L'affaire paraît entendue : François Hollande est un dangereux démagogue ! Doublé d'un tacticien à la petite semaine, prêt aux promesses les plus extravagantes pour séduire la grande famille de l'éducation nationale, réputée fournir de gros bataillons d'électeurs à la "primaire citoyenne" des 9 et 16 octobre.
Alors qu'il prônait le plus grand sérieux budgétaire, le candidat socialiste ne vient-il pas de tomber le masque en annonçant que, président de la République demain, il recréerait en cinq ans 60 000 postes d'enseignants, soit à peu près autant qu'il en a été supprimé depuis 2007 ?
"Irresponsable !", "irréaliste !", s'est empressé de dénoncer l'actuel ministre de l'éducation nationale, Luc Chatel. Bon à jeter "à la poubelle", a ajouté son collègue de l'économie, François Baroin. "Une drôle d'idée", a commenté, un brin méprisant, le premier ministre. Le chef de l'Etat lui-même a ironisé : "Ce n'est pas "Qui veutgagner des millions ?", c'est "Qui veut dépenser plus ?"" ... Quant à la principale concurrente de M. Hollande, Martine Aubry, surprise et agacée d'être ainsi doublée sur sa gauche, elle a déclaré : "Remettre des enseignants, oui, mais en priorité là où il y en a besoin. La réponse est donc un peu plus complexe."
Pourtant, au risque de se voir affublé des mêmes quolibets ou de recevoir les mêmes leçons, disons-le tout net : François Hollande a parfaitement raison.
Sa proposition est simplificatrice ? Oui, et c'est son mérite de ne pas tourner autour du pot, de mettre - simplement autant que symboliquement - le doigt sur la dégradation du système éducatif français et sur l'une de ses causes centrales : l'affaiblissement des moyens que la République lui consacre, au point qu'il n'apparaît plus comme un investissement essentiel pour le pays, mais comme un fardeau qu'il faudrait à tout prix alléger.
Discours archaïque, incapable de comprendre que l'on peut - que l'on doit, même, compte tenu de la situation des comptes publics - "faire mieux avec moins d'enseignants", comme ne cesse de le répéter le ministre actuel ? Mais alors, il y a beaucoup d'archaïques, ces temps-ci. Car, après bien d'autres, deux études viennent de dresser un diagnostic sévère de l'état de l'école.
Le 13 septembre, c'est l'OCDE qui a publié son rapport annuel sur l'éducation dans 34 pays développés. S'agissant de la France, il fait quatre constats "alarmants".
1. Le taux de scolarisation des jeunes de 15 à 19 ans, les lycéens, a diminué de 89 % à 84 % entre 1995 et 2009, alors qu'il a augmenté de plus de 9 points en moyenne dans l'OCDE. Et l'on compte toujours quelque 140 000 jeunes qui, chaque année, sortent du système sans aucune qualification.
2. De 2000 à 2008, les dépenses d'éducation ont augmenté de 5 %, quand elles progressaient de 15 % en moyenne dans les autres pays de l'OCDE. En outre, ces dépenses sont déséquilibrées, plus fortes qu'ailleurs dans l'enseignement secondaire (+ 12 %), mais nettement plus faibles (- 14 %) dans l'enseignement primaire, là même où se nouent les retards scolaires, souvent irrémédiables.
3. Le salaire statutaire (hors primes et heures supplémentaires) des enseignants français est non seulement inférieur à la moyenne de l'OCDE, mais il a diminué en valeur réelle depuis quinze ans. Et quand M. Chatel rappelle qu'il a augmenté de 10 %, en 2010, le salaire des professeurs débutants, il oublie de préciser que lesdits salaires étaient alors très inférieurs à la moyenne de l'OCDE (de 24 %), et qu'ils le restent.
4. Enfin, l'OCDE redit, comme l'ont cruellement établi ses enquêtes PISA sur les compétences des élèves, que l'école française, loin de corriger les inégalités sociales entre élèves, les aggrave au contraire.
Le second rapport, publié le 16 septembre, vient d'être très largement adopté par le Conseil économique, social et environnemental, approuvé aussi bien par les représentants des syndicats que ceux du patronat, de l'artisanat, des professions libérales ou de la mutualité. Que dit-il ? Ceci : "La France affiche aujourd'hui une performance éducative décevante : si, pour la moitié des élèves, le système éducatif fonctionne plutôt bien, en revanche la proportion d'élèves très faibles en fin de scolarité obligatoire atteint 20 %, c'est-à-dire sensiblement plus que chez ses principaux partenaires. De surcroît, cette situation s'est fortement dégradée depuis dix ans."
Et, après avoir souligné que le système français a cessé d'être un facteur de réduction des inégalités scolaires, fortement liées aux inégalités sociales et culturelles des familles, il ajoute : "Plus récemment, une conjoncture défavorable, de très sévères restrictions budgétaires et des suppressions de postes sont venues compromettre un peu plus cette situation." Sans parler de la formation des enseignants, "insuffisante" et "plus désorganisée que jamais".
Embaucher en cinq ans 60 000 professeurs supplémentaires ne résoudra pas par magie les problèmes graves ainsi pointés. Comme dirait Mme Aubry, c'est un peu plus complexe. Effectivement, car bien des facteurs doivent se conjuguer pouraméliorer l'efficacité d'un système éducatif : l'attractivité du métier d'enseignant, la formation des professeurs (aujourd'hui saccagée), leur statut et les conditions dans lesquelles ils travaillent, les dispositifs pédagogiques, notamment de soutien aux élèves les plus faibles, l'organisation de la carte scolaire, celle des rythmes scolaires, etc.
Encore faut-il, au préalable, mettre clairement un terme à la logique malthusienne et destructrice à l'oeuvre depuis dix ans. C'est le sens de la proposition de M. Hollande. Et que l'on n'objecte pas que la France n'aurait pas les moyens derecruter 60 000 enseignants de plus en cinq ans : cela équivaudrait au coût d'une seule année d'allégements fiscaux accordés au secteur de la restauration (2,5 milliards d'euros) ! Gouverner, c'est choisir. En l'occurrence, le choix s'impose.