Le vieil homme
il est facile à découvrir
comme un bloc dur,
incapable de s’enfuir,
blotti à l’ombre d’une glycine dans le parc
il est assis
dans une pose ne permettant que le minimum de mouvement,
léchant tranquillement mon visage, mes larges épaules et mes muscles solides
de son regard avide
je hais : son pantalon court,
sa bouche qui bave
et sa conscience blanchie
qui ne s’en rend pas compte
sous le seul prétexte que je n’y ai jamais été
je crache sur son univers,
sous le seul prétexte qu’il en est depuis longtemps exclu
je protège mon univers,
je ne pourrais lui pardonner une intrusion
ne serait-ce que d’un pas
soudain je le regarde, à l’instant il détourne péniblement
son regard vers le bas de la glycine
touchant sans cesse sa canne de la main,
la bouche béante
comme s’il allait dire quelque chose,
comme si par cela seul qui lui reste dans le corps
il était gêné
Neige dans la ville - Gravure d’hiver 2
Dans la ville, comme en guerre, la neige tombe. Les gens se groupent ici et là sous les réverbères et époussètent la neige. Où puis-je aller pour épousseter mon âge ? Le champ de fleurs du beau souvenir du printemps passé est-il toujours plein de fleurs de radis qui flottent ? Dans ce champ partout désert, sais-je si, courant tout le long d’une corde de paille, les pétales pourris pleurent en se rassemblant?
Nous étions debout sur un pont de chemin de fer dans le brouillard de l’aube. En faisant voler des milliers de mouchoirs blancs, la neige courait vers l’embouchure du fleuve. Et tu dis : je vois de l’eau. Un bleu étrange sous une couche de glace. A l’instant où je me cache le visage dans les mains, ils sont précieux, tes rires étincelants d’argent qui tombent.
Vois-tu une nuée d’oiseaux qui fond dans le brouillard en prenant la couleur de l’eau ?
C’est nous...
La mort de l’oncle – Gravure d’hiver 4
Cette année-là, comme il neigea abondamment ! Vers la fin de l’hiver, une forte neige tombant à verse au bas de la colonne de mercure. Jusqu’alors, je ne savais pas pourquoi les gens disparaissaient et ne rentraient plus. Dans la journée, les rafales de neige s’amoncelaient de plus en plus autour de la pauvreté, mais, la nuit, des morceaux de glace scintillants s’enfonçaient partout dans l’air. Les adultes dormaient la bouche ouverte. Les enfants ont escaladé à toute vitesse la clé de sol, et cette nuit-là, la toux sèche de l’oncle s’est noyée au plus bas de la gamme et n’est plus remontée à la surface de la partition. Et je n’oublierai jamais la nuit que j’ai passée à jouer du xylophone en fer.
Trois poèmes de Une feuille noire dans la bouche, unique recueil, posthume, de Ki Hyung-do (1960-1989) traduits du coréen par Ju Hyounjin et Claude Mouchard)
note biographique sur Ki Hyung-do
[Claude Mouchard]