Les Européens et la stratégie « Europe 2020″ : des objectifs convaincants et réalisables, mais insuffisants ?

Publié le 21 septembre 2011 par Delits

Les aléas de la crise économique et financière, d’une violence et d’une soudaineté rarement observés, représentent un véritable challenge pour les instituts qui souhaitent dresser un état des lieux des perceptions de la crise par nos concitoyens. Les évènements se succèdent en effet à un rythme particulièrement soutenu, compliquant fortement la collecte et le traitement de données à jour sur la crise et ses répercussions dans l’opinion.

Aussi le basculement vers un point de vue prospectiviste peut-il s’avérer particulièrement utile, qui force autant que faire se peut les interviewés à se soustraire aux évènements du quotidien et à adopter une perspective de long terme. Une perspective d’autant plus pertinente que la Commission Européenne a lancé en mars 2010 sa stratégie “Europe 2020”, avec pour objectif de sortir de la crise actuelle en se préparant aux enjeux de la décennie 2010-2020.

Cette stratégie s’articule autour de sept priorités : innovation, jeunesse, Internet, énergie, industrie, emploi/formation et lutte contre la pauvreté. Toutes sont déclinées en autant d’objectifs, testés dans la dernière livraison de l’Eurobaromètre, dont le terrain a eu lieu au mois de mai 2011.

Des domaines et objectifs afférents en relative adéquation avec les attentes des Européens

Premier constat, les initiatives de la Commission semblent se poser en relative adéquation avec les attentes des Européens, qui pour la plupart (6 sur 7) les jugent majoritairement importantes. Dans le détail, trois domaines et leurs objectifs afférents sont jugés importants par au moins trois européens sur quatre :

  • La lutte contre la pauvreté : 79% (+3 points en un an) jugent important d’aider les gens pauvres et socialement exclus et leur permettre de prendre une part active dans la société. Afin d’y parvenir, les Européens privilégient d’assurer la pérennisation de la protection sociale et l’amélioration de l’accès aux soins (40%, +1), puis le fait de proposer aux plus vulnérables des opportunités de formation et de qualification (31%, -1) et enfin de combattre la discrimination et aider les populations à risque (familles monoparentales, minorités, handicapés etc.). Quelque peu conservateurs, les Européens en appellent donc davantage à la préservation des structures de solidarité existantes qu’à une véritable stratégie de lutte contre les inégalités.
  • L’emploi et la formation : 79% (+3) jugent important de moderniser les marchés de l’emploi en visant l’augmentation du niveau des emplois. Dans cette optique les Européens font le choix de la promotion de la formation continue (42%, +1), devant l’aide à l’adaptation aux nouvelles conditions de travail et aux changements de carrière (38%, -1) et la préservation du droit au travail dans un autre pays que le sien (18%, stable). C’est donc l’accompagnement des travailleurs qui est promu par les Européens, loin devant la mobilité intra européenne.
  •  La promotion des énergies renouvelables : 76% (+3) jugent important de soutenir une économie qui utilise moins de ressources naturelles et émet moins de gaz à effet de serre. Un objectif qui doit d’abord passer, selon les Européens, par la promotion des énergies renouvelables (39%, +2) puis par l’attribution d’une aide financière aux petites entreprises et aux ménages pour rendre leur consommation énergétique plus efficace (32%, +1) et enfin par la diminution du taux d’émission de CO2 dans les transports (24%, -2).

Trois domaines convainquent entre six et sept Européens sur dix :

  • La jeunesse : 70% (+3) jugent important d’augmenter la qualité et l’attractivité du système d’enseignement supérieur de l’UE. Mais interrogés sur les priorités que devrait adopter l’UE en faveur de la jeunesse, les Européens mettent davantage l’accent sur l’emploi que sur l’enseignement : 51% (+1) souhaitent que l’on augmente le nombre de jeunes ayant un emploi, contre 36% (stable) qui souhaitent qu’on augmente la qualité générale de tous les niveaux d’éducation et 11% (stable) qui souhaitent que l’on encourage les étudiants à faire des études dans un autre pays de l’UE.
  • L’industrie : 68% (stable) jugent important d’aider la base industrielle de l’UE à devenir plus compétitive par la promotion de l’esprit d’entreprise et par le développement de nouvelles compétences. A ce titre les Européens mettent en avant la nécessité de modifier la réglementation pour faciliter le lancement et la gestion des entreprises, notamment les PME (36%, stable), de profiter au maximum des possibilités de l’économie verte (33%, +2), puis de restructurer les entreprises en difficultés (25%).
  • L’innovation : 60% (+1) jugent importante l’augmentation de l’aide aux politiques de recherche et de développement et la transformation des inventions en produits. Ce qui doit selon les Européens passer principalement par une concentration de la recherche sur les nouveaux défis comme le changement climatique et l’efficacité énergétique (40%, +2), puis par l’attribution de davantage d’aides financières à la recherche (28%, -1) et enfin par l’encouragement de la coopération entre chercheurs (25%, stable).

Enfin seule une majorité relative (48%, +2) juge important de développer l’e-économie en renforçant l’Internet ultra-rapide au sein de l’UE. Pour autant et dans ce domaine de l’Internet, c’est bien l’accès de tous au haut-débit qui est privilégié par les Européens (35%, +1), devant l’augmentation de la confiance des consommateurs dans le e-commerce (25%, +2) et enfin le développement des services aux citoyens (23%, stable).

L’optimisme (certes modéré) est encore de mise

Mais plus concrètement, les Européens se projettent-ils dans le succès ou dans l’échec des objectifs qui découlent de ces principes – dont on conviendra qu’ils sont peu clivants ?

Compte tenu de la tension socio-économique qui règne sur le Vieux Continent, ils semblent somme toute plutôt confiants : chacun des objectifs détaillés est jugé réalisable (“comme il faut”) d’ici 2020 par au moins un Européen sur deux, quand les autres réponses se partagent entre “trop modeste” et “trop ambitieux” :

  • 61% (+2) estiment que l’objectif “les trois quarts des hommes et des femmes devraient avoir un emploi” est réalisable, contre 21% qui le trouvent trop ambitieux et 15% trop modeste”
  • 60% (+1) estiment que l’on pourra d’ici à 2020 augmenter l’efficacité énergétique de 20% (contre respectivement 17% et 16%)
  • 57% (stable) estiment que l’on pourra augmenter la part d’énergies renouvelables de 20% dans l’UE d’ici à 2020 (contre 18% et 19%)
  • 56% (+2) jugent qu’il est possible que les fonds investis dans la recherche et le développement atteignent 3% du PIB européen (contre 12% et 17%)
  • 54% (+1) croient à une réduction des émissions des ga à effet de serre de 20% par rapport ) 1990 (contre 21% et 18%)
  • 51% (stable) estiment que l’on pourra faire descendre à 10% le nombre de jeunes quittant l’école sans qualification (contre 30% et 16%)
  • 50% (+2) jugent possible qu’en 2020 au moins 40% de la jeune génération aient un diplôme ou une qualification (contre 30% et 16%)
  • 50% (+2) estiment que l’on pourra réduire d’un quart le nombre d’Européens vivant sous le seuil de pauvreté (contre 22% et 24%)

Aux yeux des Européens les objectifs que s’est fixée la Commission paraissent donc réalisables au cours de la décennie en cours : ils sont particulièrement en phase sur l’objectif emploi (le plus important et le plus réalisable), de même que sur les objectifs environnementaux.

En revanche les Européens sont nettement plus dubitatifs sur notre capacité à faire en sorte que davantage de jeunes soient qualifiés et surtout sur la possibilité de faire véritablement baisser la pauvreté, alors qu’ils considèrent que la lutte contre l’exclusion est l’objectif le plus important. Un doute prémonitoire ? L’UE semble en effet sur le point de couper drastiquement dans l’aide alimentaire versée aux associations caritatives, faute d’accord entre pays membres.

Somme toute, une confiance dans la politique de l’UE limitée et très clivée géographiquement

De sorte qu’in fine seule une majorité relative d’Européens considèrent que l’UE va dans la bonne direction pour sortir de la crise et faire face aux nouveaux défis mondiaux : 46% (stable), contre 23% (stable) qui jugent qu’elle va dans la mauvaise direction et 20% (+1) ni l’un ni l’autre.

Ces moyennes et ses évolutions cachent cependant de très fortes disparités selon les pays : ainsi en Grèce (et toujours en mai 2011) une majorité relative (43%) jugent qu’elle va dans la mauvaise direction. Plus d’un quart des Espagnols (30%), des Italiens (28%), des Français, des Portugais et des Britanniques (27%) tiennent le même constat, tandis que les proportions de Polonais et de Slovaques jugeant que la politique européenne va dans la bonne direction baissent chacune de 10 points (pour s’établir respectivement à 59% et 55%).

Une analyse réalisée en partenariat avec www.eurosduvillage.eu