A écouter et lire ces medias, c’est encore une fois l’Europe qui est en
cause puisqu’elle aurait décidé de couper brutalement l’aide alimentaire
accordée à ces associations. A écouter et lire ces medias, c’est la survie même
des restos du Cœur ou du Secours Populaire qui est en jeu ou en tout cas, le
sort de millions de repas distribués chaque hiver aux plus démunis de nos
compatriotes !....c’est en tout cas ce que j’en ai compris à l’écoute des
quelques radios que j’ai pu écouter s’exprimer sur le sujet.
Bien évidemment, la première réaction de tout homme de cœur, et gageons
qu’elle fut partagée par un grand nombre d’auditeurs, fut de se révolter contre
ce qui parait être une infamie européenne. Pour ceux pour lesquels l’Europe
n’est de toute façon qu’un suppôt du capitalisme ultralibéral prête à
distribuer des milliards à ses banques tout en laissant ses pauvres crever la
bouche ouverte et le ventre vide, ce n'a été qu’une confirmation et une
occasion supplémentaire de crier haro sur le baudet européen. Pour les autres,
dont je fais partie, ce fut une surprise teintée de déception.
Plus précisément ce fut une double surprise. La première fut d’apprendre
(d'en déduire), que les Restos du Cœur ou le Secours Populaire étaient en fait
largement subventionnés par la Communauté Européenne, la seconde étant
d’apprendre que ces subventions allaient disparaitre.
A ce stade là, c'est-à-dire dans les minutes qui suivirent la diffusion de
cette information, je me retrouvais désolé de cette décision mais également
exaspéré que l’on fasse beaucoup plus de publicité à la suppression de ces
subventions qu’ont en a fait à leur existence même. Comme souvent avec
l’Europe, les mauvais cotés sont mis en exergue et les bons totalement ignorés,
sinon niés par ceux qui veulent les reprendre à leur compte.
Pourtant, après avoir creusé un petit peu le sujet, je me suis rapidement
aperçu que mon interprétation de l’information était en grande partie
erronée.
A écouter les réactions je m’imaginais que le coup pouvait être quasi fatal
pour les associations concernées et en conséquence, que leur survie dépendait
en grande partie des subventions européennes.
Or, en allant sur leur
site, j’ai pu constater que l’Europe ne contribue qu’à hauteur de 13,5% aux
ressources des Restos du Cœur ce qui relativise un petit peu les conséquences
d’un assèchement des dites subventions.
Ensuite, j’ai voulu comprendre pourquoi l’Europe avait soudainement pris la
décision d’endosser des habits d’affameurs de pauvres.
Historiquement, le programme PEAD (comme Programme Européen d'aide
Alimentaire aux plus Démunis) a été lancé dans l'urgence lors de l'hiver
exceptionnellement froid de 1986/1987, lorsque des stocks excédentaires de
produits agricoles furent donnés à des associations caritatives des États
membres pour qu'elles les distribuent aux personnes qui étaient dans le besoin.
Par la suite, cette mesure a été officialisée et basée sur les stocks
d'intervention.
La réforme de la politique agricole commune (PAC) ayant rendu de plus en
plus inutiles les stocks d'intervention, ce programme a été alimenté par une
contribution financière directe.
A partir du plan de 2008 et sur une base triennale, la Commission a décidé
d'allouer une enveloppe financière aux associations caritatives agréées afin
qu'elles puissent acheter de la nourriture sur le marché.
Ainsi, d’une distribution des surplus agricoles, on est passé à un système
de subventions. Subventions qui ont d’ailleurs largement augmenté puisque
passées de près de 100 millions d'euros en 1988 à plus de 500 millions d'euros
en 2009. C’est donc à cause de ses origines que le PEAD s’inscrit dans le cadre
de la PAC.
C’est dans ce contexte que 6 pays menés par l’Allemagne ont saisis la Cour
Européenne de Justice pour remettre
en cause ce programme. En substance leurs arguments sont, d’une part que ce
programme n’a rien à faire dans une PAC déjà fort couteuse et d’autre part que
c’est à chaque pays d’assurer la subsistance de ses pauvres. Je vous passe
l’argumentation juridique mais la Cour Européenne de Justice a effectivement
considéré les arguments des abolitionnistes recevables et rendu ce programme
illégal.
Pour autant, ce n’est parce que les grands méchants allemands demandent la
suppression du PEAD qu’ils ne font pas preuve de solidarités vis-à-vis de leurs
nécessiteux.
Les allemands ne profitent pas du programme PEAD, leur
système s’appuie essentiellement sur les dons privés à travers de multiples
associations. La philosophie de leur modèle est de redistribuer aux plus
pauvres l'excédent produit par la société.
Concrètement, cela prend la forme d’accords avec de grandes enseignes de
distribution ainsi qu'avec des producteurs et des magasins d'alimentations
locaux, qui offrent leurs surplus. Les associations sont également aidées par
les gouvernements régionaux et les communes pour le côté logistique (camions,
les lieux de stockage et de distribution).
Du coup, d’une première réaction marquée par l’indignation voire la colère,
j’en arrive à considérer les arguments des allemands et des 5 autre pays comme
tout à fait recevables.
Certes je regrette fortement le mauvais symbole et la soudaineté de la
chose. L’image de l’Europe va encore en pâtir et le moins que l’on puisse dire
c’est que le moment est mal venu. De plus, il aurait été préférable qu’une
période d’adaptation (la fin étant prévue dès 2012) soit laissée aux
associations et aux Etats afin de leur permettre d’assurer la transition sans
baisse globale de leurs ressources. Pour autant, je suis persuadé, d’une part
qu’à budget égal, les aides sont mieux gérées au niveau national sinon local et
d’autre part qu’effectivement, ces subventions n’ont rien à faire au sein de la
PAC…sinon même dans un programme européen.
Je tire de cette histoire quelques conclusions personnelles dont je vous
fait profiter:
On le savait déjà, mais on a encore la preuve qu’une information diffusée
brute de fonderie, avec un seul point de vue et sans éléments de contexte, peut
amener à des réactions, conclusions et indignations excessives sinon
erronées.
De manière générale, j’y vois encore une fois la confirmation qu’il faut se
méfier de tout ce qui peut laisser croire qu’il y a les bons d’un coté (nous)
et les méchants de l’autre (l’Europe, les Allemands…). Même et surtout dans des
situations qui semblent en apparence d’une simplicité biblique.
Enfin, méfions nous des jugements moraux hâtifs, qui, justement parce qu’ils
font appel à la morale, sont considérés comme incontestables et se substituent
trop souvent à une véritable réflexion.