jury du prochain Prix Fémina
Le couple était étendu sur l’herbe.
Paul, encore imberbe,
Mince, le visage illuminé de tendresse
Tenait par le cou Madeleine, sa maîtresse,
Une petite brune pas très belle
Aux allures de sauterelle.
Ils se regardaient au fond des yeux.
Le patron de l’auberge Courlieu
Cria : -Allons, monsieur Paul, pressons !
De tous les clients de la maison,
M. Paul était le plus aimé, le plus respecté
Car il payait toujours avec régularité.
(D’autres oubliaient trop souvent !)
Son père étant sénateur,
Il constituait pour l’établissement
Une réclame vivante majeure,
La patronne, Mme Leguerce,
Une femme entendue au commerce
Appelait Madeleine et son gigolo
« Mes deux tourtereaux »
Dans l’auberge, c’était une cohue effrayante,
Furieuse et hurlante.
Toute cette foule braillait, chantait,
Arrivait, buvait, repartait.
Il y avait là des gens à moitié gris,
Toute la moisissure de Paris,
Des cabotins affairés,
Des noceurs tarés,
Des boursicoteurs véreux,
Des journalistes foireux,
Des filous, des chevaliers d’industrie,
Des canotiers, de vieux pourris,
Des êtres suspects, à moitié connus,
À moitié perdus,
À moitié salués,
À moitié déshonorés.
Quatre femmes arrivèrent, lentement.
Un cri partit : -V’là Lesbos !
Bon sang !
Tous vociféraient : -Lesbos ! Lesbos ! Lesbos !
Deux costumées en homme marchaient en tête
Les deux autres suivaient
Se dandinant comme des oies grasses.
Les canotiers agitaient leur casquette,
Les vieux levaient
Qui un verre, qui une tasse,
Qui un mouchoir…
Les jeunes hurlaient « Bonsoir ! »
Leur vice était patent, officiel,
Public.
On en parlait
Comme d’une chose naturelle
Qui les rendait
Presque sympathiques.
-C’est honteux, dit Paul à Madeleine,
On devrait les noyer comme des chiennes !
-Est-ce que ça te regarde, toi ?
Fiches-nous la paix avec tes manières
Et mêles-toi de tes affaires !
-Je les ferais flanquer en prison, moi !
Je te défends de leur parler, tu entends !
Je te le défends.
Elle haussa les épaules :
-Mon petit Paul,
Je ferai ce que je veux.
Si tu n’es pas heureux,
File. Je ne suis pas ta femme, n’est-ce pas ?
Il ne répondit pas.
Elles, traversaient la pièce
À petits pas, comme des princesses.
Tous les regards étant fixés sur elles,
Elles se croyaient au septième ciel.
.
Madeleine en regardait une venir.
Dans son œil une flamme se mit à luire.
La femme s’approcha
Et Madeleine s’exclama:
-Pauline !
Ma copine !
Viens donc me parler, belle tigresse !
Paul comprima la main de sa maîtresse.
-Je t’ai mis en garde. Viens avec moi !
Alors Pauline éleva la voix
Et le rudoyait
Avec son répertoire de poissarde.
Devant le scandale qui commençait,
Paul sortit et s’assit au bord de la Seine.
Au bout d’un moment,
Une main se posa sur la sienne.
Paul se retourna vivement.
Madeleine était là.
Paul se leva
-Je me sens fatigué, mon cœur.
Nous nous coucherons de bonne heure.
Elle avait flairé la ruse aussitôt :
-Tu te coucheras tôt
Si tu veux.
Moi, je rejoins Pauline. Adieu !
-Reste. Je t’en prie, mon p’tit !
Elle fit non de la tête
Et rentra dans la guinguette.
Paul partit
À sa recherche, allant,
Venant.
Il parcourait la salle d’un air anxieux,
Interrogeait les clients, jeunes et vieux.
Personne ne l’avait vue.
Il errait ainsi éperdu
Quand un des garçons vit sa peine :
-Vous cherchez Mme Madeleine ?
Elle est là-bas, sous la treille de glycine
En compagnie de Mme Pauline.
Paul se précipita
Puis brusquement s’arrêta.
Madeleine murmurait :
-Pauline chérie…Mon adorée…
Du même accent passionnel
Qu’elle disait « Paul, mon ami si fidèle ! »
D’une voix désespérée, surhumaine,
Il lança : -Madeleine !
Il fut traversé d’une telle douleur
Qu’il s’enfuit n’importe où
Cacher son malheur
Il devenait fou.
Alors, d’un formidable bond,
Il se jeta dans la Seine, bon dié !
Madeleine perçut le bruit d’un plongeon.
Un soupçon à l’âme, elle se dressa :
-C’est Paul. Il s’est noyé.
Elle s’élança
Vers le rivage.
Le bateau de sauvetage
Tournait et retournait.
L’un des mariniers ramait.
L’autre, muni d’une perche,
Se consacrait à la recherche.
Bientôt ils tirèrent Paul de l’eau,
Le halèrent sur le bateau
Puis vinrent le déposer sur le ponton.
Ses habits étaient couverts de limon,
Ses cheveux collés
Par une couche de vase épaisse.
Et sa figure enflée.
Une eau sale coulait sans cesse
De ses vêtements.
Pauline prit Madeleine tendrement
Dans ses bras, la caressa
La consola, l’embrassa,:
-Ce n’est point ta faute, ma payse.
On ne peut empêcher
Les hommes de faire des bêtises.
Allons,
Viens t’en coucher
À la maison.
Tu ne peux rentrer chez toi dans ton état.
Elle l’embrassa de nouveau et ajouta :
-Va, nous te guérirons.
Pauline serra Madeleine sur son giron
Et les deux Lesbos s’en allèrent
Dans une tendresse particulière…