Jusqu'à la dernière minute, on a cru à un nouveau report. Jusqu'à la dernière seconde, le prisonnier noir condamné pour le meurtre d'un policier blanc a clamé son innocence. Mercredi soir, Troy Davis s'est fait servir un cheeseburger, accompagné de patates au four, de haricots et de chou, un cookie et un verre de jus de raisin. Le repas du jour de la prison de Jackson, en Géorgie. L'américain de 42 ans a repoussé cette «faveur» qu'est le menu spécial accordé à ceux qui sont arrivés au bout du couloir de la mort. «Il a continué à insister sur le fait que ce n'était pas son dernier repas», a expliqué le révérend Raphael Warnock, de l'Eglise baptiste Ebenezer d'Atlanta. Dans l'antichambre de la mort même, Troy Davis a continué d'insister sur le fait qu'il était innocent du meurtre de Mark MacPhail, pour lequel il a été condamné à la peine capitale il y a 20 ans. «Je ne suis pas responsable de ce qui s'est passé cette nuit-là. Je n'avais pas d'arme à feu», a-t-il dit, avant de s'adresser aux membres de la famille du policier assassiné venus assister à l'exécution : «Ce n'est pas moi qui ai tué votre fils, votre père ou frère. Je suis innocent». A 23h08, heure local, Troy Davis était exécuté par injection létal. Malgré la mobilisation des derniers jours, des dernières heures, les manifestations devant la Maison blanche, comme devant la prison, les appels des internautes et des médias à revoir un dossier incertain, l'irrémédiable sentence a été appliquée. Au fil des années, Troy Davis, archétype de l'afro-américain condamné à tort pour les médias, était devenu un symbole de la lutte contre la peine capitale. Dans la nuit du 18 au 19 aout 1989, l'officier Mark MacPhail, hors-service mais assurant du gardiennage, est abattu sur le parking d'un Burger King de Savannah, dans le sud-est de la Géorgie. Intervenu pour mettre fin à un début de bagarre, cet homme marié et père d'une enfant de 2 ans et d'un nouveau-né reçoit deux balles ; une dans le cœur, une dans la tête. Il avait 27 ans. Accusé par un de ses amis et recherché par la police, Troy Davis se rend quatre jours plus tard. L'arme du crime ne sera jamais retrouvée, mais neuf témoins permettent la condamnation à mort du jeune homme de 23 ans, en 1991. Depuis, l'exécution a été repoussée deux fois et le dossier n'a cessé de s'affaiblir. Troy Davis a attendu six heures dans la chambre d'exécution Sept des neuf témoins se sont rétractés, dénonçant des pressions policières - comme en atteste la comparaison effectuée par l'«Atlanta Journal Constitution» entre leurs déclarations de l'époque et leurs dépositions devant le bureau des grâces, lundi. «J'étais tellement effrayé que je leur ai dit ce qu'ils voulaient entendre», a notamment expliqué l'un d'entre eux. Parmi les deux témoins qui n'ont pas changé leur version, l'un fait aujourd'hui office de principal suspect... L'affaire a donné lieu à de multiples recours et la Cour suprême des Etats-Unis avait demandé en août 2009 un autre procès pour examiner les nouveaux éléments et témoignages mis en avant par la défense. La justice de Géorgie avait confirmé la culpabilité de l'accusé un an plus tard. Dans une interview mercredi à CNN, Spencer Lawton, procureur de l'époque a soutenu que Troy Davis avait toujours eu droit à une procédure équitable, et que le public, comme les médias ne connaissait pas les preuves le condamné. «Il y a deux dossiers Troy Davis», a-t-il souligné. «Il y a le dossier légal et le dossier public. Nous avons toujours gagné au tribunal, nous avons toujours perdu dans la relation avec le public».
Spencer Lawton, qui a dit ne pas être pour la peine de mort mais avoir appliqué la loi de l'Etat, a toutefois concédé qu'il n'aura surement pas pu condamner Troy Davis si sept des témoins avaient eu une autre version. Ce doute raisonnable que l'on a beaucoup commenté récemment, était permis. Mais déjà condamné, Troy Davis ne pouvait bénéficier de la présomption d'innocence. Aux abords de la prison, à Jackson, plusieurs centaines de personnes s'étaient rassemblés mercredi en espérant que la sentence ne serait pas exécutée. Devant la Maison blanche d'autres manifestants appelaient le premier président afro-américain à intervenir. En vain. Un dernier recours déposé dans la journée devant la Cour suprême des Etats-Unis avait relancé un fol espoir à la dernière minute. La sentence a été suspendue peu avant l'heure prévue à 19h. Après 22 ans dans le couloir de la mort, Troy Davis a passé plus de six heures dans une chambre d'exécution, à attendre son sort.
Il a fallu à la Cour suprême plus de quatre heures pour rendre son avis, délai inhabituellement long pour ce genre de cas. A 22h18, ses avocats annoncent que l'appel a été rejeté. Troy Davis reçoit une première injection à 22h53. Il est déclaré mort à 23h08. Ses derniers mots furent : «Je voudrais m'adresser à la famille MacPhail. Je voudrais que vous sachiez que je ne suis pas celui qui a tué votre fils, votre père, votre frère. Je suis innocent. L'incident qui est arrivé cette nuit-là n'est pas ma faute. Je n'avais pas d'arme. Tout ce que je demande... c'est que vous regardiez plus profondément dans le dossier, pour que vous puissiez finalement voir la vérité. Je demande à ma famille et à mes amis de continuer ce combat. Pour ceux qui s'apprêtent à prendre ma vie, que Dieu ait pitié de vos âmes. Et que Dieu bénisse vos âmes». Devant sa maison, la mère de Mark MacPhail, s'adressant aux caméras de télévision, a dit qu'il n'y avait pas de quoi se réjouir. «Ce n'est pas bon pour les deux familles, de souffrir ainsi». Justice a été rendue, a-t-elle tout de même estimé. Rien n'est moins sûr.
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