Me souvenant du premier film de Stephane Brizé Le bleu des villes qui avait reçu le prix Michel d’Ornano 1999, je tenais absolument à découvrir ce second long-métrage du réalisateur. Réminiscences espérées d’un film dont je gardais une excellente impression ? Réminiscences espérées de l’atmosphère enchanteresse du lieu où j’avais vu ce précèdent film et de tant de souvenirs aussi : celle et ceux du festival du film américain de Deauville 1999 ? Mystères de l’inconscient. Toujours est-il que je me retrouvai, non pas dans la salle de cinéma du casino de Deauville mais au cinéma Saint-André des Arts, dans une salle au public plus que clairsemé…forcément eu égard au peu d'échos médiatiques de ce film qui en aurait pourtant mérité.
Du Bleu des villes je me souvenais d’une histoire universelle, de personnages touchants, dépeints sans manichéisme simplificateur, juste humains, ambivalents, aspirant à une vie meilleure, différente en tout cas. Je me souvenais aussi d’une esquisse assez juste de la province. Tous ces éléments se retrouvent d’ailleurs dans Je ne suis pas là pour être aimé . Les premiers plans nous font suivre Jean-Claude Delsart (Patrick Chesnais) qui monte l’escalier d’un immeuble, essoufflé, haletant, lassé. Essoufflé par la situation autant que par sa vie. Comme la protagoniste du Bleu des villes il a un métier a priori plutôt ingrat (huissier de justice),il ne nous apparaît pas « aimable » (dans les deux sens du terme)d’emblée. Sa vie routinière, monotone, se partage entre le cadre claustrophobique de son étude, grisonnante, voire sinistre, et celle de la chambre de la maison de retraite de son père, un père irascible. Et puis un jour la fenêtre de son étude s’ouvre et de là on découvre l’appartement qui lui fait face, s’y oppose même : celui où sont donnés des cours de tango dans une ambiance chaleureuse. Les couleurs du lieu sont aussi chaudes que celles de l’étude sont froides, la musique emplit autant le lieu que le silence de l’étude la vide. Une fenêtre s’ouvre aussi dans son existence. Ses désirs, ses échecs enfouis se réveillent soudain, ses « bleus » à l’âme aussi. Dans un douloureux silence. Son médecin lui a recommandé de faire de l’exercice à cause de son cœur, un cœur fatigué : il s’inscrit donc au cours de tango. Même s’il n’est initialement pas « là pour être aimé », c’est pourtant ce qui va arriver. Malgré lui. Comme une évidence. Sous les traits d'une jeune femme sur le point de se marier : Fanfan (Anne Consigny).
Là pourrait avoir été résumé tout le film, pourtant c’est bien plus que cela. Quelle danse plus sensuelle que le tango ? C’est avec cette même sensualité que Stephan Brizé filme ses personnages, filme celle qui s’empare peu à peu d’eux, un trouble imperceptible capté par la caméra : une main qui progressivement se rapproche d’une épaule, le frémissement d’un visage, et sans dialogues, le temps d’une danse, par son talent de réalisateur et par celui de son acteur principal, une histoire qui naît de manière indicible, avec la noblesse du silence.
Les scènes dialoguées sont tout aussi réussies : percutantes, cruelles parfois (scènes de famille de la future mariée en proie aux doutes, scènes avec son père, etc) aux accents de réalité indéniables. L’histoire d’un « cœur en hiver » (la référence est plus qu’élogieuse de ma part : un de mes films préférés ) qui se remet peu à peu à battre, à exister. La profonde humanité avec laquelle Brizé décrit ses personnages n’est d’ailleurs pas sans rappeler le style du réalisateur précité.
On pourrait lui reprocher un scénario prévisible mais son talent nous le fait bien vite oublier: il filme la polysémie des silences, des visages, comme personne. Un film d’une tendre cruauté, d’une subtile drôlerie, d’une belle humanité, sans théâtralité ni grandiloquence mais dont la mélancolie vous charme insidieusement, subrepticement comme ce tango qui rapproche peu à peu les personnages et dont la musique exaltante vous poursuivra longtemps après le générique de fin.…
Sandra Mézière
Film encore projeté au Saint-André des arts, à l'UGC Rotonde Montparnasse, à l'UGC triomphe, au Gaumont Opéra français, à l'UGC ciné cité Bercy, et au Studio 28.
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