Lorsque l’irréfrénable mercuriel et agité artiste franco-cubain Francis Picabia (1879-1953) arriva finalement à Zurich en 1918 pour entrer en relation avec le mouvement Dada de Cabaret Voltaire, fait qui marqua en quelque sorte une période dans un courant, entraina une histoire concurrençant celle de Tzara, en ascendance sur ce groupe incomparable de nihilistes de l’art affirmés pour la vie. Dandy de par son attitude et enclin dans sa persécution à une vie aventurière et à la limite grâce à sa fortune personnelle, Picabia était toute une figure de la sensibilité antiartistique, malgré la qualité formelle et le talent irréfutable et inépuisable de ses œuvres ; il se chargera systématiquement de nier cette volonté, célèbre pour ses tableaux machine, noirs et dorés, ses échappées avec son inséparable ami Duchamp-ensemble ils avaient conduit l’avant-garde aux Etats-Unis introduisant Dada à New York-et au moment de la publication de 391, une influente revue dont les pages sont empreintes de l’influence de personnages comme Apollinaire et Jarry, qui s’arrimaient sans pitié et avec une grande dose d’agression contre tous et contre toutes les formes de l’art.
391, qui comptait avec les collaborations étoiles de Marcel Duchamp et de Man Ray fut fondé à Barcelone en Janvier 1917, au moment ou Picabia avait rencontré un groupe de réfugiés aux idées similaires qui fuyaient la guerre disposés à participer à l’entreprise dans laquelle se trouvaient les peintres Marie Laurencin, Albert Gleizes, Serge Charchoune et Maximilian Gauthier, ce dernier également poète, le cinéaste et critique de cinéma Ricciotto Canudo et par-dessus tout l’inclassable Arthur Cravan, dont le nom officiel est Fabian Lloyd, s’était construit une réputation notoire en France avec la publication de sa très scandaleuse revue antiartistique Maintenant et avec qui Picabia se sentait particulièrement identifié en accord avec sa nature sauvage et indomptable et son admirable manière d´étonner et de mettre en évidence la vie et l’art bourgeois.
Ecrivain, boxeur non professionel, buveur homérique, escroc, suprême diffamateur, marin dans le Pacifique, muletier, récolteur d’oranges en Californie, enchanteur de serpents, voleur d’hôtel, bucheron, anarchiste, chauffeur à Berlin, auteur d’un casse parfait dans une bijouterie suisse, pauvre comme un rat, falsificateur de passeports avec lesquels ils parcouru l’Europe, les Etats-Unis, le Canada et le Mexique, petit-fils du chancelier de la reine d’Angleterre, neveu d’Oscar Wilde (son père était le frère de Constance, la femme de l’écrivain irlandais), vu pour la dernière fois sur les côtes mexicaines en 1918 avant son trentième anniversaire quant il a accepté de traverser une mer infestée de requins afin de rejoindre à Buenos Aires, sa femme, la peintre Mina Loy, un performer par excellence…, les différents masques qu’adoptèrent sa personnalité et sa disparition finale le convertiront d’une certaine façon en l’icône du parfait Dada, admiré par le groupe, pour ses actes comme pour son combat légendaire de 1916 dans les arènes de Madrid avec le champion noir Jack Johnson au cours duquel comme c’était prévisible et en considérant son état éthylique avancé en montant sur le ring, Cravan, demeura convenablement frappé avant de parvenir à la seconde attaque.