En tapant « amazone » sur Google, pour voir …. Passé Wikipédia, j’ai découvert qu’elles vivaient encore aujourd’hui, là parmi nous, dans le silence. Ce sont bien elles avec un seul sein, guerrières… mais d’un autre genre. Leur combat a été intérieur, l’ennemi invisible, sournois, violent, ayant exigé jusqu’au sacrifice de leur sein, parfois d’avantage.
Comment ne pas tomber sous le charme de leur site www.lesamazones.fr ? De leurs propos coulent douceur, force, courage, féminité, humour, asymétrie, … J’ai eu envie de les contacter.
Annick Parent a créé l’association « Les Amazones s’exposent » en 2007 avec une amie Amazone, Lillian Stirling et deux artistes Monique Riond et Sylvie Rabant.
Annick m’apprend qu’il y a plus 50000 femmes qui ont un cancer du sein en France par an. Environ 15000 ont une ablation du sein, 20% vont vers une reconstruction mammaire alors que 80% font le choix de rester asymétriques.
Les médias et les hôpitaux nous parlent de la reconstruction mammaire comme allant de soi. Pourtant, les chiffres parlent. La grande majorité des femmes ayant subi une ablation du sein n’a pas envie d’une reconstruction chirurgicale.
Que sait-on des femmes qui vivent avec un seul sein, ces femmes asymétriques, nos Amazones des temps « modernes »? Pas grand-chose. Et c’est pour cette raison que l’association en toute légitimé a été créée.
Notre action est sociétale, pour pouvoir faire un choix éclairé – reconstruction ou pas reconstruction - il faut avoir toute l’information. Cela sonne comme une lapalissade et pourtant ? La femme asymétrique reste un tabou, on n’en parle pas à l’hôpital, ni dans la presse. Ici encore le poids des médias est très important.
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Changer le regard sur le cancer et notamment l’ablation du sein
Le point de départ pour la femme c’est son cancer du sein. Les questions qui viennent sont, est-ce que je vais être assez forte pour supporter la douleur, la chimio, les rayons, l’ablation ? Le mot est dit. Comment vit-on avec un seul sein ? Les femmes ont besoin d’explications, de représentations, de références… Beaucoup se sentent seules par manque d’informations sur le devenir asymétrique, parce que personne ne leur a dit qu’il y a plus de 250 000 Amazones en France.
Quand on vous annonce que vous avez un cancer, vous êtes assommée, puis que vous allez avoir une mammectomie… Là, vous l’êtes doublement. Dans trop d’hôpitaux on vous présente la reconstruction comme la seule réponse proposée et attendue par la société. Rien d’autre. Silence, pas d’image, pas de prise de vues d’une femme au corps asymétrique quelques années après l’opération, quand la vie a repris le dessus et que la cicatrice s’est estompée.
La reconstruction est d’ordre psychologique
Quand on fait une ablation du sein, il faut savoir qu’ils enlèvent tout et même très largement autour de la tumeur pour plus de sécurité. Il n’y a plus rien, la peau est tendue sur les côtes. Une cicatrice d’environ 20 cm s’affinera avec le temps…
Le combat a commencé et plus vite la partie est gagnée plus vite les femmes reprendront le cours de leur vie. Seule une minorité fera le choix de se faire hospitaliser de nouveau.
Il y a une confusion entre la reconstruction mammaire qui est du ressort de la chirurgie réparatrice et l’augmentation du volume des seins qui est de la chirurgie esthétique. Précisons, s’il le fallait, que l’état de santé et psychologique d’une femme qui a été atteinte par un cancer du sein n’est pas le même que celui d’une femme qui a pour préoccupation la taille de ses nouveaux bonnets.
La perte d’un sein c’est charnel, physique avec un impact psychologique très fort… et pourtant, que de raccourcis, de dérapages, de confusions chez ceux qui ont la parole.
Je pense que pour bien des soignants travaillant en sénologie, il y a un besoin de « réparer » les femmes à qui on a fait une ablation d’un sein, avec la conviction qu’en refaire un va régler le problème. Il y a une confusion, la reconstruction est d’ordre psychologique, même si pour certaines cela passe par de la chirurgie réparatrice. La chirurgie seule ne peut pas tout régler.
Les violences surajoutées
Les techniques concernant la reconstruction mammaire ont fait de grandes avancées. Aussi, quand on parle d’ablation il y a dans l’esprit collectif un automatisme à penser reconstruction. Il est légitime de vouloir remettre en place ce qui vient d’être enlevé, d’avoir envie de reconstituer ce qui a dû être retiré. Seulement, est-on bien sûr que réparer ainsi soigne en profondeur, est-on certain que cela convienne systématiquement aux femmes? Que leur propose-t-on comme alternative? Les conséquences d’une reconstruction sont elles discutées dans ses moindres détails?
Pour information, la durée de vie de la prothèse est éphémère, une décennie en moyenne. Par conséquent, tous les 10 ans les femmes doivent repasser sur la table d’opération avec toujours des prises de risques. Quand il n’y a pas eu de rejet avant …
Les médecins font bien leur travail pour enlever la tumeur, ou faire la mammectomie si c’est nécessaire, mais quant à la question de refaire ou pas un volume, ce n’est plus de l’ordre strictement médical. Les femmes devraient toujours avoir le temps d’y réfléchir avec toutes les informations sur les différentes possibilités chirurgicales, mais aussi sur le devenir asymétrique.
Ce silence sur la vie après le cancer, sur le choix fréquent de rester asymétrique, sur l’acceptation de la perte d’un sein par beaucoup de femmes ainsi que leur compagnon, ce silence fait partie de ce que j’appelle « les souffrances surajoutées ». On doit faire bouger cela!
Palier au déficit de représentation
Il y a une gêne sur l’asymétrie, il n’y a pas de belles images à l’hôpital ou alors des photos de femmes – « troncs », qui s’arrêtent à la taille. Les photos qui circulent sur la mammectomie sont souvent des clichés pris juste après l’opération quand la cicatrice est très visible, alors qu’avec le temps elle s’estompe et devient comme un fil.
L’idée est de changer le regard sur la maladie et notamment l’ablation du sein, apporter plus de tolérance sur la femme asymétrique… à travers l’art.
Ayant perdu un sein, j’ai été mise « hors-jeu » par rapport aux critères de beauté, cette mise en marge m’a amenée à réfléchir et à prendre de la distance avec les normes.
L’art est l’interface, il permet de dire des choses, permet d’apprivoiser la différence à travers des expositions de sculptures, peintures, photographies, vidéos. L’une des membres de l’association est comédienne, elle fait des lectures-spectacles.
Leur site www.lesamazones.fr est là aussi pour cela. Quelques Amazones ont joué le jeu de poser torse nu, en y mettant beaucoup d’humour et de tendresse, sans tomber dans le pathos. Par leur courage et leur joie retrouvée, elles transmettent à des milliers de femmes des messages de réconciliation, d’acceptation et d’espoir.
© Les Amazones s'exposent
C’est la différence qui fait peur
A travers des expositions elles permettent au grand public d’apprivoiser cette différence. Contrairement à ce qu’on dit, les enfants sont beaucoup plus ouverts, ce n’est pas un problème pour eux. On les voit jouer avec la prothèse de leur maman revenue à la maison, elle n’a plus qu’un sein mais elle est guérie.
On reste toujours la maman de…, la fille de …, la femme de …
Et pourtant, il n’est pas toujours évident pour une femme qui refuse la reconstruction d’entendre de son praticien « Vous vous rendez compte, vous allez voir ça dans votre glace tous les jours ! » ou « Mais est-ce que vous vous sentez encore une femme ? » …
On est chacun inscrit dans une identité sexuelle, on en est pétri. On n’en change pas parce qu’on perd un membre. Après l’ablation d’un sein, la question pour la femme est « est-ce que je vais encore plaire ? » et non « suis-je encore une femme ? » C’est une question de désir, il faut s’accepter déjà pour pouvoir plaire à nouveau. Ce n’est pas une question d’identité sexuelle !
Sentiment d’appartenance
L’idée est de donner une place et faire reconnaitre leur existence. Oui les Amazones existent !
Quand on sait qu’on n’est pas la seule à vivre avec un sein unique, on a un sentiment d’appartenance au monde des Amazones qui nous aide à mieux vivre notre différence. Celles qui sont engagées dans l’association ont ce même sentiment, avoir accepter notre différence nous a rendues plus libres qu’avant. Traverser cette épreuve nous a changées, quelque chose s’est radicalisé. Notre humour n’est plus tout à fait le même, plus radical peut-être, mais très présent.
Il y a un retour de situation où la femme trouve une liberté dans laquelle elle n’était pas avant. Et puis, entre elles de belles amitiés continuent de se créer. Leurs expériences analogues font apparaître des complicités fortes. Certains soucis du quotidien n’ont plus les mêmes importances. Oui un sentiment de liberté s’installe et avec lui une force qu’elles n’avaient pas auparavant.
Attention, ne nous méprenons pas ! Le cancer est une « vacherie », j’aurais préféré y échapper, mais on peut en tirer quelque chose, c’est de l’ordre de l’initiation. Cette traversée de la maladie grave et la perte d’une partie de son corps conduit à une radicalisation de ce qu’on est.
Annick, à toutes les femmes …
Notre société nous pousse à être constamment insatisfaites et à consommer pour ressembler à une image inaccessible. Que de souffrances pour rien! J’aimerais que les femmes puissent vivre avec plus de légèreté. Quand je vois le rapport que beaucoup d’entre nous avons avec notre poids… Seule une minorité s’accepte comme elle est, tellement il est difficile de prendre du recul avec la pression médiatique sur «l’être femme ».
Si je peux formuler un souhait pour les femmes ?
Essayer de mesurer les choses à l’aulne de la vie, et ne pas trotter comme un lapin après une carotte qu’on n’attrapera jamais. Se centrer plus sur l’être que sur le paraître.
La vie est une petite poignée de sable qui ne cesse de s’écouler entre nos doigts, l’important est d’en profiter, là, maintenant, pas demain…
Elleveutoo …
Cet entretien avec Annick a eu lieu début Juillet. Il me semblait alors que je pourrais mettre ce témoignage en ligne les quelques jours suivants et partir en vacances. Quelle douce rêverie… J’avais minimisé les conséquences dans mon fort intérieur de telles vérités !
Alors, je me suis laissée le temps d’accueillir toutes ces informations pour pouvoir les poster un jour… En moi, des sentiments s’entrechoquaient. Ne pas passer à côté de leurs messages, ne pas les blesser (encore) par des raccourcis ou des oublis. Et ce besoin et cette volonté de parler, communiquer, continuer à transmettre leurs messages bienfaiteurs pour nous toutes !
Et puis, il y a des petits coups de pouce comme celui où, face à l’océan allongée sur ma serviette, je m’arrête sur cette phrase tirée d’une interview de Sophie Fontanel pour la sortie de son nouveau livre (ELLE – 19/08/11). « Paradoxalement, plus tu avoues que tu es à part, plus tu rejoins les autres, parce que finalement tout le monde se sent à part mais personne ne le dit ».
A vous toutes et à vous tous qui vous sentez à part … à tout le monde alors ?
Les Amazones existent et elles s’exposent!
L’association est éphémère, elle s’arrêtera quand on parlera des Amazones « sans pathos », quand ce ne sera plus ni tabou ni stigmatisant d’avoir un seul sein. (Annick Parent)
Un immense merci à Annick Parent pour sa disponibilité et la minutie de ses conseils apportés au fil de nos mails… Annick est également auteure du livre :
« Cancer du sein, un témoignage : Itinéraire d’une amazone »
(éd.2e Editions, 2010).
Vous pouvez rencontrer L’association Les Amazones S’exposent …
Du 6 au 14 octobre à Amiens :
Exposition à la Maison Prévention Santé.
Soirée-débat (vidéo et lecture-spectacle) le mardi 11 octobre 2011 de 18h à 20h, ouverte au public, gratuite.
Le 20 et 21 octobre à Néris-les-Bains :
Congrès organisé par le Centre Hospitalier de Montluçon : « Le corps en vie »
Intervention à 10h30 le 21/10.
Dimanche 9 Octobre sur le port de Vannes 3000 femmes disent non au cancer
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