Traduit et condensé de la revue IMPRIMIS publiée par le Hillsdale College (Michigan)
Je vis en Europe et je n’ai aucune raison de vous décrire l’Europe d’aujourd’hui sur un ton d’optimisme béat. Beaucoup de gens en Europe sont conscients de la gravité du problème auquel nous sommes confrontés. Ce problème n’est pas une conséquence de la crise, mais la crise l’a rendu criant. En qualité d’économiste, je le considère comme un problème structurel qui ne s’éteindra pas par lui-même.
Après la 2ème guerre mondiale, l’Europe a connu une longue période d’intense développement et de grande prospérité. Pourquoi est-ce si différent aujourd’hui ?
J’y vois le résultat de 2 phénomènes concomitants :
- d’une part le processus d’intégration européenne,
- d’autre part l’évolution du système économique et social européen.
Ces deux phénomènes ont subi de profonds changements dans cette ambiance de « meilleur des mondes », où nous évoluons vers une société de plus en plus permissive, opposée au marché, et nourrie de redistribution ; une société qui a oublié les valeurs sur lesquelles l’Europe a construit sa grandeur.
Je commencerai par le processus d’intégration. Beaucoup de gens acceptent l’idée que l’affaiblissement des états-nations et le renforcement d’institutions supranationales vont dans la bonne direction.
Au départ, dans les années 1950, l’idée directrice était que cette intégration permettrait de faire sauter les barrières aux frontières et de favoriser la libre circulation des biens, des services, des idées, et des hommes.
Mais l’intégration européenne prit un tournant décisif avec le traité de Maastricht en décembre 1991. Les intérêts politiques qui ambitionnaient de créer un super-état européen commencèrent à prendre le dessus. L’intégration se transforma en unification. La libéralisation du début déboucha sur une centralisation des décisions, l’harmonisation des législations, et le renforcement des institutions européennes aux dépens des états-membres. Depuis lors les états ont été systématiquement affaiblis en oubliant que les états sont le seul cadre où la démocratie est effectivement possible.
Le problème européen le plus visible actuellement est celui de l’union monétaire, qui fut présentée comme la réalisation concrète la plus importante à la suite du traité de Maastricht. Or cette union monétaire n’a pas apporté les effets positifs qu’on en attendait.
L’Euro était supposé accélérer la croissance, réduire l’inflation, et protéger les états-membres contre les chocs exogènes.
Cela n’a pas marché. Après l’introduction de l’Euro, la croissance des pays membres s’est ralentie et la Zone Euro s’est retrouvée à la traîne des autres pays développés. D’autre part les déséquilibres monétaires et commerciaux se sont accrus et non réduits. Enfin aucun signal n’indique une quelconque homogénéisation des économies des états-membres.
A mon avis l’idée d’une monnaie européenne unique était une grave erreur. Elle créerait d’énormes problèmes économiques et sociaux, et conduirait inéluctablement à une centralisation anti-démocratique de l’Europe.
A mon grand regret, c’est exactement ce qui s’est produit. La Zone Euro qui regroupe 17 pays n’est pas une zone homogène, au sens de la théorie économique. Au cours des dernières années, les effets négatifs d’une monnaie unique imposant des taux de change fixes et intangibles entre des pays aux évolutions économiques différentes, ont été de plus en plus évidents.
Il est difficile de spéculer sur l’avenir de l’Euro. Je suppose qu’il ne s’écroulera pas à cause de l’enjeu politique qu’il représente. Il continuera d’exister, mais à un prix très élevé en termes de transferts fiscaux entre pays, et en termes de faible croissance économique.
La seconde cause des difficultés actuelles de l’Europe vient de la faible performance de son système économique et social. Ce système se caractérise par de généreux avantages sociaux, un nombre réduit d’heures de travail, un âge élevé d’entrée dans la vie active, et un âge bas de départ en retraite. Tous ces facteurs se conjuguent pour diminuer considérablement la force de travail disponible, et ont conduit à une croissance économique apathique.
En Europe nous avons assisté à un basculement progressif d’un système d’échanges libérés, vers l’introduction d’une masse de règlements venus d’en haut, d’un système social en expansion boulimique, de nouvelles formes de protectionnisme, et d’un alourdissement des règles de conduite des affaires. Tous ces facteurs affaiblissent et restreignent la démocratie, la liberté, le goût d’entreprendre, et l’efficacité économique.
Les Européens d’aujourd’hui préfèrent le loisir au travail, la revendication collective à l’effort individuel, la sécurité au risque, le protectionnisme au marché libre. La liberté économique n’a, à leurs yeux, qu’une faible priorité. Ils donnent l’impression de se détourner du capitalisme et du libre marché sans se rendre compte que leur comportement sape les bases de ce qui a fait leur force dans le passé.
Si j’en juge par votre passé récent, vous-mêmes Américains, êtes sur le point de suivre la même voie. Puisse le spectacle de l’Europe actuelle vous aider à retrouver votre grande tradition de liberté.