Par Stéphane Montabert, depuis Renens, Suisse
Ses dernières heures ont donné lieu à un véritable déferlement médiatique (voir sur le Matin, par exemple) et un engagement politique à tous les niveaux. Jusqu’à l’Union Européenne et au Pape.
Aujourd’hui, tout le monde connaît par cœur les faiblesses du dossier – pas de traces d’ADN, l’arme de crime n’a pas été retrouvée en sa possession, il y a juste eu neuf témoignages mais sept témoins se sont rétractés… – mais réciter le mantra n’est pas signe d’un grand mérite, au vu de la façon dont il a tourné en boucle depuis une semaine.
Avec une telle mobilisation et des failles aussi béantes dans le verdict rendu, il n’en est que plus étonnant que rien ne soit parvenu à empêcher son exécution aux États-Unis. Je sais bien, il s’agit des États-Unis, un pays affreux où personne n’aurait l’idée d’émigrer. Mais même Obama ne leva pas le petit doigt.
Dans une rubrique intitulée Les Tueurs de Flics sont les Derniers Bébés-Phoques des Médias, Ann Coulter revient d’une façon un peu plus corrosive sur les tenants et aboutissants de cette affaire. Voici une traduction de l’essentiel:
59% des Américains pensent aujourd’hui qu’au moins un innocent a été exécuté au cours des cinq dernières années. Il y a plus de preuves crédibles que des extraterrestres aient marché parmi nous que d’un innocent exécuté aux États-Unis dans les 60 dernières années, et plus encore pour les cinq dernières années.
Mais à moins que les membres du public ne s’attaquent personnellement à la lecture des transcriptions d’audience dans chaque jugement de peine de mort, ils n’ont aucune façon de connaître la vérité, et ne comptez pas sur les médias pour la leur dire.
Il est à peu près impossible de recevoir la peine de mort ces jours – à moins que vous ne fassiez quelque chose de complètement fou, comme tirer sur un flic devant des douzaines de témoins sur le parking d’un Burger King, seulement quelques heures après avoir tiré sur une voiture de passage au sortir d’une fête.
C’est ce que Troy Davis fit en août 1989.
Ouch. Passons aux témoins, aux éléments matériels et au reste :
Après un procès de deux semaines avec 34 témoins à charge et 6 témoins pour la défense, le jury de sept noirs et cinq blancs [autant pour le parti-pris de racisme] pris moins de deux heures pour déclarer Davis coupable du meurtre de l’Officier Mark MacPhail, ainsi que de divers autres crimes. Deux jours plus tard, le jury le condamna à mort.
Il a été répété [dans divers médias] qu’il n’y avait pas de « preuves physiques » liant Davis aux crimes commis cette nuit.
Davis sortit un revolver et tira sur deux inconnus en public. Quelle « preuve physique » les médias attendent-ils ? Il n’y a pas eu effraction pour pénétrer dans une maison, pas de voiture volée, pas de viols ou de bagarre pour accompagner les tirs. Où faudrait-il chercher de l’ADN ? Et pour prouver quoi ?
Je suppose que ce serait édifiant si les douilles des deux tirs de cette nuit correspondaient aux balles. Et ce fut le cas. C’est une « preuve physique ».
C’est vrai que l’essentiel du faisceau d’éléments contre Davis vient de dépositions de témoins oculaires. Ce genre de chose a tendance à se produire lorsque vous tirez sur quelqu’un sur le parking encombré d’un Burger King.
Comme toutes les preuves tendant à établir la culpabilité, les témoins oculaires ont mauvaise presse récemment, mais le côté « oculaire » dans cette affaire ne se limitait pas à des inconnus essayant de distinguer un grand type noir d’un autre. Plusieurs des témoins connaissaient Davis personnellement.
L’essentiel des dépositions de témoins établissent ce qui suit:
Deux grands et jeunes noirs harcelaient un vagabond sur le parking du Burger King, l’un dans un t-shirt jaune et l’autre dans un t-shirt blanc batman. Celui habillé en blanc utilisa un revolver brun pour gifler le vagabond. Lorsqu’un flic leur cria d’arrêter, l’homme en blanc se mit à courir, puis fit demi-tour sur place et tira sur le policier, marcha vers son corps et lui tira encore dessus, souriant.
Quelques témoins décrirent le tireur comme portant un t-shirt blanc, d’autres que c’était un t-shirt blanc avec une inscription, et d’autres encore l’identifièrent comme un t-shirt Batman blanc. Pas un seul témoin ne dit que l’homme en t-shirt jaune ne frappa le vagabond ou ne tira sur le policier.
Plusieurs amis de Davis témoignèrent – sans se rétracter – qu’il était celui en blanc. Plusieurs témoins oculaires, à la fois des connaissances et des inconnus, identifièrent formellement Davis comme celui qui tira sur l’Officier MacPhail.
Maintenant les médias proclament que sept des neuf témoins contre Davis au procès se sont rétractés.
En premier lieu, l’État a présenté 34 témoins contre Davis, pas neuf, ce qui donne une certaine idée de la méticulosité des médias au sujet des faits sur les affaires de condamnation à mort.
Parmi les témoins qui ne rétractèrent pas un mot de leur témoignage contre Davis se comptent trois membres de l’Armée de l’Air, qui virent les tirs depuis leur van dans la voie de drive-in du Burger King. L’aviateur qui vit ces événements d’assez près pour identifier de façon certaine Davis comme le tireur expliqua lors de l’interrogation contradictoire, « vous n’oubliez pas quelqu’un qui se penche sur un homme pour l’abattre. »
Les témoignages rétractés sont les preuves les moins fiables de quoi que ce soit, puisqu’ils prouvent seulement que les avocats de la défense sont parvenu à faire pression sur certains témoins pour affecter leur déposition – après que le procès soit terminé, ce qui s’avère bien commode. (…)
Trois des rétractations vinrent d’amis de Davis, apportant des modifications mineures ou peu crédibles à leur déposition au procès. Par exemple, l’un dit qu’il n’était plus sûr d’avoir vu Davis tirer sur le policier, bien qu’il ait été à un mètre cinquante de lui à cet instant. Le reste de son témoignage impliquait toujours Davis.
Une rétractations présumée, de la petite amie du vagabond (décédée depuis) n’était pas une rétractation du tout, mais au contraire une réitération de tous les passages de son témoignage au tribunal, incluant une identification directe de Davis comme le tireur.
Seules deux des « rétractations » alléguées (sur 34 témoins) se rétractent sur quelque chose de valable – et ces deux déclarations écrites et sous serment furent défaussées par la cour parce que Davis refusa aux déclarants de témoigner aux auditions ultérieures au procès, alors même que l’un attendait juste à l’extérieur de la salle d’audience, prêt à venir à la barre.
La cour avertit Davis que son refus de rappeler ses deux seuls témoins sincèrement rétractés rendrait leurs rétractations écrites sans valeur. Mais Davis refusa quand même de les convoquer – ce qui suggère, comme le dit la cour, que leurs déclarations n’auraient pas tenu face à un examen contradictoire.
Avec des adversaires de la peine de mort aussi obsédés par la race de Davis – il est noir – il doit être noté que tous les témoins mentionnés ci-dessus sont eux-mêmes Afro-Américains. Le premier homme sur lequel Davis tira dans une voiture cette nuit était Afro-Américain. (…)
Il y a une raison pour laquelle plus d’une douzaine de cours ont examiné l’affaire Davis et ont refusé de casser sa condamnation à mort. Il est aussi innocent que n’importe quel homme exécuté depuis les années 50 au moins, c’est-à-dire, aussi coupable qu’il est possible de l’être.
Troy Davis était coupable de meurtre. Il a été condamné à l’issue d’un procès équitable et de tous les recours garantis par la justice américaine. S’il y a quelque chose de scandaleux, ce n’est pas dans son exécution, mais dans les 22 ans d’attente entre son crime horrible et sa mort méritée, et le tombereau de mensonges et d’approximations livrés par les médias dans la dernière ligne droite de l’affaire.
Après avoir capturé et battu James Byrd, un noir père de famille rencontré par hasard au bord d’une route, Brewer attacha le corps inconscient à son pickup et le tira sur près de cinq kilomètres des chemins de campagne, en prenant bien soin de faire zigzaguer le véhicule afin que le corps ballote de gauche à droite. Sa victime reprit connaissance, mais fut écorchée aux coudes jusqu’à l’os et mourut décapitée par un obstacle sur la route. Le meurtrier n’exprima jamais le moindre regret pour ses actes.
Il n’y a pas eu beaucoup de manifestants anti-peine de mort pour essayer de sauver Lawrence Brewer. Pourtant, Lawrence Brewer aurait dû susciter encore plus d’engagement anti-peine de mort que Troy Davis. En effet, pour des gens plus avide de brandir une banderole que de s’intéresser au dossier, Troy Davis aurait pu être victime d’une erreur judiciaire, mêlant la lutte contre la peine de mort au simple activisme pour une révision de son procès.
Au contraire, le cas Brewer se ramène à l’essence même du combat anti-peine de mort: la défense envers et contre tout du pire des salauds, un coupable dénué de remords et méritant largement sa peine.
En choisissant de défendre intensément le cas le plus « sympathique » et le plus « douteux » (des sentiments bien superficiels, comme on l’a vu) le militantisme des adversaires de la peine de mort montre qu’il est à géométrie variable, ce qui suffit à conclure que ces derniers suivent des objectifs politiques sans rapport avec la justice ou l’humanisme. Mais on s’en doutait déjà: les États-Unis ont pratiqué 46 exécutions en 2010, contre peut-être 8000 pour la Chine la même année.
Et dans quel silence !
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Article repris du blog de l’Auteur avec sa permission