1.
Je dois creuser en moi, aller plus loin, ne pas m'arrêter, je dois aller au bout des mots. Je dois les empêcher de s'incruster en moi, les excaver, leur insuffler vie, leur permettre d'essaimer sur la page car je ne peux faire autrement. Je ne suis l'homme que d'un seul talent, du moins c'est ce que j'ai envie de croire, celui des mots. Ici bas, en ce lieu, je suis un dieu, je règne sur le magistère des mots, j'en fais ce que je veux, j'ai tous les pouvoirs, je les utilise selon les aléas de mes vœux, ils sont lyriques quand la poésie les réclame, épures quand la nuit les réclame. Je suis le dépositaire des mots, du moins c'est ce que je veux croire. C'est ce que je dois croire. Sinon n'a rien n'a de sens, tout est faux. Je ne suis plus qu'une ombre, ma vie une imposture. Je me dois donc d'aller au bout des mots, ce soir, je refuse tous les compromis, je refuse toute complaisance, je me dois de les sculpter, de les dompter, je me dois d'en faire une œuvre de perfection. Le mot est lâché. La perfection. Je suis l'homme de ce vouloir, je veux ainsi ciseler les mots, je veux les sculpter, les dominer, les tyranniser s'il le faut mais je dois atteindre la perfection. Je veux les mots, je les réclame, je les veux parce qu’ils m'empêchent de mourir, parce qu’ils défont la médiocrité, parce qu’ils éloignent la voix des autres, parce qu’ils rendent le sens possible, parce qu’ils m'inscrivent dans le temps, parce qu’ils effleurent l'absolu. Je me dois de les contraindre a la perfection, d’ainsi les agencer selon une architecture précise, de ne rien laisser au hasard, ils doivent être légers comme la brume et forcenés comme de la lave, ils doivent enchanter et tuer le lecteur, ils doivent être un être de chair dont l'existence est éphémère et sans fin . Je dois repousser les limites des mots. Les autres peuvent se contenter d'autres consolations, ils aiment leurs chats et leurs chiens, ils ont des ambitions, ils font de la politique et ils jouent au loto, ils parlent de tout et de rien mais moi je n'ai que ces mots, je demeure dans ce cercle de feu ou ils subsistent, je crois les dominer mais je leur appartiens. Je dois aller au bout des mots, même si la peur d'échouer me terrorise, même s'ils sont d'une autre logique que je ne possède pas, même si je suis a l'ombre de ces grands qui savent ses nuances, je ne peux faire autrement. Il me reste peu de temps.
2.
Mais écrire pourquoi faire ? Par vanité, narcissisme, désir de paraitre, je sais toutes les mauvaises raisons qui me motivent mais écrire aussi parce que je suis possédé, parce qu'il y a en moi des rythmes et des lueurs, toute une force condensée, une violence inouïe, un imaginaire plus vaste que les mers, il y a en moi quelqu'un d'autre, je veux parfois l'oublier, je veux parfois être cohérent, je veux être présent au monde, être dans le temps, parler aux autres et les écouter, être et non pas m'observer être, je veux confiner cet autre dans un lieu, l'empêcher de me hanter mais j'en ai besoin, j'ai besoin de lui car il permet d'exister. Sans lui je ne suis plus grand chose. Je suis l'autre, tous ses sens en éveil, dans l'attente de sa sentence. Mais cesser de s'interroger, cesser de se poser des questions perpétuellement, cesser ce jeu indécent, il ne s'agit pas de comprendre, il ne s'agit pas de sonder le pourquoi, il s'agit d'écrire selon la volonté des mots, n'être plus que la conscience des mots, n'être plus un corps, n'être plus moi, n'être plus que ce fleuve de lettres et de syllabes qui se dispersent à tout vent, n'être plus que le réceptacle de sa furie. Je dois être cette fluidité, être des mots sans réfléchir, sans se poser de questions, sans être. Etre des mots, ne plus être, ne plus être que des mots.
Umar Timol.