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Generation kill

Publié le 20 septembre 2011 par Acrossthedays @AcrossTheDays

GENERATION KILL

Generation Kill a été diffusé dans la plus grande discrétion durant l’été 2008 par HBO, chaîne américaine connue pour sa capacité à sortir des séries exceptionnelles avec une régularité assez effrayante. Adaptation du livre du même nom, Generation Kill raconte l’expérience d’Evan Wright, journaliste « embedded » au sein d’un bataillon de reconnaissance des marines durant l’invasion de l’Irak en 2003. La mini-série (7 épisodes d’une heure) suit donc un groupe de militaires durant l’opération Iraqi Freedom, depuis les derniers entrainements au Koweït jusqu’à l’arrivée dans Bagdad.

Malgré le bon goût de la chaine qui l’a produit et le prestige des deux créateurs de la série (David Simon et Ed Burns, responsables de ce qui est considéré par beaucoup comme la plus grande série de tout les temps, j’ai nommé The Wire), Generation Kill n’aura jamais fait mieux qu’un vague succès critique, et est aujourd’hui pratiquement inconnu du grand public. Et ça, c’est très injuste. Parce que oui, Generation Kill est une série difficilement abordable, et qui peut apparaître au départ comme froide et sans concession. Mais Generation Kill, c’est surtout un chef d’œuvre. Un chef d’œuvre de réalisation, un chef d’œuvre de narration, un chef d’œuvre de reconstitution, et même un chef d’œuvre d’humour. Generation Kill est tout simplement une des meilleures séries de guerre jamais réalisés. Sérieusement.

Malgré le fait que l’histoire de Generation Kill soit basé sur le témoignage du reporter Evan Wright, ce dernier est dans la série un simple spectateur. Son rôle est absolument minime, comme l’est sa présence à l’écran. L’histoire de Generation Kill est en fait celle du 1er Bataillon de reconnaissance du United States Marine Corps, et plus précisément celle de la compagnie Bravo. Cette dernière va, avec le reste de l’armée américaine, assister (souvent) et participer (parfois) à l’invasion d’un pays qu’ils ne pouvaient pas situer sur une carte un mois avant. Et on touche à la première qualité de Generation Kill : l’histoire est d’une justesse et d’un réalisme hallucinant. Justesse, parce qu’on a vraiment le sentiment (erroné peut-être) que David Simon a réussi à toucher a la perfection ce qu’était l’invasion de l’Irak. Aucun personnage, aucun événement, aucune situation ne semble être caricaturale, ou être là pour soutenir une opinion politique, que ce soit d’un côté (pro-militarisme) ou de l’autre (dénonciation des atrocités commises par les militaires américains). Ça ne veut évidemment pas dire que Generation Kill est une œuvre absolument objective qui ne cherche pas a délivrer le moindre message. Ça veut simplement dire qu’on a l’impression d’assister à l’invasion d’un pays par une armée, et pas à un à un show politique cherchant a vous marteler la tronche avec un message fin comme une porte de bunker.

Les soldats de la compagnie Bravo sont des professionnels. Ils meurent d’envie d’aller au combat. Certains d’entre eux sont des sous-officiers appréciés, d’autres des crétins finis qui manquent de les faire tuer. Certains troufions sont transparents, faisant simplement leur travail, quand Trombley est une effrayante machine a tuer qui affirme être plus excité en regardant un match de football qu’en faisant cette guerre. Ils vont faire des missions importantes (la capture d’un aéroport), d’autres complètement stupides (traverser une ville a toute berzingue en tirant sur tout ce qui bouge). La guerre est un immense bordel, et Generation Kill retranscrit ce bordel avec brio.

GENERATION KILL

Réalisme, parce que chaque détail est tellement méticuleusement placé qu’on se demande franchement si on regarde une série ou un travail journalistique. C’est ce réalisme qui peut rendre la vision de Generation Kill difficile. Les personnages utilisent en permanence un jargon militaire au départ incompréhensible, à tel point que HBO avait joint au dossier de presse un lexique des termes utilisés. Il faut un certain temps pour comprendre que « Godfather » est le nom de code du commandant, que « Oscar Mike » est la version phonétique de « On the Move », que « RCT » désigne le « Regimental Combat Team » ou que « cleared hot » représente une autorisation de tir. Les accents n’aident pas non plus à la bonne compréhension, à tel point que pour toute personne n’étant pas a la fois bilingue et ex-membre des Marines, les sous-titres deviendront rapidement obligatoire. De plus, les uniformes font qu’il est au départ difficile de reconnaître les différents personnages, d’autant que le casting est assez nombreux et que l’histoire passe des uns aux autres de manière parfois abrupte. Enfin, les scènes d’action sont quasiment inexistantes et quand il y en a, elles sont extrêmement brèves. Ca fait peur, hein ?

En fait c’est absolument génial, parce que tout ce qui a été précédemment cité participe à ce qui rend Generation Kill aussi fantastique : l’ambiance. Une fois qu’on a compris ce que disent les militaires et qu’on reconnaît les personnages, l’immersion est incroyable. Et on peut alors profiter d’une galerie de personnages aux petits oignons, entre le sous-officier Brad Colbert, réputé dans tout le bataillon pour son calme au combat, « Captain américa », autre sous-officier connu lui pour son incompétence et son habitude de récupérer les armes de ses ennemis ou Ray, le conducteur du véhicule de tête qui ne cesse de donner au journaliste ses théories sur les véritables raisons de l’invasion irakienne tout en chantant du Jennifer Lopez accapella… Chaque personnage est ultra travaillé, ce qui permet, malgré leur statut de militaires uniformisé, de les apprécier énormément. C’est renforcé par des dialogues magistraux. Chaque épisode est bourré de répliques « cultes », (dans le sens « réplique qu’on a envie de ressortir à n’importe quelle occasion »), de scènes magistrales et de monologues bluffant. C’est d’ailleurs surprenant qu’une série aussi réaliste et au propos aussi sérieux puisse être aussi hilarante. L’écriture des dialogues est brillantissime, bourré de références culturelles récentes (l’invasion c’était en 2003 pour les trois du fond qui n’ont pas suivi) qui contribuent a rendre les personnages encore plus proche de nous. Ce sont véritablement ces personnages et leurs réflexions qui représentent l’intérêt et la richesse de Génération Kill.

Parce qu’au final, Generation Kill est un road-trip. On assiste a la balade d’une bande de militaires au milieu d’une Irak dévastée, et on assiste a leur évolution, face a ce qu’ils découvrent. Dans un film de guerre standard, les jeunes recrues avides de tuer deviennent rapidement horrifiés par les infamies de la guerre et reviennent traumatisés. Ici, on se trouve face à une unité d’élite qui devient de plus en plus blasé par la stupidité de leur chaine de commandement, et de plus en plus frustrés de n’être pas utilisé comme ils devraient être utilisé. Le lieutenant Brad Colbert résume cette impression en une phrase: « nous sommes des Ferrari flambant neuves dans un demolition derby ». Ils assistent aux horreurs de la guerre, fustigent les réservistes qui ouvrent le feu sans raison et conduisent au massacre d’un village peuplé de femmes et d’enfants, mais ils passent a autre chose. Que peuvent-ils faire ? Dans une scène, trois sous-officiers du bataillon demandent à leur commandant d’évacuer un enfant blessé par un soldat du deuxième bataillon. Godfather délivre alors un monologue qui sonne comme une sentence : ils ne sont pas là pour sauver des vies, mais pour envahir un pays.

« Si un d’entre vous était blessé maintenant, je ne pense pas que je pourrais vous évacuer. Mais si je pouvais, j’imagine que certains d’entre vous pensent que nous devons donner a ces civils autant de soins que nous donnerions a nos soldats. Ce n’est pas vrai. Les règles d’engagements stipulent que nous devons donner des soins équivalents aux standards locaux. Les standards locaux sont inexistants. »

Que répondre à ça ? Les soldats ont déjà du mal à s’adapter à une guerre de guérilla pour laquelle ils n’ont pas réellement été entrainés. Ils doivent en plus se battre contre l’incompétence de leurs officiers supérieurs, et font face a des problèmes aussi stupides que l’absence de batteries pour leurs lunettes à vision thermique, la présence d’un seul traducteur pour la totalité du bataillon ou le fait qu’on leur ait donné des uniformes à camouflage « forestier » pour combattre dans un désert. Pour les soldats, cela implique que la guerre n’est qu’un problème parmi d’autres, avec lequel il faut faire. Pour nous, c’est a la fois un témoignage fascinant du degré d’impréparation auxquels a fait face l’armée américaine pendant cette campagne, et une occasion de bien se marrer au travers des dialogues des hommes du second bataillon.

GENERATION KILL

Pour résumer, on peut dire que Generation Kill est une peinture hallucinante de justesse de l’invasion irakienne de 2003. Alors les peintures en général c’est bien pour l’analyse sociologique, mais ça devient rapidement chiant. Pas Generation Kill, en grande partie grâce à ses dialogues magistraux et sa galerie de personnages fascinants , mais aussi grâce à la variété des thèmes et le talent des acteurs (pour la majorité inconnus). Tout ça s’accorde parfaitement avec le tempo lent de la série, faisant qu’au final on ne s’ennuie jamais. Alors pour peu qu’on ne le prenne pas comme une série de guerre traditionnelle, Generation Kill est une très grande œuvre, qui en rebutera probablement beaucoup, mais qui passionnera les autres.

PS : Malgré qu’elle ait été produite par la même chaine, malgré qu’elle ait le même format de mini-série, malgré qu’elle traite de la guerre, cette série n’a RIEN A VOIR avec Band of Brothers. Je ne devrais pas le préciser après un article aussi long, mais ça revient très souvent et ça a tendance à induire les gens en erreur. Generation Kill est une série excellente, Mais si vous vous attendez à un Band of Brothers en Irak, vous allez être déçu.


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