Tous les chemins mènent à Rome, dit-on. Ceux du cyclisme vont de plus en plus vers l’argent qui fait vivre son milieu professionnel.
Une course au fric désormais effrénée, initiée par Hein Verbruggen, l’ancien président de l’UCI, qui est à l’origine de la réorganisation de tout le système dans les années 90, avec la création du Pro Tour d’abord, puis du World Tour aujourd’hui. D’un coup le sport cycliste, d’essence populaire, est devenu un sport de riches avec explosion des budgets et des salaires des stars. Plus de place pour les « petites équipes » à 4 ou 5 millions d’euros. On est désormais à 15 et 20 millions d’euros ! Ce qui est tout de même encore loin des grands clubs de football… Une concentration des effectifs qui fait la part belle aux nantis, qui marginalise et relègue ceux qui ne peuvent s’aligner sur des chiffres de plus en plus vertigineux et astronomiques. Un cyclisme qui fait de plus en plus penser à la fable de La Fontaine « La grenouille et le bœuf » !
Le sport cycliste a-t-il déraillé ? C’est la question que l’on peut se poser face à l’évolution des mentalités et des structures. Ne roule-t-il pas au-dessus de ses moyens en pleine crise économique et financière ? Contrairement au footbal, il n’y a pas de rentrée d’argent du public dans ce monde-là, et c’est toute la différence. Les sponsors sont les seuls bailleurs de fonds qui alimentent la caisse des équipes. Ce sont eux qui font et défont les groupes, au gré de leurs intérêts ou en fonction de la passion ou de la mégalomanie d’un propriétaire. Et tant pis pour l’esprit sportif. Ce qui compte, c’est l’image, les résultats et le retour sur investissement avec la complicité d’une télévision qui offre une exposition planétaire exceptionnelle durant le Tour de France. Mais ailleurs ?
Il devient de plus en plus difficile d’obtenir sur les autres courses une couverture TV en direct. Les frais de production coûtent cher et rester devant l’écran en plein après-midi n’est pas donné à tout le monde. Sauf en période de vacances et c’est précisément le grand avantage du Tour de France. Hors juillet, et en cours de semaine, il y a déficit de téléspectateurs, d’où une réticence de la part des patrons de chaînes à engager de gros moyens. Un désintérêt qui met en péril l’avenir de beaucoup d’épreuves (le Mondial du contre-la-montre n’a pas été diffusé par France Télévisions), et par là même celui du sport cycliste à long terme.
Partout les clubs sont exangues. Les bénévoles, sans qui rien n’est possible, font défaut. Les frais d’organisation augmentent, ceux de gendarmerie aussi pour assurer la sécurité des coureurs face à un trafic routier qui ne cesse de se densifier. Il faut des autorisations qui ont de plus en plus de mal à être délivrées. Comment survivre face à l’accumulation de difficultés ? Et sans télévision ? Où trouver les soutiens financiers désormais ? Combien de temps encore à tenir devant le camion-balai ?
Une véritable acrobatie financière est nécessaire pour parvenir à boucler les budgets. Contrairement aux idées reçues, le vélo n’attire aucun des gros sponsors du CIO, par exemple, ou du football (FIFA, UEFA) pour soutenir ses équipes. Ni Nike ou Adidas, ni Coca Cola, ni Samsung ou Canon, ni Mercedes, ni Gillette, ni Visa ou American Express. C’est la porte ouverte aux regroupements et en définitive aux plus forts qui mangent les petits. Le récent exemple de la fusion RadioShak-Nissan-Leopard-Trek en est l’illustration. Combien de coureurs vont-ils rester sur le carreau ? D’autant que Flavio Becca, le propriétaire du Team Leopard, accusé d’abus de biens sociaux au Luxembourg, a vu ses locaux perquisitionnés et qu’il est visé par une information judiciaire. Quel avenir pour les Frères Schleck et Cancellara ?
D’ores et déjà HTC-Highroad a disparu, Quick-Step et Omega Pharma ne font plus qu’un et il y aurait des rumeurs de rapprochement entre Astana et Saxo Bank. Pendant ce temps-là, Hushovd et Gilbert, le no. 1 mondial, ont signé avec BMC qui prépare, avec la fortune personnelle de son patron Andi Rihs, une véritable « machine de guerre » autour de Cadel Evans. Face à cette folie des grandeurs, qui pourrait bien mener le sport cycliste dans le mur, les formations françaises s’efforcent de faire face tant bien que mal. Mais pour AG2R, la Française des jeux et Cofidis le combat est inégal et la réussite d’Europcar avec Voeckler et Rolland est d’autant plus méritoire.
Le sport cycliste peut-il survivre à cette évolution, à ces bouleversements ? Beaucoup d’équipes ont déjà disparu ou sont reléguées en deuxième ou troisième divisions faute de moyens financiers. C’est l’avènement d’un vélo à deux vitesses par l’émergence d’une élite qui finira par évoluer sur un champ de ruines. Car si l’argent inonde encore le World Tour, la crise financière est une menace réelle. Et il manque cruellement plus bas, là où il y a urgence à solidifier les structures régionales, celles qui permettent aux juniors et aux amateurs de faire leurs classes et de rêver. Mais leur avenir est de moins en moins assuré. Et sans relève, plus de cyclisme professionnel !
Bertrand Duboux