La collection Les affranchis chez Nil propose aux auteurs de rédiger « la lettre qu’ils n’ont jamais écrite ». Un exercice de style peu aisé, qui peut permettre, suivant les cas, aux auteurs d'aborder des sujets personnels, des moments de leur histoire qui les ont marqués, tout en respectant l'art épistolaire.
Linda Lê écrit à son enfant. Plus précisément, à l'enfant qu'elle n'a pas et qu'elle assure ne jamais vouloir avoir. Clara et moi avons été séduites par ce petit texte qui est absolument magnifique. L'écriture est fine, ciselée, délicate et forte tout à la fois, et certaines pages vraiment de toute beauté. Nous aimons beaucoup l'idée de cette lettre, qui permet de dévoiler l'intime, de se mettre à nu, et de parler au lecteur comme s'il était dans la vie de l'auteur, un ami, une oreille attentive et aimante.
Mais elle comme moi avons ressenti un malaise à cette lecture. En effet, mamans toutes les deux, nous n'arrivons pas à imaginer qu'on puisse volontairement se priver du bonheur d'avoir un ou plusieurs enfants. Notre lecture, malgré sa beauté, nous a emplies de tristesse pour cette femme, dont la vision de la vie est si pessimiste qu'elle s'auto-censure elle-même, qu'elle s'interdit cette joie ineffable de la grossesse, de la naissance et de voir chaque jour pousser son petit, se développer sa personnalité, ses goûts, ses désirs, ses passions. Même si on sait bien que les enfants, "ça fait bien du souci", qu'on ne pourra jamais se départir d'une angoisse omniprésente qu'il leur arrive quelque chose ou qu'on ne les ait pas assez, ou mal aimés. Même si c'est fatigant, les enfants, si parfois on en jetterait bien un par la fenêtre, si on s'arrache les cheveux avec nos ados qui nous répondent avec insolence, avec le petit qui a bousillé le canapé en le repeignant au feutre, avec sa fille qui veut sortir habillée comme un trainée, avec celui qui veut un portable ou qui ne fiche rien à l'école... On peut trouver dix mille raisons en effet pour ne pas avoir d'enfant, mais à mon sens, c'est se priver soi-même, et c'est bien dommage.
Certes, Linda Lê a souffert d'avoir une mère mal-aimante qui lui a plombé la jeunesse et l'adolescence et dont, à l'âge adulte, elle n'a pu encore se détacher, attentive encore aux remarques maternelles, et ressentant toujours dans sa chair et son coeur les piques des réflexions acerbes, cassantes, et ce manque de tendresse et d'amour qui la laisse bancale, peureuse, incomplète et semble-t-il vraiment pas bien dans ses baskets. Elle a peur, si jamais elle avait un enfant, de commettre les mêmes erreurs que sa mère, de devenir à son tour une marâtre, de ne pas savoir l'aimer. Mais n'est-ce pas le lot de toute mère, et n'oscillons nous pas toujours entre le modèle de notre maman et son contraire, cherchant, tâtonnant pour tenter de donner à nos enfants le meilleur de nous même sans faire trop d'erreurs ? La maternité renvoie bien évidement à la mère, mais Clara et moi sommes persuadées que cette hérédité n'est pas un fatalisme et qu'on peut, lorsqu'on a réussit à analyser les situations, à les accepter, les intégrer et à prendre du recul, s'en détacher pour suivre son propre chemin. Il y a bien sûr l'hérédité, cette fameuse notion qu'on ne peut pas oublier ! On va leur transmettre tellement de choses, à nos bambins ! Nos défauts, nos maladies chroniques, nos tares génétiques, mais aussi, et rien que pour ça, l'aventure vaut le coup, notre joie de vivre, notre soif de découverte, notre envie d'aimer et de partager, nos désirs... Et des fous rires, de la tendresse à revendre, de la complicité, quelques cris aussi, parfois, mais tant de joies !
L'auteur écrit de si belles pages d'amour à cet enfant qu'elle se refuse à avoir ! Elle le voit, le fait vivre sous sa plume, bébé, petit enfant, jeune garnement ou ado, jeune homme ou homme mûr, elle en parle si bien, avec tant d'empathie, de compréhension... Enfant modèle ou sale gamin, élève attentif ou cancre, poli ou insupportable, bosseur ou paresseux, intelligent et futur ministre ou benêt, habile de ses doigts ou intello, moche à pleurer ou beau à se damner, elle envisage toutes les possibilités de l'avenir de cet enfant avec une lucidité qu'on aimerait avoir pour les nôtres. Elle sait qu'il ne sera pas tel qu'elle le rêve, mais un être entier indépendant d'elle qui se construira, avec son aide certes, mais à l'extérieur d'elle-même. Elle sait même que l'enfant pourra lui être d'un grand secours dans ses angoisses, et pourrait l'aimer.
Malgré tout, Linda Lê n'en veut pas, de cet enfant. Son couple bat de l'aile, oui ; sa vie professionnelle est tout sauf stable, d'accord ; l'ombre de sa mère plane toujours au-dessus d'elle, oui, certes, et je comprends que tout cela soient des freins importants. Mais je pense que toutes ces raisons ne tiennent pas face au bonheur que peut procurer un enfant. Un sourire, un mot, un geste, voir cet être que vous avez fait naître, grandir, à qui vous apprenez les choses de la vie, le goût des choses, ça dépasse toutes les joies que l'on peut imaginer.
Alors je souhaite à cette femme que je ne connais pas qu'elle puisse surmonter ses angoisses, son passé qui la mine, qu'elle arrive avec l'aide d'un psy à guérir de ses phobies et de ses terreurs, de toutes les casseroles qu'elle traine de son passé d'enfant mal-aimée, mal comprise, qu'elle cesse de penser que refuser une grossesse équivaut à refuser les diktats de la société face à la place des femmes et leur "devoir" de procréation et qu'un jour, elle se lance et l'ait enfin, cet enfant. Car je suis sûre qu'à ce moment-là, elle sera la plus heureuse des femmes, et enfin libérée de son passé, tournée vers l'avenir.
Mélopée a beaucoup aimé.
Un livre paru chez Nil Editions.