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Sourire de Spinoza

Publié le 02 avril 2007 par Caroline
Hier, j'ai reçu ce texte de Sylvie Durbec dans ma boÎte-mail, un texte noir comme l'Êpoque.
Et c’est ainsi que mourut la Joconde… Puis, après elle, toutes les Vénus, les jeunes filles et les douces madones. Dans les tableaux se pressait une foule invisible. Le sourire étant devenu un signe évident de ralliement à un monde moribond ou pire le signe du mensonge le plus évident, tous les humains renoncèrent en ce printemps tardif de 2007 progressivement à grimacer de sympathie, de compassion ou encore sous l’effet du plaisir, s’efforçant de conserver sur leurs lèvres le rictus inspiré et ironique des grands détracteurs du sourire. Aux enfants les plus jeunes, il fut aisé de montrer la voie. On ne leur souriait jamais, ils ne sourirent donc pas. Quant à eux, les grands détracteurs, ils n’en pouvaient plus de rire, dans leurs cavernes d’Ali Baba, tant les humains s’étaient avérés dociles à toutes les manipulations et celle-là, la dernière, en valait bien d’autres. Les grands détracteurs, pessimistes ennemis du spinozisme depuis la nuit des temps, c’est-à-dire depuis le début de notre ère, riaient sous cape, derrière le dos des humains tristes, et se congratulaient de noirceurs intelligentes. Ni les lunettes de Spinoza, ni les sandales d’Empédocle, auraient-ils pu claironner, ne changeront rien à notre jugement proscrivant définitivement cet art mielleux du sourire dont ont fait trop d’usage les hommes. Quant aux femmes, ces fourbes, nous préférons ne pas en parler, ajoutaient-ils. Etaient-ils entrés déjà dans les antichambres de la mort, ces ironiques? Avaient-ils déjà regardé ces gisants modernes que l’art des cathédrales avait en son temps montrés et que l’hôpital dévoile à nos regards atterrés pour être à ce point sûrs d’eux-mêmes ? La joie ne leur servait à rien, tant ils ricanaient, tant ils jouaient sur la corde noire du désespoir, dévots d’un genre nouveau, que Molière aurait été étonné de croiser, lui qui en avait vu d’autres. Les grands détracteurs du sourire s’étaient installés dans leur paisible noirceur, tandis que les humains recherchaient encore de quoi ne pas mourir tout à fait. Amoureux de la mort, ils voulaient tout de même vivre. Un oiseau, un chardonneret, posé sur la main d’un enfant, le piqua, le picota, le piqueta au point de le faire…sourire. Un peu de sang perla. Et l’enfant qui souriait devant cet étrange oiseau qui le regardait sans crainte, l’enfant se demandait pourquoi les oiseaux ne sourient ni ne parlent. La Joconde morte eut un balbutiement pour montrer à l’enfant l’oiseau qui s’envolait. Et sur le doigt du petit humain, il y avait un peu de rouge, celui qui sert à barbouiller les lèvres des morts. L’enfant s’approcha du tableau et redessina le sourire qui resta là, en suspens sur le fond bleuté du paysage. Nous sommes morts, dit une voix, mais nous sourions encore. Spinoza, encore lui, se baissa une dernière fois pour faire briller ses chaussures. Tout commence, dit-il, et un sourire mystérieux sur les lèvres, à son tour, il disparut du tableau.
sylvie Durbec

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