Le premier rendez-vous de ce jeudi 12 a eu lieu salle Bunuel avec "Belle de jour"...enfin Catherine Deneuve...Salle Bunuel la bien nommée donc. La petitesse de la salle procure toujours à ces rencontres avec des cinéastes ou acteurs un ton de confidence. Cette fois le confesseur a pris les traits de Frédéric Mitterrand. Agnès Varda, membre du jury, tente de se faufiler discrètement dans la salle. Peine perdue. Dans la file d'attente des spectateurs la remarquent. Ainsi glane-t-elle autant de compliments que d'applaudissements impromptus. Puis, Gilles Jacob prononce son discours comme il en réserve un à chaque personnalité du septième art ainsi invitée...le terme discours est d'ailleurs quelque peu incorrect celui-ci s'apparentant davantage à une déclaration d'amour à l'actrice. Catherine Deneuve écoute sagement esquissant de temps à autre un sourire, mi-amusée, mi-flattée ou peut-être simplement ailleurs, indifférente à des compliments maintes fois réitérés ou inquiète à la perspective d'être ainsi pour la énième fois observée, détaillée, scrutée et aléatoirement critiquée sur les outrages éventuels des ans qui l'ont pourtant épargnée. Gilles Jacob emporté par la passion révèle qu'il considère que les jurés avaient gaspillé le prix d'interprétation l'année où il ne l'avait pas remis à Catherine Deneuve pour" Le lieu du crime" de Téchiné. En guise de consolation mais surtout d'hommage du festival de Cannes, il remet donc une palme d'honneur d'interprétation à celle qu'il qualifie de "Katharine Hepburn à la française". La salle applaudit timidement. En guise de préambule elle précise qu'elle ne donnera pas de leçon, contrairement à l'intitulé de la rencontre "leçon d'actrice". Après les compliments maintes fois réitérés viennent donc les questions maintes fois réitérées: ses débuts, Françoise Dorléac, François Truffaut... A sa demande défilent quelques extraits de films dans lesquels elle n'a pas joué : "Une femme qui s'affiche" de Cukor, "Le vent de la nuit" de P.Garel, "To be or not to be" de Lubitsch...mais le vrai film n'est pas réellement sur l'écran. Quand la lumière s'éteint pour laisser place à un extrait, Catherine Deneuve, apparemment fébrile, demande à voix basse si elle peut fumer. Son micro la trahit. La salle tressaille. Un léger soubresaut d'imprévu. Dans le clair obscur alors que les images défilent sur l'écran, sa silhouette, cigarette à la main, rappelle furtivement celle des actrices des films noirs. La lumière se rallume. Elle cite Bergman, Kazan aussi beaucoup. Avec l'obscurité,l'imprévu s'est éclipsé.
Il est temps de prendre le "dernier métro" ou plutôt le prochain escalator où les festivaliers, forcément affairés , affluent, direction le grand théâtre Lumière et le premier film en compétition de la journée: "Bashing" (harcèlement) de Masahiro. Le film n'est projeté qu'une seule fois l'après-midi. En général cela relève d'une volonté de créer l'évènement ou révèle le caractère anodin du film par cette unique projection distingué (caractère anodin qui certes n'est jamais prévisible et demeure subjectif). Je penche plutôt pour la seconde solution. Cette impression est confirmée par un public plutôt clairsemé. Le sujet davantage que son traitement aurait-il incité les organisateurs à le sélectionner? En effet, il s'agit de l'ostracisme subi par une jeune japonaise de retour dans son pays après avoir été prise en otage en Irak. Alors qu'en France nos otages deviennent des héros nationaux (comme le rappellent d'ailleurs les photos de nos deux otages en Irak qui ornent la façade du palais des festivals), emblême de notre si chère liberté bafouée, au Japon c'est celui de la honte d'avoir autant mobilisé l'attention internationale. Le réalisateur la suit pas à pas dans son isolement progressif. Elle est comme enfermée, prise en otage peut-être encore plus que là-bas où elle ne songe d'ailleurs qu'à retourner. Au Japon, elle est constamment humiliée, sa famille aussi. Elle suffoque, elle étouffe et nous avec elle grâce à une mise en scène sobre mais non moins efficace et grâce au jeu nuancé de sa jeune interprète dont le sourire apparaîtra comme sa véritable libération, sourire suscité à la perspective de retrouver les enfants irakiens.
Plus que jamais le festival affirme sa volonté d'être une "fenêtre ouverte sur le monde" un monde tourmenté, puisque le deuxième film en compétition de la journée "Kilomètre zéro" de H.Saleem se déroule...en février 1988 en pleine guerre Iran-Irak. Le cinéaste nous emmène dans un périlleux périple à travers le pays en compagnie d'un Kurde et d'un Arabe avec sur le toit de leur voiture, le cercueil d'un martyr enveloppé dans le drapeau irakien. Bien sûr tout cela prend une résonance très contemporaine d'autant plus que la statue de Saddam Hussein ne cesse de traverser l'écran. Le propos est intéressant, la photographie et les longs plans fixes(qui permettent aux personnages d'évoluer dans le cadre-filmique et territorial- qui leur est désigné, imposé) réussis mais le mélange du burlesque avec un sujet sérieux donne un résultat assez hasardeux et altère quelque peu la résonance du discours...
A suivre ces prochains jours la critique des films d'Egoyan et de Van Sant, vus hier et de "Caché" d'Haneke et "Election" de Johnnie To que je verrai ce soir dans le célèbrissime Grand Théâtre Lumière, là où la salle vibre plus qu'ailleurs à la mesure des enjeux... et tous les autres films en compétition mais aussi mes impressions sur cette 58ème édition, mes premiers pronostics, l'ambiance du festival...
A suivre également le récit des premières soirées du festival.
Pour un autre regard sur le festival, je vous renvoie à un site internet très intéressant, celui du site du cinéma libre.
Sandra.M, en direct de Cannes.