La parodie de confession à laquelle les Français ont assisté dimanche soir sera probablement la seule « explication » de l’affaire à laquelle ils auront droit. DSK ne s’est présenté face caméra que parce qu’il était dans un environnement ami.
Par Stéphane Montabert, depuis Renens, Suisse
Comme plusieurs millions de Français, j’ai sacrifié une demi-heure de mon dimanche soir pour regarder l’interview de Dominique Strauss-Kahn sur TF1 plutôt que d’assister à la défaite des basketteurs tricolores face à l’Espagne.
Et comme des millions de téléspectateurs, j’ai été assez déçu de la prestation (non, je ne parle toujours pas de basket).
TF1 avait bien joué le coup: dès le générique du journal, on pouvait apercevoir les ombres de Claire Chazal et de Dominique Strauss-Kahn sur un plateau encore plongé dans une semi-obscurité. L’Homme était là. L’actualité fut expédiée en quelques minutes, avant que l’on ne passe dans le vif du sujet pour un long entretien.
Enfin, vif du sujet, façon de parler. Claire Chazal posa ses questions avec bien peu d’insistance. Lorsqu’elle demanda « ce qui s’est passé » dans la suite 2806 du Sofitel de New-York, voilà ce qu’elle et les téléspectateurs reçurent en guise de réponse:
« Ce qui s’est passé ne comprend ni violence, ni contrainte, ni agression, ni aucun acte délictueux. C’est le procureur qui le dit. C’est une relation non seulement inappropriée, mais plus que cela une faute vis-à-vis de ma femme, mes enfants, mes amis, les Français. Ils avaient placé en moi une espérance de changement. J’ai donc manqué mon rendez-vous avec les Français. »
On s’en fiche de ton « rendez-vous avec les Français », Dominique. Ce qu’on aurait voulu savoir, c’est ta version des faits, pas ce salmigondis insipide sorti de vingt séances de préparation avec une équipe d’experts en marketing.
Dominique Strauss-Kahn rate son rendez-vous avec les Français. Encore.
Face à une réponse aussi creuse, une journaliste un peu moins obséquieuse aurait peut-être froncé les sourcils et relancé son interlocuteur avec quelque chose de plus incisif, comme « Mais enfin, que s’est-il passé? Que vous a-t-elle dit, que lui avez-vous fait? » ou « expliquez-nous comment un homme de 62 ans peut séduire une parfaite inconnue rencontrée par inadvertance en moins de dix minutes, au point d’avoir une relation sexuelle non tarifée avec elle? » Qu’il la dise, sa vérité. Qu’il les lance, ses accusations de complot. Mais il aurait fallu en face de DSK quelqu’un d’un autre calibre qu’une journaliste amie d’Anne Sinclair, l’épouse cocue-et-contente de notre homme.
Auquel cas l’interview ne se serait probablement pas faite.
Car, il faut bien l’admettre, DSK n’est revenu face caméra que parce qu’il était dans un environnement ami. Du coup, cette parodie de confession sera probablement la seule « explication » de l’affaire à laquelle les Français auront droit.
Ne nous leurrons pas, hier soir Dominique Strauss-Kahn jouait pour gagner. Sa prestation n’était pas celle d’un homme à bout de souffle écrivant l’épilogue de sa carrière, mais bien celle d’un politicien avide de préparer son retour.
Ainsi, une combativité toute artificielle, livrée en brandissant le rapport du procureur enterrant l’affaire, face à l’indignation consécutive au manque de respect témoigné à DSK ces quatre derniers mois.
Ainsi, les remarques grotesques sur les péripéties du logement de l’accusé (la famille Strauss-Kahn cherchant un trois pièces, puis un studio, avant de se rabattre faute de mieux sur un véritable palais – on y croit!) ou les attaques contre le pouvoir de l’argent dans la justice américaine, pouvoir dont il a été le premier bénéficiaire.
Ainsi, les sous-entendus et faux-semblants quant aux primaires socialistes, étant entendu qu’il ne faut se fermer aucune porte, quitte à n’avouer que du bout des lèvres son accord secret avec Martine Aubry, pauvresse en difficulté dont il faudra peut-être se séparer en faveur d’un poulain mieux placé.
Croire à la bonne foi de Dominique Strauss-Kahn est un exercice difficile, tant il en a peu dit. Or, le silence ne plaide pas en sa faveur. Toute la mise en scène fleure bon l’opération de communication. Mention spéciale pour le montage, avec une succession de plans serrés et larges, de gros plans sur les mains et la gestuelle… Un beau travail en régie, tout au service de l’ex-futur candidat. Mais où est l’authenticité? Quand un quotidien romand en arrive à lancer un débat sur la sincérité dégagée par la prestation sans réaliser l’ironie de la question, on devine qu’on a touché le fond.
Quoi qu’on pense de lui, Dominique Strauss-Kahn n’est pas Hannibal Lecter, et l’affaire DSK n’est pas l’Affaire Dreyfus. La France ayant ses particularités, la carrière politique de DSK n’est pas forcément terminée. Le monarque président français alloue des maroquins de ministre comme il l’entend et ne s’en prive pas. Jacques Chirac a ainsi choisi comme Premier Ministre un individu n’ayant jamais affronté la moindre élection. Nicolas Sarkozy a attribué un portefeuille ministériel à un repris de justice.
Le prochain président français pourrait aller au bout de la logique d’une réhabilitation à tout prix, et, ignorant superbement l’opinion publique, le nommer à un poste prestigieux en rapport avec ses compétences.
Tiens, Directeur du FMI, par exemple.
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Sur le web.
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