La Cité des sens poursuit sa tentative de mise en mémoire des nombreuses et (parfois intéressantes) tribunes et contributions publiées cet été dans le double contexte :
- des routines saisonnières, les discussions sur la « culture » s’épanouissant ordinairement dans la douce chaleur des festivals
- de la conjoncture crée par perspective de la campagne présidentielle.
Dans le dossier déjà cité du magazine La Terrasse, un entretien avec Jean-Michel Lucas résume (avec les dangers inhérents à ce genre d’exercice lorsqu’il s’agit d’une pensée riche et complexe) les positions de ce chercheur parfois mieux connu sous le pseudonyme de Dr Kasimir Bisou. Deux extraits :
Vous préconisez depuis quelques années une rupture d'avec la logique de la démocratisation culturelle qui a officiellement guidé les politiques culturelles successives, à droite comme à gauche. Pourquoi ?
Jean-Michel Lucas : A vrai dire, ceux qui tempêtent pour défendre la démocratisation de la culture se trompent de combat : ce mot d'ordre conduit, en pratique, à organiser plus d'occasions pour les habitants de se faire plaisir en consommant des produits artistiques ! J'en viendrais même à penser que la démocratisation de la culture ressemble de plus en plus à un ensemble d'épiceries culturelles franchisées par Télérama ! De plus, la « démocratisation de la culture » manque d'honnêteté au regard des principes communs de la démocratie : elle impose sa conception de la culture, sans discussion possible, celle des oeuvres de qualité, - le ministère de la culture affirme même que sa mission concerne les « oeuvres capitales de l'humanité » ! Le reste est alors « sous-culture » ! Or, cet argument est gravissime pour la démocratie car il veut nous faire croire que les valeurs de références pour le genre humain sont attachées à des objets (même appelés « oeuvres d'art ») alors qu'elles sont attribuées, non sans mal, par des êtres de subjectivité. Cet exercice continuel de « réification », au sens du philosophe et sociologue Axel Honneth, masque la question pertinente qui est de savoir qui détient le pouvoir social de dire la valeur culturelle pour l'humanité. L'enjeu politique n'est donc pas la fréquentation en nombre de ces « oeuvres » mais la question éthique de savoir qui est « maître de la valeur » et avec quelle légitimité en société de liberté ? C'est pourquoi je considère que, pour reconstruire la politique culturelle, la priorité est d'en reformuler les enjeux éthiques. Il est impératif, par le débat public, d'inscrire la réflexion sur la légitimité de la politique culturelle dans le cadre des valeurs universelles qui fondent nos sociétés de liberté, à commencer par les droits humains, et évidemment les droits culturels des personnes.
(…)
Concrètement, quels changements cela impliquerait-il de mettre en place dans les politiques culturelles ?
(…) Pour faire mieux, les élus à la culture devraient exiger que chaque subventionné prenne le temps et les ressources de participer aux confrontations avec d'autres positions culturelles, indifférentes ou hostiles, en expliquant en quoi il apporte « plus d'humanité » et à quelles personnes de la société. Cette nécessité éthique doit faire partie des projets. Les élus devraient aussi exiger qu'au-delà de la simple consommation de produits par des spectateurs, les projets publics permettent à des personnes de s'engager dans des parcours d'émancipation établis par conventionnement avec elles. Je devrais dire travailler dans la réciprocité avec des professionnels pour que les personnes gagnent en liberté, en capacités, en responsabilité (ce que l’économiste indien Amartya Sen appelle une approche par les capabilités). La difficulté pratique est que ce type de projet demande que la personne soit partie prenante de la négociation sur la valeur du projet. L'engagement éthique doit être transcrit dans la pratique de gestion des conflits entre les dignités. LIRE L'ENTRETIEN
Rappelons que l’on peut retrouver un grand nombre d’articles et d’interventions de Jean-Michel Lucas sur le site de l’Irma
On gagnera à confronter les analyses de Jean-Michel Lucas avec le contenu du récent dossier du magazine La Scène (n° 61, été 2011)
Les politiques culturelles ont-elles encore un avenir ?
• Peut-on encore croire à la démocratisation culturelle ?
• L'horizon 2030
• L'avis de la nouvelle génération
et les propos qui sont tenus dans ce dossier par certains acteurs, propos qui sortent de l’ordinaire de la vulgate artistique propre au « monde de la culture » et du spectacle vivant en particulier.
Qu’on en juge avec ces quelques fragments des réponses apportées à la première question du dossier (dans la formulation de laquelle figure heureusement, à mon sens, le verbe « croire ») :
Nous devons retrouver le sens de l’éducation populaire ( Guy Alloucherie)
De par l’histoire de nos lieux, nous croyons beaucoup à un équilibre entre démocratie et démocratisation (Didier Goffon)
En tant qu’établissement profondément inscrit historiquement et institutionnellement dans l’éducation populaire, nous tendons davantage vers la démocratie culturelle. Cela signifie que le processus d’accès à l’œuvre ne peut se faire que dans la reconnaissance et le respect de la culture de l’individu. (Yann Fremeaux)
Mais l’article le plus clair en ce sens (et le plus proche des positions de Jean-Michel Lucas) renvoie à l’expérience belge.
(…) Dans les années 1960, en France comme en Belgique, nous avons lancé les politiques de démocratisation de la culture. Puis, chez nous, une politique de démocratie culturelle qui s’appuie essentiellement sur les secteurs de la jeunesse et de l’éducation populaire. Mais où en est- après quarante ans?
(…)
Nous voulons aussi explorer la façon dont les publics peuvent être aujourd’hui partenaires et même concepteurs des politiques culturelles publiques
(..)
Toutes nos politiques culturelles depuis quarante ans ont été construites sur l’offre.
(…) cela présuppose donc que l’on arrête de prendre les gens pour des imbéciles et que les pratiques culturelles usuelles des individus ne soient pas systématiquement disqualifiées
Belgique. Refonder avec l’éducation populaire ; Yanic Samzun, secrétaire général de Présence et action culturelles ; La Scène, N° 61 (Eté 2011) page 77.
Pour mieux comprendre la situation particulière des politiques culturelles de nos proches voisins, on peut lire :
Démocratisation de la culture et/ou démocratie culturelle? Comment repenser aujourd’hui une politique de démocratisation de la culture?
Jean-Louis Genard
Université libre de Bruxelles
Article téléchargeableà cette adresse
Résumé
La Communauté française de Belgique a développé, dès les années 60 du siècle dernier, des politiques culturelles spécifiques sous l’horizon de la tension entre démocratisation de la culture et démocratie culturelle. Ce choix, très innovateur pour l’époque, contrastait fortement avec les politiques de démocratisation de la culture initiées en France par Malraux. Le texte s’interroge sur les avancées mais aussi les impasses auxquelles a mené cette politique en particulier en raison des interprétations sous-jacentes qui étaient données à l’époque du mot des termes « culture » et « art ». Au regard de ce bilan, il réfléchit ensuite à ce que pourrait ou devrait être aujourd’hui une politique de démocratisation de la culture, suggérant une réécriture profonde des relations entre culture et éducation, ainsi que le développement de politiques culturelles assumant les exigences liées à la conception de la culture héritée de la modernité, et centrée sur les exigences d’expressivité et d’émancipation.
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