Je n'ai pas envie, mais je le fais quand même. Je sais que j'ai le droit de garder le silence, monsieur l'officier. Tout ce que je dirai pourra être retenu contre moi. Mais quand et quoi? Sur quel point précis serai-je interpellé et à quel moment? Vous me mettez en confiance, vous avez un sourire compatissant et des antennes aux oreilles, je parle, je délire, je fais mon professeur, mon philosophe, mon intello... et vous enregistrez. L'intégrale de mon speech. Comment ça marche? Dans un an, deux ans, dix ans, je serai plaqué au mur, interrogé et confronté à mes propres dires et contradictions. J'aurai perdu les contextes, il ne restera plus que les phrases lâchées au coup de fouet, dévidées de tout second degré, de toute ironie, de toute relativisation.
Les systèmes technologiques sont binaires, ils ne connaissent que le noir et le blanc, le chiffre et le néant, le bon et le méchant.
Je suis, soit celui que je dis, soit un autre, mais absolument pas quelque chose d'intermédiaire.