"The Fades are coming."
Cette rentrée, j'ai fait des grands efforts d'ouverture. J'ai visionné des pilotes diffusés jusque sur les networks américains que je n'aurais d'habitude pas tenter, attendant patiemment de trouver la perle rare, celui qui me donnerait envie de revenir la semaine suivante. Les deux premiers tiers du mois déjà passés, je commençais à m'inquiéter, quand, enfin, un pilote a retenu mon attention et éveillé ma curiosité : The Fades. Oui, je sais, cette série est... anglaise.
Imaginée par Jack Thorne, un scénariste qui a travaillé sur This is England '86, Skins ou encore Cast Offs, The Fades (un temps intitulée Touch) est une nouvelle série fantastique lancée par BBC3, le jeudi 21 septembre 2011, et coproduite avec BBC America. La saison 1 comprendra six épisodes. BBC3 poursuit là ces explorations du genre fantastique dont Being Human reste le porte-étendard. Si ce premier épisode de The Fades est un peu brouillon, il est efficace pour poser un cadre mythologique au potentiel indéniable.
Paul est un lycéen, anonyme dans la foule des adolescents de son âge, mais dont la vie quotidienne est de plus en plus perturbée par des évènements dont il ne peut comprendre la portée. Il voit des choses, ou plus précisément des êtres, qu'il est le seul à percevoir, et ses nuits sont hantées par de terribles cauchemars sur un monde apocalyptique où la Terre a été réduite en cendres. Logiquement inquiète, sa mère l'envoie consulter un psy, qui n'est pas vraiment en mesure de l'aider, tandis que son meilleur ami, Mac, fait office de soutien moral indéfectible, sa culture geek lui permettant d'être ouvert à toutes les hypothèses.
Une nuit, alors que les deux adolescents traînent dans un vieux centre abandonné, Paul assiste à une fusillade et à l'agression d'un homme par une bien effrayante et étrange créature. L'homme va être la première personne qu'il rencontre en mesure de lui expliquer ses aptitudes particulières. Ces créatures qu'il voit sont appelées des Fades, il s'agit de morts qui n'ont pas pu quitter la Terre (pour lesquels le processus de "l'Ascension" n'a pas pu avoir lieu pour une raison qui n'a rien à voir avec le Mal ou le Bien). Ils sont bloqués dans ce monde où nul ne les perçoit et où ils ne peuvent intéragir avec les vivants.
Mais l'un d'entre eux à trouver un moyen de briser la frontière séparant les vivants et les morts ; et avec cette intrusion sur notre Terre, c'est un avenir apocalyptique qui se profile à l'horizon. Les cauchemars prophétiques de Paul sont en marche, et le sort de l'humanité repose sur les quelques humains qui peuvent voir les Fades.
Pour introduire un univers fantastique avec ses codes et ses enjeux propres, le scénariste peut faire le choix de tout proposer clé en main au téléspectateur, à travers une rapide mise au point dès le départ, ou il peut opter pour un chemin de traverse, plus périlleux sans doute, plus flou probablement, mais aussi plus intrigant si cela est bien exécuté. The Fades opte pour la seconde option : le pilote nous plonge directement dans l'action, avec une scène d'ouverture marquante qui donne d'emblée le ton du récit, et va ensuite s'intéresser au quotidien des différents protagonistes. L'épisode suggère beaucoup - une silhouette inquiétante, des visions de cendres inexpliquées -, et distille ses explications avec parcimonie, seules deux scènes entre Paul et Neil pouvant vraiment être qualifiées d'initiatiques.
Le pilote de The Fades garde donc volontairement sa part de mystères, soulevant plus de questions qu'il n'offre de réponses, au risque d'être parfois volontairement un peu brouillon, voire confus. Cependant cela ne gêne absolument pas pour s'intéresser à un univers qui se dévoile peu à peu. Cultivant une toile de fond apocalyptico-fantastique dont les ingrédients sont relativement classiques mais très efficaces, l'épisode se charge de délivrer les premières clés d'une mythologie que l'on devine plus vaste. La mort est une thématique que le fantastique a beaucoup exploré mais qui n'a pas perdu son attrait : notons en plus qu'ici, il ne s'agit ni de zombie, ni de vampire, mais des Fades, esprits errant sur Terre mais qui demeurent - normalement - strictement séparés du monde des vivants. Et, évidemment, une Armaggeddon à empêcher reste un des enjeux les plus communs, mais aussi les plus sûrs pour s'assurer d'une tension dramatique solide.
Parallèlement à cette immersion mythologique progressive, The Fades a le mérite de réussir l'introduction de ses personnages. S'il n'y a aucune originalité dans la dynamique du duo principal, les clichés ayant la vie dure, on se surprend pourtant à s'y attacher très rapidement. Paul a tous les attributs de l'anti-héros lycéen classique, des pouvoirs qu'il rejette, n'aspirant qu'à une paisible normalité, jusqu'à une soeur populaire embarassée par ce fardeau fraternel. En proie aux doutes existentielles d'une adolescence compliquée par ces visions, il peut compter sur le soutien de son meilleur ami, fidèle et confident. Ce dernier va apporter son lot de références continuelles à la pop-culture geek. Aussi classique que cette présentation puisse sonner, c'est sans doute dans les échanges entre ces deux-là que The Fades a achevé de me rallier à elle : en effet, les réparties des deux amis introduisent un second degré typiquement anglais, s'assurant une certaine distance avec les évènements en cours et occasionnant des passages plus légers à l'humour bien dosé, auxquels il est difficile de résister.
De manière générale, on retrouve en fait dans The Fades une partie du charme des fictions fantastiques anglaises qui fonctionnent, c'est-à-dire une façon de ne pas trop en faire et surtout de ne pas se prendre excessivement au sérieux, tout en ne négligeant jamais de cultiver un sens certain de la dramatisation et de soigner l'ambiance. Le pilote mêle d'ailleurs plutôt habilement normalité et surnaturel, de manière à toujours conserver un cadre familier. C'est ainsi que, même si tout n'est pas parfaitement maîtrisé dans cet épisode à la narration parfois un peu expérimentale et aux tonalités changeantes, l'essentiel est atteint : le téléspectateur, la curiosité piquée, se prend au jeu, perçoit le potentiel des intrigues esquissées et prend rendez-vous pour la suite, voulant en savoir plus.
Sachant suggérer et introduire une ambiance fantastico-inquiétante qui s'insinue dans le quotidien terriblement typique du héros lycéen, The Fades est également solide sur la forme. On y retrouve quelques scènes horrifico-sanguinolantes qui n'auraient pas dépareillé dans Being Human, mais aussi sa part de combats mortels, mis en image plutôt sobrement, jusqu'à une opération d'un oeil qui n'ira pas sans crisper quelque peu le téléspectateur. La photographie est soignée, la réalisation bien maîtrisée s'inscrit dans la lignée des autres fictions de la chaîne. De plus, cerise sur le gâteau, la série bénéficie même d'un court générique.
Enfin, The Fades dispose d'un casting sympathique qui permet au téléspectateur de rapidement s'investir dans l'histoire. C'est Iain de Caestecker (River City, Coronation Street) qui incarne Paul, l'adolescent qui se retrouve malgré lui au coeur de cette apocalypse en devenir. Il joue parfaitement le anti-héros propulsé sur le devant d'une scène fort dangereuse. A ses côtés, Daniel Kaluuya (Skins, Psychoville) est son meilleur ami. Johnny Harris (This is England 86') est un combattant endurci qui va initier le héros au monde des Fades ; Tom Ellis (Miranda), pour le moment le moins bien exploité, incarne un prof dont la femme, jouée par Natalie Dormer (The Tudors) et qui possédait le même don que Paul, décède dans le pilote. On croise également Daniela Nardini (This Life), Claire Rushbrook ou encore Lily Loveless (Skins).
Bilan : Introduction parfois un peu brouillonne mais efficace, parvenant à poser rapidement des enjeux mythologiques qui retiennent l'attention tout en ménageant une part de mystère, le pilote de The Fades dévoile des bases fantastiques intrigantes au potentiel certain. A défaut de réelle originalité, la série se réapproprie un savoir-faire éprouvé, distribuant classiquement les rôles et s'offrant en toile de fond une fin du monde à empêcher qui retient l'attention. Aussi classique que puisse paraître une recette, l'essentiel est qu'elle fonctionne. Ce pilote de The Fades a ses atouts et donne envie de découvrir la suite, et c'est bien le principal. A confirmer !
NOTE : 7/10
La bande-annonce de la série :