Magazine Cinéma
La Croisette, qui n’en est pourtant pas avare, bruisse encore plus de rumeurs que de coutume. De nombreux festivaliers viennent ou reviennent de Paris ou d’ailleurs pour la clôture, pour assister au palmarès ou parfois même juste pour monter les marches, y faire leur cinéma…et les redescendre juste après sans même être entrés dans le Grand Théâtre Lumière. Pour eux, Cannes n’est pas un festival de cinéma, juste le théâtre de leur propre cinéma. De mon côté, avant l’heure fatidique, rendez-vous est donné dans un grand hôtel cannois. A l’entrée une multitude de photographes et de badauds attendent à l’affût de la moindre starlette ou de la moindre information. A l’intérieur règne une agitation inaccoutumée. L’atmosphère est électrique à quelques minutes de l’instant crucial. Je m’installe un peu en retrait pour attendre tout en observant ce spectacle tragi-comique. A l’entrée de l’hôtel, un célèbre judoka médaillé olympique interpelle autoritairement et grossièrement les photographes pour qu’ils effectuent leur travail plus prestement. Pendant ce temps une starlette se remaquille en se regardant dans les grandes glaces du hall. Pour elle, c’est visiblement le combat de sa vie. Un peu plus loin je remarque de dos deux hommes qui font les cents pas avec une rigueur presque géométrique. Plus tard en entendant leurs noms prononcés pour la récompense suprême je me souviendrai que les frères Dardenne, puisque des frères Dardenne il s’agit, avaient l’air particulièrement fébriles. A la réception le téléphone ne cesse de sonner. De nombreuses voitures officielles attendent devant le hall. Les caméras et les micros du monde entier sont très temporairement braqués sur Cannes, du moins c'est ce que cette dernière se plaît à croire avec l'égocentrisme qui la caractérise. L’heure me sort de mes tergiversations. Il est temps de se diriger vers le palais. Tout en marchant sous le soleil toujours étincelant et au milieu du brouhaha toujours ininterrompu et d’une foule de festivaliers qui rendent les trottoirs pratiquement impraticables, j’élabore mon propre palmarès :
-Palme d’or : « Free zone » d’Amos Gitaï
-Prix de la mise en scène : « Caché » d’Haneke
ou « Kilomètre zéro » de Hiner Saleem
-Prix d’interprétation masculine : Jérémie Rénier pour « L’enfant »
Ou Bill Murray pour « Broken Flowers »
-Prix d’interprétation féminine : Hanna Laslo pour « Free zone » (uniquement si la palme d’or ne lui est pas attribué), ou
Bryce Dallas Howard pour « Manderlay »
-Grand prix : « Three times » de Hou Hsiao-Hsien
-Prix du jury : Shangaï Dreams de Wang Xiaoshai
-Prix du scénario : « L’enfant » des fréres Dardenne
A peine le temps d’en débattre que la lumière s’éteint. Le palais retient son souffle, suspendu aux lèvres du président du jury : Emir Kusturica. Lambert Wilson et Valérie Lemercier et leurs clowneries dérident salutairement et temporairement la salle. Les prix, les lauréats et les remettants prestigieux (Abbas Kiarostami, Milla Jovovich, Fanny Ardant, Ralph Fiennes, Pénélope Cruz, Hillary Swank, Morgan Freeman, Kristin Scott Thomas etc) défilent sous les applaudissements retenus et timides à l’image de ce qu’ils ont été tout au long de ce 58ème festival.
Court-métrage, palme d’or : « Podorozhni » d’Igor Strembitskyy (Ukraine), Mention spéciale : « Clara » de Van Sowerwine
Caméra d’or : « Moi, toi et les autres » de Miranda July (Etats-Unis) et « La terre abandonnée » de Vimukhti Jayasundara (Sri Lanka)
Prix du jury : « Shangaï dreams » de Wang Xiaoshai (Chine)
Prix du scénario : Guillermo Arriaga pour « Trois enterrements » (Etats-Unis)
Prix de la mise en scène : Michel Henke pour « Caché » (France)
Grand prix : Jim Jarmusch pour « Broken Flowers » (Etats-Unis)
Prix d’interprétation masculine : Tommy Lee Jones pour son propre film « Trois enterrements »
Prix d’interprétation féminine : Hanna Laslo pour « Free zone » d’Amos Gitaï (Israël)
Palme d’or : « L’enfant » de Luc et Jean-Pierre Dardenne(Belgique)
Une nouvelle fois la salle a applaudi poliment devant ce palmarès très conventionnel à l’image de cette 58ème édition...trop conventionnel peut-être même de la part d’un président dont on attendait davantage d’audace et au regard du nombre de prix américains notamment pour « Trois enterrements » qui selon moi ne méritait pas autant d’honneur. Finalement c’est l’émotion qui a remporté la palme et les suffrages du jury avec le poignant «L’enfant » des frères Dardenne lesquels, n’oubliant pas la résonance internationale du festival, dédient leur film à « Florence Aubenas et son chauffeur Hussein Hanoun pour montrer à leurs ravisseurs que nous sommes aussi obstinés qu’eux ». Après Imamura, Bille August, Visconti, Kusturica et Coppola, c’est donc au tour des frères DArdenne de recevoir la récompense cinématographique suprême pour la deuxième fois. Le palmarès pouvait de toute façon difficilement créer la surprise tant la compétition était homogène, et de qualité, avec presque uniquement des cinéastes au talent largement reconnu : Wenders, Cronenberg, Van Sant, Lars Von Trier, Jarmusch etc.
A suivre demain : la palme d’or et le récit du dernier jour et de mes dernières impressions du festival de Cannes 2005…
Retrouvez ci-dessous le récit jour par jour du festival de l’ouverture à la clôture.
Sandra.M
Photo : les frères Dardenne avec la palme d’or reçue pour « L’enfant ».