(photo ci-dessus: Le Grand Hôtel qui trône au centre de Cabourg et où se déroule chaque année le dîner d'ouverture du festival du film romantique et qui est avant tout célèbre pour avoir accueilli chaque année Marcel Proust entre 1907 et 1914)
L'ouverture du festival
La cité proustienne accueillait pour la 19 ème année le festival du film romantique et je m’y retrouvais pour la deuxième fois après ma participation au jury des courts-métrages en 2002.
Chacun a sa définition du romantisme. La prévalence du sentiment sur la raison. Une exaltation mélancolique. Une conception romanesque de l’existence. Une poétique du drame. Pour moi c’est un peu tout cela en tout cas. Au regard des films de la compétition officielle de cette 19ème édition c’est plutôt un romantisme empreint de nostalgie qui génère davantage de tourments que de bonheur ou alors un bonheur tourmenté. De Cabourg se dégage une certaine nonchalance mélancolique et son charme suranné sied parfaitement à ce festival, au thème presque politiquement incorrecte face au cynisme ambiant glorifié. C’est donc un homme également à contre-courant, Jacques Higelin, qui était désigné pour présider le dîner d’ouverture dans le mythique grand hôtel de Cabourg qui semble toujours vainement rechercher le temps perdu et sur lequel plane toujours l’ombre de Marcel Proust. Suzel Pietri, la déléguée générale du festival, souligne la présence des membres du jury et de leur présidente,
Virginie Ledoyen et des vice-présidents de l’association Loi 1901 Festival du film de Cabourg nouvellement créée : Guillaume Laurant et
Sandrine Bonnaire. La soirée s’écoule, presque nonchalamment, elle aussi, au rythme d’un bruissement policé des voix et du discret tintement des couverts. Puis vient l’heure de la vente des roses, rituel de l’ouverture du festival, toujours au profit d’une association caritative, cette année l’asmae de Sœur Emmanuelle. La distribution effectuée,
Jacques Higelin monte sur scène. Fébrile. A fleur de peau. C’est peut-être cela le romantisme, c’est peut-être lui le vrai romantique. A fleur de peau, constamment, irrémédiablement, mais surtout pas fleur bleue, assimilation des détracteurs de cet état d’esprit, détracteurs blasés, cyniques qui n’y ont plus ou n’y ont jamais eu accès. En guise de préambule, il souligne le cynisme justement et l’incongruité d’une soirée caritative au profit d’une association qui lutte contre la pauvreté dans cette salle dont le luxe en devient alors presque vulgaire. Puis, quelques paroles provocatrices, salutairement provocatrices. La salle semble s’éveiller. Jacques Higelin veut la réveiller, la sortir de sa torpeur, de sa passivité. Il commence à chanter en improvisant avec une grâce désenchantée. Le silence à nouveau s’empare de la salle, mais cette fois admiratif. Pendant une heure, il va parler, ironiser, chanter, exalté, passionné, avec un charme joyeusement décalé. Un de ces instants magiques imprévisibles dont on aimerait qu’il ne s’achève pas. Puis, il termine en chantant Trenet, la salle vibre à l’unisson puis à l’unisson toujours se lève pour le remercier et l’applaudir à tout rompre. Puis, la lumière se rallume, aveuglante, comme à l’issue d’un rêve dans lequel on aurait aimé rester plonger. Le murmure routinier des voix et des couverts reprend, la magie s’est envolée. Quelques instants plus tard, Suzel Pietri remonte sur scène pour procéder au tirage au sort, chaque rose étant ornée d’un numéro…comme si la générosité devait forcément être récompensée et ne pouvait être gratuite. Jacques Higelin se remet au piano pour l’accompagner avec humour, improvisant à nouveau. Puis Titoff , Virginie Ledoyen, Guillaume Laurant, Thomas Langmann, Sandrine Bonnaire se joignent à lui , les uns appelant les gagnants, les autres faisant le tour de la salle pour tirer les numéros. J’espère profondément que le mien ne sortira pas ne voulant pas faire partie des gagnants rosissant qui montent sur scène récupérer leur prix et qui embrassent machinalement les prestigieux remettants dont le nombre ne cesse de s’accroître à l'appel de Suzel Pietri tandis que Jacques Higelin fredonne des commentaires ironiques . Décidément il est beaucoup plus amusant d’observer ce spectacle là que d’y participer surtout lorsque un sexagénaire plus rosissant que ses prédécesseurs brandit fièrement ses 4 roses pour bien monter qu’il a déboursé davantage que les autres, visiblement plus par orgueil que par pure générosité. Qu’importe, les 300 roses ont été vendues. La soirée d’ouverture s’achève et le festival peut véritablement commencer.
Le jury des longs-métrages
Le jury des longs-métrages était présidé par Virginie Ledoyen et composé de Jean-Pierre Améris, Philippe Harel, Thomas Langmann, Dominique Sampiero, Gilles Taurand et Titoff.
Six films concouraient pour le Grand Prix du Festival de Cabourg mais également pour le prix de la jeunesse décerné par un nouveau jury institué cette année, et composé de six élèves de seconde section audiovisuelle. Ce second jury était encadré par trois personnalités : l’écrivain Yann Apperry, la réalisatrice Catherine Corsini et la comédienne
Sara Forestier.
Les longs-métrages en compétition
« Douches froides » de Anthony Cordier (France)
« Dopo Mezzanotte » (Après minuit) de Davide Ferrario (Italie)
« Miss Montigny » de Miel Van Hoogenbemt (Belgique)
« My summer of love » de Pawel Pawlikowski (Royaume-Uni)
« Odete » de Joao Pedro Rodrigues (Portugal )
« La petite Jérusalem » de Katin Albou (France)
« The saddest music in the world » de Guy Maddin (Canada)
A propos des longs-métrages en compétition
Au regard de la sélection, le romantisme semble être l’apanage de l’adolescence peut-être parce-que supposée davantage encline aux sentiments exacerbés puisque 4 films de la sélection mettaient en scène des adolescents et notamment le film doublement lauréat qui a reçu le prix de la jeunesse et le Grand Prix du Festival du Film de Cabourg 2005 : « My summer of love » de Pawel Pawlikowski (Royaume-Uni).
Ce film se distingue avant tout par les prestations remarquables des deux comédiennes principales et par sa photographie impressionniste qui nimbe le cadre de cette relation trouble d’une lumière tantôt incandescente tantôt innocente et qui contribue à donner à ce film, malgré quelques lacunes scénaristiques, le charme d’un amour d’été au décor sublimé.
Dommage que le palmarès se cantonne à un seul prix. « The saddest music of the world » aurait mérité le prix de l’originalité, d’une part par son sujet (concours de la chanson la plus triste du monde) mais également par son traitement, « une véritable expérience » davantage qu’un film comme nous l’avaient annoncé les organisateurs du festival en préambule. Les références cinématographiques foisonnent dans ce film qui oscille entre couleur et noir et blanc, drame et burlesque, enfer et paradis.
C’est également un bel hommage au cinéma muet tout comme « Dopo Mezzanotte » qui se déroule principalement dans le musée du cinéma de Turin, univers magique et suspendu dans lequel évolue un personnage qui rappelle Buster Keaton. Romantisme et cinéma semblent indissociablement liés, comme si le cinéma était une cristallisation du romantisme symbolisé par cette mise en abyme.
Sophie Quinton aurait , quant à elle, certainement aussi mérité un prix d’interprétation pour son rôle dans « Miss Montigny ».
Le prix de l’émotion serait revenu au poignant « La petite Jérusalem », film sur la confrontation au désir.
Journées européennes
Par ailleurs, pour la troisième année consécutive, le festival était également un tremplin pour de jeunes réalisateurs et acteurs européens puisque les « journées européennes » se déroulaient en parallèle des « journées romantiques » et présentaient dix longs-métrages inédits en France venant d’Allemagne, Hongrie, Italie, Norvège, Suède, Finlande, République Tchèque, Portugal.
Le jury des courts-métrages
Cabourg présente également une sélection de courts-métrages bien souvent plus novatrice et réservant davantage de surprises que celle des longs-métrages.
Le jury des courts-métrages était présidé par Noémie Lvovsky et composé de Manuel Blanc, Lyes Salem, Catherine Wilkening, Irina Wanka un représentant de Titra film, un représentant du Groupe Corlet et cinq cinéphiles sélectionnés par des partenaires du festival (Ouest-France, France-Bleu, Studio Magazine). Dix courts-métrages internationaux concouraient pour recevoir le prix du réalisateur du meilleur film court de l’année ainsi que celui de la meilleure actrice et du meilleur acteur du court-métrage de cette section.
Synopsis des courts-métrages en compétition
-« After shave » de Hany Tamba : Abou Mila est un vieux barbier ambulant qui a perdu son salon durant la guerre civile libanaise : il gagne aujourd’hui sa vie en exerçant son métier dans les cafés populaires de Beyrouth. Un jour, Monsieur Raymond, qui vit en reclus dans sa grande demeure bourgeoise depuis la mort de sa femme, fait appel à ses services.
-« Entre chien et loup » de Olivier Allouche : Deux heures du matin, dans la rue, assise sur le trottoir, elle pleure. Elle s’est fait voler sa nouvelle voiture et par sa négligence, elle ne sera pas remboursée par l’assurance. Quand cet inconnu lui propose de l’aide, elle saute sur l’occasion.
-« Les flying Ramirez » de Denis Sebbah : Deux hommes, une femme : le mari, la femme, l’amant, trois trapézistes en pleine représentation, règlent leurs « comptes sentimentaux »…à quinze mètres du sol.
-« Libre échange » de Olivier de Plas : Benoît et Florence, un couple d’une trentaine d’années ont loué une maison en Ardèche avec un couple d’amis. La maison est isolée, la détente est totale. Mais Benoît qui se sent revivre au contact de la nature, parle d’échangisme. Au début, c’est juste pour plaisanter…
-« Le marin acéphale » de Lorenzo Recio : Un marin, Alonzo Samoza, est passionnément amoureux de deux sœurs mais pour pouvoir se marier avec l’une d’elles, Maria, il doit d’abord assassiner l’autre, Rebecca. Lors d’un accident en mer, le marin est décapité. Au-delà de la mort, il tentera d’accomplir ses désirs.
-« Mirabella » de Pierre-Adrien Lecerf : Par une nuit d’orage, un jeune homme s’abrite dans une vieille demeure abandonnée. Il y découvre un escalier secret menant au grenier ayant servi d’atelier au peintre qui occupa la maison durant de longues années. Découvrant son journal intime, le jeune homme se plonge dans la lecture et découvre l’étrange histoire du peintre et de Mirabella son épouse.
-« Mon homme » de Stéphanie Tchou-Cotta : Eric s’en va. Marie a deux semaines en solitaire pour emménager dans leur nouvel appartement et se décider à « sauter le pas » avec lui. En face de chez elle, où les cartons se défont peu à peu, un homme évolue qui trouble Marie. Cet homme qu’elle ne connaît pas, Marie va en faire « Son Homme » le temps de l’absence.
-« Pépins noirs » de Nicolas Birkenstock : Eddie travaille au bureau des objets trouvés. Un jour, il croise le sac de Marion, une femme qu’il n’a jamais rencontrée, mais qu’il connaît déjà par cœur…
-« Poulet-poulet » de Damien Chemin :Choisir son plat est parfois plus compliqué qu’on ne croit. Un casse-tête chinois, à la française.
-« Le temps des cerises » de Jean-Julien Chervier : Un homme et une femme de 75 ans se rencontrent par petite annonce pour aller ensemble à une manifestation. L’homme est un habitué des luttes collectives, la femme n’est jamais « descendue dans la rue ». Mais la manifestation va très vite révéler celle de leurs désirs. Dans une chambre d’hôtel, ils vont refaire leur monde.
A propos du palmarès des courts-métrages
Le jury a choisi de récompenser « Pépins noirs » de Nicolas Birkenstock, court-métrage très prometteur brillamment écrit, mis en scène et joué qui narre une quête amoureuse singulière et met en scène un personnage attachant dont l’interprète aurait également mérité le prix d’interprétation masculine.
Le prix de la meilleurs actrice est revenu à Thérèse Roussel pour « Le temps des cerises » et celui du meilleur acteur à Fred Epaud pour « Libre échange. »
Le prix cinécourts est revenu à l’onirique « After shave » d’Hany Tamba qui a déjà été primé dans de nombreux festivals.
Mes coups de cœur son allés vers « Pépins noirs » pour les raison évoquées ci-dessus…et pour son évocation d’Albert Cohen, « Mon homme » pour sa vision fantasmatique de la réalité et « Mirabella » pour ses références judicieuses à Wilde et Poe… et bien sûr "After shave" (déjà évoqué lors de ma participation au festival du film court de Lille où il fut également récompensé).
Longs-métrages en avant-première
Le festival présentait également des longs-métrages en avant-première, huit films inédits projetés en présence de leurs acteurs et/ou réalisateurs. Il s’agissait d’ailleurs davantage de comédies, de films légers, pour certains salutairement légers (« Au suivant » de Jeanne Biras mené par Alexandra Lamy et Clovis Cornillac, tous deux irrésisitibles) que de films romantiques.
« Une romance italienne » de Carlo Mazzacurati (L’amore ritrovato)
« Virgil » de Mabrouk El Mechri (France)
« Au suivant ! » de Jeanne Biras (France)
« Un vrai bonheur » de Didier Caron (France)
« Quand les anges s’en mêlent » de Crystel Ansalem (France)
« L’amour aux trousses » de Philippe de Chauveron (France
« La ravisseuse » de Antoine Santana (France)
« Ma vie en l’air » de Rémi Bezançon (France
Ciné-plage
Le festival a également la romantique particularité de projeter des films sur la plage. Cette année il s’agissait de « Rois et reines » d’Arnaud Desplechin, « De battre mon cœur s’est arrêté » de Jacques Audiard, « Les invasions barbares » de Denys Arcand, et enfin « Crustacés et coquillages » de Olivier Ducastel et Jacques Martineau.
Coup de coeur du festival
Enfin le festival rend chaque année un hommage, ce « coup de cœur » mettait cette année à l’honneur Charlotte Rampling dont 3 des films furent projetés : « Un taxi mauve » de Yves Boisset, « Stardust Memories » de Woody Allen, « Max, mon amour » de Nagisa Oshima.
A propos du film de clôture: "La Moustache" d'Emmanuel Carrère
C’est la projection de « La moustache » d’Emmanuel Carrère qui a clos le festival.
Résumé : « Qu’est-ce que tu dirais si je me rasais la moustache » demande Marc (Vincent Lindon) à Agnès (Emmanuelle Devos). « Je ne sais pas, Je t’aime avec mais je t’ai connu sans. » Elle sort un moment faire des courses, le laissant devant le miroir de la salle de bain. Et il le fait. Comme ça, par jeu, pour voir la tête qu’elle fera, pour changer un petit quelquechose dans leur vie heureuse et sans histoire. Elle rentre et ne fait aucune remarque. Le plus étrange est qu’elle semble réellement ne rien remarquer. Les autres non plus. Amis, collègues de travail, le lendemain, personne ne remarque rien…
« La moustache », premier long métrage d’Emmanuel Carrère et adaptation de son roman fait partie de ces films cauchemardesques pendant lesquels vous regardez votre montre non pas parce-que vous aimeriez qu’il se termine mais au contraire parce-que même cauchemardesque l’univers dans lequel il vous plonge vous fascine, vous déroute tellement que vous aimeriez prolonger votre immersion. E. Carrère signe un film oppressant dans lequel on se sent immédiatement impliqué, en empathie avec son personnage principal auquel nous nous identifions immédiatement…même sans moustache car c’est davantage du regard des autres et de dépendance à celui-ci, et de perte d’identité que de moustache qu’il est question ici. La moustache, élément du paraître symbolise ici l’être, celui auquel nous sommes tellement habitués que nous ne le voyons , ne l’interrogeons plus. On ne ressort pas indemnes de cette dérive magistralement effroyable…car nous dérivons avec le protagoniste tant la réalisation et le cadre nous enferment avec lui aux frontières de la folie et du fantastique. En présentant le film avant sa projection
Vincent Lindon l’a annoncé, c’est celui dont il est le plus fier et dans lequel il a enfin été filmé comme il avait toujours rêvé de l’être, ce à quoi nous ne pouvons qu’adhérer tant ce rôle dans lequel il excelle semble avoir été écrit pour lui....
« La moustache » est certainement la meilleure surprise de ce festival…même s’il ne correspond pas non plus à la dénomination de romantique (du moins à ma définition en introduction) à l’image de la plupart des films présentés... comme si le romantisme né avec la fin du 19ème était mort avec le début du 21ème… et n’avait pas résisté au prosaïsme et à la célérité écrasante du présent.
PALMARES
Cérémonie des Swann d’Or – samedi 18 juin 2005
Coup de Cœur 2005 :Charlotte Rampling pour l’ensemble de sa carrière de comédienne
Grand Prix du Festival de Cabourg 2005: My summer of love de Pawel Pawlikowski
Prix de la Jeunesse 2005 :My summer of love de Pawel Pawlikowski
Swann d’Or de la meilleure actrice 2005 :Valéria Bruni-Tedeschi dans 5X2 de François Ozon et Crustacés et Coquillages de Ducastel et Martineau
Swann d’Or du meilleur acteur 2005 :Vincent Lindon dans La Moustache de Emmanuel Carrère
Swann d’Or du meilleur réalisateur de long métrage 2005 :Arnaud Despléchin pour Rois et Reines
Swann d’Or des révélations du cinéma en 2005
Révélation Féminine : Lola Naymark dans Brodeuse d’Eléonore Faucher
Révélation Masculine : Nicolas Cazalé dans Le Grand Voyage d’Ismaël Ferrouki
Section Courts Métrages 2005 :
Meilleur Film : Pépins Noirs de Nicolas Birkenstock
Meilleure Actrice : Thérèse Roussel pour Le temps des cerises
Meilleur Acteur : Fred Epaud pour Libre Echange
Prix Cinécourts:After Shave d’Hany Tamba
Sandra.M
Lien: site officiel du festival