Noël Kodia – Le 20 septembre 2011. Avec les tragédies libyenne et ivoirienne, le continent africain, une fois de plus, a montré à la face du monde que le manque d’alternance, avec une dictature, est préjudiciable pour les populations. Malgré un certain niveau de bien-être social la Libye n’aurait pas échappé à cette situation, d’où le mécontentement d’une partie des Libyens, Kadhafi ayant favorisé le « tribalisme économique ». Le pouvoir absolu, même dans un pays en apparence économiquement prospère, avec avantages sociaux, conduit inéluctablement à une révolte au niveau des populations. Souvent s’en suivent destructions des biens et immeubles et morts d’hommes. Les dirigeants africains qui s’éternisent au pouvoir pourront-ils tirer la leçon de la déchéance de Kadhafi ?
Soif de liberté d’expression malgré le bien-être social
Le dénouement de la crise libyenne a été des plus violents, contrairement à ce qui s’est passé en Tunisie et en Egypte. Les Africains viennent de comprendre que l’essor économique et les avantages sociaux qui ne s’accompagnent pas du respect des droits de l’Homme seront toujours néfastes pour les dictatures qui vivront la colère des opposants en général et de la jeunesse en particulier. Kadhafi a été ouvertement décrié par une partie de son peuple quand les langues se sont déliées avec les révoltes tunisienne et égyptienne. Certains dirigeants noirs d’Afrique, encore allergiques aux lois de la démocratie pluraliste doivent comprendre pourquoi dans les vieilles démocraties se sont imposées la limitation des mandats non négociable prévue par leurs Constitutions. En Afrique, les dirigeants qui passent plus de temps au pouvoir que le prévoit la Constitution créent la frustration au sein de l’opposition. Ils développent le favoritisme, le népotisme, le tribalisme, et in fine le fanatisme, source d’impunité et de mal gouvernance. Et c’est dans cette situation que se sont retrouvés Kadhafi et sa famille, et cela, malgré tout le confort matériel et avantages sociaux dont a bénéficié une partie des Libyens.
Quel essor économique ?
Quand on considère l’Afrique du nord qui s’avère plus prospère que l’Afrique subsaharienne, on constate une différence entre la Libye et les autres pays du Maghreb comme la Tunisie, le Maroc et l’Algérie qui ne donneraient pas du travail aux jeunes comme la Libye. Ceux-ci sont obligés de traverser désert et mer à la recherche du bien-être en Europe. Alors que la Libye reçoit plutôt des immigrés de ces pays et du sud du Sahara à la recherche du travail. Avec un essor économique qui se repose largement sur l’exploitation du pétrole grâce à la hausse du prix et à la richesse de ses réserves, la Libye peut être considérée comme l’un des pays qui a une bonne élévation de niveau de vie sur le continent : son PNB par habitant était de 12,020 $ en 2009.
Mais en dépit de cet essor économique « providentiel », les Libyens avaient besoin de liberté, cette liberté qui manque dans les pays où sévit la dictature. Quelques déclarations des opposants libyens sortis des prisons nous ont démontré que, malgré l’essor économique qui peut donner moult avantages sociaux, il manquait quand même quelque chose aux Libyens : le respect des droits de l’Homme bafoués par Kadhafi. D’autant que ce développement économique n’était pas fondé sur le socle pérenne de la liberté économique, mais uniquement sur l’exploitation des hydrocarbures. Il n’est pas étonnant qu’il ait alors bénéficié essentiellement à une minorité et généré des injustices : 70% de la population vivent au seuil de pauvreté.
Mais la démocratie est-elle possible avec des transfuges du pouvoir déchu ?
Une nouvelle politique commence à se dessiner en Libye après la chute de celui qui dirigé d’une main de fer le pays pendant 42 ans. Malheureusement, on constate que la nouvelle équipe, le Conseil national de transition est composé en majorité des transfuges du pouvoir défunt et qui ont eu à accompagner Kadhafi dans ses dérives décriées aujourd’hui. Moustapha Abdeljahl qui dirige ce CNT était le président de la Cour d’appel qui, à deux reprises, avait confirmé la condamnation à mort des infirmières bulgares accusées d’avoir inoculé le virus du HIV à des centaines d’enfants de Benghazi.
Et la position de l’Union africaine devant la crise libyenne ?
Impuissante devant la Communauté internationale dont le « pouvoir d’agir » est entre les mains des grandes puissances occidentales, l’UA n’a fait que constater les décisions militaires de celles-ci à travers l’implication de l’OTAN pour précipiter la déchéance de Kadhafi. D’ailleurs il est rare que les Africains parlent d’une même voix quand il s’agit de régler un conflit sur le continent : on a constaté deux camps diamétralement opposés sur la crise libyenne. La feuille de route que s’était imposée l’UA dans le but de résoudre politiquement ce conflit n’a pas été respectée par la Communauté internationale qui connaît l’indolence des Africains dans la résolution de leurs problèmes politiques. Demain, l’UA sera obligée de reconnaître le nouvel État de Libye, surtout que l’on parle de transition devant mener le pays vers une démocratie pluraliste fondée sur des élections, une première en Libye.
Avec les crises sociopolitiques qui viennent de se produire dans le Maghreb, et particulièrement en Libye où une partie de la jeunesse était marginalisée par le tribalisme de Kadhafi, la jeunesse maghrébine apparaît comme une arme pour la liberté, et notamment la liberté économique quand on ne laisse pas une génération exercer ses affaires pour gagner sa vie (on se rappelle encore de Mohammed Bouazizi en Tunisie). La bombe qu’elle constitue commence à être désamorcée. Et on ne sera pas surpris que le syndrome libyen fasse tache d’huile dans quelques pays où sévit encore la dictature au sud du Sahara.
Noël Kodia est essayiste et critique littéraire congolais (Brazzaville).