La chute d’Olivier Hirschbiegel : une réalisation maladroitement périlleuse
Par Sandra.m
Tout peut-il être cinématographique ? L’innommable peut-il être montré ? Peut-être…à condition en tout cas d’avoir le talent de ses prétentions. Et alors que l’on « célèbre » les 60 ans de la libération des camps de concentration et que, parallèlement, un jeune prétendant au trône d’Angleterre se déguise en SS avec une désinvolture (une ignorance ?)inadmissible, et alors que les thèses révisionnistes trouvent des échos inquiétants chez certains (ir)responsables politiques, il est plus que jamais évident qu’un tel sujet, aussi délicat, doit être traité avec beaucoup de précaution, de modestie, d’intelligence. « La chute » ambitionne en effet de nous montrer l’agonie du 3ème Reich, les derniers jours d’Hitler et de ses partisans les plus proches, réfugiés dans son bunker. Tout cela nous est présenté sous le regard aveugle(ignorant) de la secrétaire du Fürher. Le sujet est plus que périlleux. Filmer Hitler, c’est lui donner la parole, une parole, un visage et lui donner un visage, en l’occurrence celui de Bruno Ganz c’est prendre le risque de l’humaniser, encore que cela n’aurait peut-être pas été sujet à polémique si en contrepoint avaient été montrées les monstruosités indicibles à l’origine desquelles il se trouve…mais… rien !! Pas une image ne vient contrebalancer celle de ce visage, tout juste une phrase lapidaire à la fin du film vient-elle préciser que des millions de juifs furent exterminés, comme si le réalisateur voulait s’excuser de n’avoir pas abordé le sujet et d’avoir, pendant 2H30, donné la parole à celui qui l’a déjà tant et tragiquement monopolisée. Ce qui pour tout autre film, tout autre sujet, serait un oubli sans conséquence devient ici une faute dangereuse, sorte de révisionnisme latent, même si certainement involontaire. De surcroît, on nous montre les corps allemands déchiquetés, Berlin dévastée, mais en revanche ici l’holocauste n’existe pas visuellement. On comprend que le réalisateur a voulu se concentrer sur la « chute » du régime mais fallait-il pour autant totalement éluder ce qui la précède, et ce qui est la plus grande catastrophe du 20ème siècle et dont certains ignorent encore la tragique ampleur? Tout juste le glacial assassinat des 6 enfants Goebbels par leur propre mère pour qu’ils « ne vivent pas dans un monde sans « national socialisme » nous laisse-t-il entrevoir le fanatisme qu’il suscita… Absurdes sont les critiques qui disent que ce film est bon car Hitler n’y est pas sympathique. Bien évidemment ! Bien heureusement ! Mais ici Hitler EST, ce qui est déjà bien assez, bien trop. Seulement ici il paraît plus en colère et fou que monstrueux et odieux, ce qu’il était pourtant indéniablement, probablement le réalisateur a-t-il présupposé que tout le monde le sait. Fallait-il pour autant ne pas le montrer ? Ici, Hitler pleure même. Même homme inhumain Hitler n’en était pas moins capable de pleurer semble-t-on nous dire. Etait-ce pour autant nécessaire de nous le montrer ? Ce film ne devrait-il pas être précédé d’un avertissement ? Quel est le but du réalisateur ? J’avoue avoir du mal à le cerner …mais lui-même le sait-il ? D’après ce dernier, il s’agissait de faire un documentaire sur les derniers jours du régime, un documentaire dont Hitler serait donc alors « le héros » ?!?! Et pourquoi avoir pris le parti du point de vue de cette secrétaire qui semble regarder ce dictateur sur le déclin comme un homme à l’agonie, qui ne comprendra que des décennies plus tard … alors qu’elle tapait pourtant quotidiennement le courrier du Führer. L’ignorance sans doute. Celle qui a permis qu’il soit suivi aveuglément par des millions de personnes. A l’image de la secrétaire, le réalisateur semble regarder sans voir, ne pas prendre parti…et si un sujet s’accommode mal de l’amoralisme c’est bien celui-ci…En tout cas me concernant je ne regarderai pas sans voir et à défaut de déconseiller de voir ce film, et à défaut de pouvoir déconseiller de faire un film sur un tel sujet sans avoir le talent pour je conseillerai de voir auparavant « Nuit et Brouillard » de Resnais, « Shoah » de Lanzmann, « La liste de Schindler » de Spielberg , ce qui donnera un tout autre éclairage (un éclairage même tout simplement) à cette « chute » bien frileuse et bien périlleuse pour des spectateurs non avertis. Enfin, évoquer la réalisation en devient accessoire, elle n’en est pas moins « téléfilmique » et l’alternance des images du bunker et de la désolation de la ville devenant un principe redondant et sans intérêt.