AU PRINTEMPS, d'après Maupasssant

Publié le 23 septembre 2011 par Dubruel

Lorsqu’arrive le printemps,

Il nous vient un désir de bonheur,

Un besoin d’épanouissement,

Une envie d’ivresse du cœur.

Je sortis. Une rumeur gaie montait de la rue,

Une brise d’amour épandue.

 

Sans savoir comment, j’arrivai à la Seine.

Des bateaux filaient vers Suresnes.

Le pont de la Mouche était couvert de bourgeois

Car le premier soleil tire chacun de chez soi

Et tout le monde va, vient, cause avec le voisin.

 

C’était une voisine que j’avais,

Une vendeuse de magasin

À l’allure enlevée,

Une blonde mignonne et bouclée.

Sa poitrine gonflée

Provoquait une irrésistible envie

De mettre là une foule de baisers,

Pensez !

Dans sa prunelle, je vis

Le charme des tendresses dont nous rêvons,

Le bonheur sans fin que nous cherchons.

 

Quand j’allais l’aborder,

Vint un homme dégingandé :

«Votre médecin vous avertit : -l’hiver,

Mettez un cache-nez, un gros pull-over,

Portez un manteau rembourré,

Chaussez-vous de souliers fourrés. »

 

« Mais quand revient le printemps

Avec son air tiède, amollissant

Personne ne vous dit : -Prenez garde à l’amour !

Or il est embusqué tout alentour ;

À tous les coins, il vous guette ;

Toutes ses ruses sont prêtes,

Toutes ses armes aiguisées,

Toutes ses perfidies organisées !

Prenez garde à l’amour !...

Prenez garde à l’amour !

Il est plus dangereux que la bronchite,

Le rhume, l’otite

Voire la pleurésie ! »

 

De ces paroles, je demeurais saisi.

Il poursuivit : « Oyez,

Monsieur !

Si dans un endroit dangereux,

Je vois qu’un homme va se noyer

Vais-je le laisser périr ?

Vous allez mieux saisir :

C’était l’année dernière.

Je gagnais la rivière.

Il faisait un temps comme aujourd’hui.

Je pris la Mouche pour Poissy.

J’aimais le bateau, la Seine, tout,

Les arbres, les maisons, mes voisins, tout.

J’avais envie

D’embrasser n’importe qui.

C’était l’amour qui préparait

Ses rets.

Une jeune fille monta à Saint-Germain

Tenant un paquet à la main.

Face à moi elle s’assit.

Que les femmes sont jolies

Au premier printemps !

Je la regardais.

Elle me regardait.

Il m’a semblé que nous nous connaissions

Suffisamment pour entamer la conversation.

Je lui causais.

Elle me grisait.

À Poissy, elle descendit.

Je la suivis.

La douceur de l’air nous arrachait des soupirs.

-Si on allait au parc de loisirs ?

Dis-je à ma compagne qui gambadait.

Elle commençait à m’obséder.

Est-on bête, monsieur, par moments !

Puis elle chanta éperdument

Et des airs d’opérettes

Et la chanson Musette.

Oh, que cette musique m’a troublé la tête !

Monsieur, ne prenez jamais

Une femme qui chante Musette.

Jamais !

Ensuite, je lui saisis les mains lentement.

Nous nous regardâmes longuement.

Oh, son œil, comme il m’a envahi !

Il semblait plein de promesses, d’infini !

Après un quart d’heure,

Dans mes bras, je pris la belle.

Je m’agenouillai près d’elle

Et lui ouvrit mon cœur.

Elle parut étonnée.

Je la sentis imaginer :

Il se joue de moi. Eh bien, allons !

 

En amour, nous sommes toujours trop bons

Et les femmes sont d’excellentes commerçantes.

Vous allez voir plus tard ma tourmente.

Moi, je ne voulais pas un corps.

Je cherchais de la tendresse encore et encore.

Je fis du sentiment

Quand j’aurais dû mieux employer mon temps.

 

Nous rentrâmes. Elle me dit :

-En voilà une après midi !

Mon cœur battait la chamade.

Le dimanche d’après,

Elle accepta une nouvelle promenade.

Je l’emmenai en forêt.

Nous avons filé le parfait amour

Pendant des jours.

Elle me la faisait à la passion.

Deux mois plus tard, nous nous unissions.

 

Une semaine après, elle ne comprenait plus rien.

Elle ne savait rien,

Jacassait sans arrêt,

Confiait à la bonne nos secrets,

S’ébattait avec la domesticité,

Racontait au concierge nos intimités,

Me débinait chez son médecin.

Elle appréciait tant les racontars crétins,

Se nourrissait d’avis si boiteux,

Accumulait tellement de préjugés douteux

Que j’en pleurais de découragement. »

 

Le bateau s’arrêtait.

La petite femme qui m’avait troublé

Se levait et sur le quai sautait.

Pour la suivre, je m’en allais

Quand l’homme me saisit le bras,

Me tira :

-Monsieur, n’y allez pas !

C’est un service que je vous rends là !

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 En amour, il n’y a que les commencements qui soient charmants ;

c’est pourquoi on trouve du plaisir à recommencer souvent.

Prince de Ligne