(Cette chronique a été publiée dans Le Magazine des Livres n° 31 )
Sur Han Ryner
Dans ses deux derniers numéros, la revue Le Grognard adopte un format livre, avec dos carré, pour nous proposer deux intéressantes livraisons. Le numéro 16 est une anthologie d’articles de Han Ryner, Comment te bats-tu ? et autres textes parus dans le Journal du Peuple ou en revues, avec une présentation de C. Arnoult. A l’instar de Voltaire ou Diderot, le philosophe Ryner (1861-1938) s’est beaucoup servi de la fiction (romans, contes et récits courts, théâtre) comme support d’expression de sa pensée. Théoricien de l’individualisme, il ne le considère pas comme un égoïsme, bien au contraire, et ne l’oppose pas à fraternité ou solidarité. Apparemment proche des anarchistes (les deux crimes sont pour lui commander et obéir), il n’en partage pas les illusions ni la violence révolutionnaire, se référant davantage à la sagesse antique grecque. Il critique la société mais la conçoit comme une fatalité : « La société est inévitable comme la mort. Sur le plan matériel, notre puissance est faible contre de telles limites. Mais le sage détruit en lui le respect et la crainte de la société, comme il détruit en lui la crainte de la mort. » Selon Stéphane Beau, le credo originel de Ryner est simple : l’homme est la mesure de toute chose. Avec ténacité, le directeur du Grognard veut redonner à ce philosophe un peu oublié une plus large notoriété, au-delà du cercle restreint des milieux libertaires où il est pour le moment assigné, car sa pensée est beaucoup trop profonde, subtile et universelle pour qu’elle reste ainsi enfermée dans cette unique référence à l’anarchie.
Le numéro 17 est une anthologie de poèmes choisis par Stéphane Beau et Gaston Vieujeux. Si tous les poèmes ne sont pas impérissables, ou sacrifient parfois à l’engagement politique, l’ensemble est d’une bonne tenue et les 38 auteurs rassemblés ont en commun une grande sincérité. On a plaisir à y retrouver d’excellents auteurs lus ailleurs, dont Pascale Arguedas, Chantal Dupuy-Dunier, Cathy Garcia, Stéphane Prat, Pascal Pratz, Thomas Vinau. « Cette revue-anthologie n’est pas celle d’une édition fantôme. Elle est vivante, surprise et fracas de vivre », résume Luc Vidal dans sa préface.
Le Grognard n° 16 et n° 17, 68 rue de Carquefou, 44470 Thouare sur Loire, diffusé par les éditions du Petit Pavé, site http://perso.orange.fr/legrognard , 10 €.