Début 2008, Jean-Claude Villegas, Jean Sagnes (Préfacier) , Georges Colomer (Traducteur) , Josette Colomer (Traducteur) s’attaquaient à un devoir de mémoire en publiant « Ecrits d'exil - Barraca et Desde el Rosellon-Album d'art et de littérature Argelès-sur-Mer 1939 » publié par NPL Editions (Les Nouvelles Presses du Languedoc).
Il s’agissait de présenter une revue publiée par un groupe de réfugiés espagnols que les français internèrent au camp d’Argelès ; quelques baraques sommaires vite montées pour accueillir les innombrables républicains qui fuyaient la répression des troupes franquistes. Un épisode scandaleux de l’histoire de France qu’a décrit dernièrement Juan Manuel Florensa dans son ouvrage sans concession «Les mille et un jours des Cuevas».
Dans ce camp d’internement, quelques intellectuels, poètes, graphistes, écrivains, allaient se réunirent au cœur d’une cabane, centre culturel insignifiant de réfugiés abandonnés. ils allaient y entreprendre une œuvre inimaginable, la réalisation d’une revue d’art. Peut-on d’ailleurs parler de revue lorsque l’on sait que l’objet en question est un cahier d’une quarantaine de pages, réalisées entièrement à la main en une 20e d’exemplaires ! Textes et dessins copiés et recopiés sur des feuilles de papier récupérées puis assemblées pour former cet objet improbable intitulé « Barraca ».
Titre temporaire toutefois, car un viticulteur du coin, Victor Peix, propriétaire du Domaine de Valmy qui soutenait les républicains espagnols et particulièrement les réfugiés[1], tomba en admiration sur l’un des exemplaires de Barraca. Dès lors, il n’eut de cesse d’encourager cette entreprise en regroupant ces artistes dans un lieu plus décent que le camp. C’est ainsi que le groupe emménagea au « mas de l'Abat », une ferme catalane que possédait Peix dans la forêt de chênes lièges dominant le château de Valmy. La Baraque n’étant plus de mise, le titre devenait obsolète. Ceux qui composait cette « Académie de Valmy » la baptisèrent alors « Desdé el Rosellon ».
C’est au sein des différents numéros de cette revue (reproduits dans le livre "Écrits d’exil") que j’ai découvert l’œuvre de Carlos Pestana (ou Pestano) Nóbregas, l'un des graphistes qui visiblement s’occupaient de la maquette et, qui, malheureusement à mon goût, illustrait trop rarement certaines pages. Les illustrations que je reproduis ici sont les seules que j'ai trouvées. Des caricatures des différents artistes du groupe (Qui sommes-nous ?) ou des "amis" qui venaient les voir. Outre ses dessins - essentiellement des caricatures - et des lettrages particulièrement raffinés, ses compositions de pages aériennes démontrent une élégance rare qui m’a tant subjuguée, que j’ai cherché vainement d’autres œuvres de cet artiste totalement inconnu.
Toutefois, j’ai appris quelques faits – bien éparses - de sa vie. Ainsi, mes recherches sur Internet ont donné ceci :
1) Sur le site JABLE de l’université de Las palmas de la grande canarie (http://jable.ulpgc.es/jable), je découvre que Carlos avait un frère, Ernesto, avec qui il collabora au sein d’une revue « La Rosa de los vientos » que publia entre le 01/04/1927 et le 01/01/1928 à Santa-Cruz de Tenerife les frères Nobregas :
« Esta revista literaria mensual apareció el 1 de abril de 1927 por iniciativa de Juan Manuel Trujillo, con la colaboración de Agustín Espinosa García y Carlos Fernández del Castillo.
Fue una revista notable en el panorama insular y español, una de las surgidas al calor de “Revista de Occidente” de Ortega y Gasset.
Consiguió editar cinco números: los tres primeros en la tipografía Bethencourt Padilla; el cuarto en La Orotava, demorando su salida hasta diciembre de 1927; y el último en la imprenta Álvarez de Santa Cruz, en enero de 1928.
Entre sus colaboradores figuraron Ángel Valbuena Prat, Elías Serra Ráfols, Leopoldo de la Rosa, José Pérez Vidal, Juan Rodríguez Doreste, Luis Benítez Inglott, Emeterio Gutiérrez Albelo, Pedro Perdomo Acedo, Ernesto y Carlos Pestana Nóbrega,” etc.
Sur le premier N° (avril 1927) figure bien un texte d’Ernesto mais je n’ai pas trouvé de dessin de Carlos, tout comme dans le 2 et le 5. Ce texte montre que le frère avait également un certain talent
Onda corta
Siempre que una sombrilla abre la boca se traga al sol.
Y después se ríe, enseñando el regatón, como una lengua que le hicieras burlas.
Los cipreses de los cementerios son los husos que recogen los hilos de las vidas apagadas que les entregan los brazos abiertos de las cruces.
Es la ofrenda de la tierra al cielo. La ofrenda sencilla de unos hilos para que los ángeles jueguen a la comba.
ERNESTO PESTAÑA N0BREGA.
Carlos apparaît par contre dans le n°2 comme directeur de la rédaction. Mais aucun de ses dessins, bien que la revue en comporte un certain nombre.
2) Auparavant, Carlos fut en 1917 sous les drapeaux dans une unité d'artillerie. Je suppose qu'il s'agit du même car s'il avait une cinquantaine d'années en 1940, il avait une vingtaine d'années à la fin des années 1910-1920 et devait donc exercer son service militaire. D'autant que l'article du journal ABC de juillet 1917 qui le cite relate des exercices militaires à Palma de Majorque dont il est originaire.
3) Plus intéressant encore, toujours aux Canaries, on apprend que Carlos fut déporté en août 1936 au Sahara occidental : "A mediados de Agosto 1936 sale de Las Palmas de Gran Canaria el Vapor “Viera y Clavijo”, figurando entre los pasajeros un total de 37 individuos deportados desde Santa Cruz de Tenerife, encontrándose entre los mismos dirigentes de la C.N.T., socialistas, comunistas y algunos afiliados a Izquierda Republicana; quedan 29 internados en Villa Cisneros y 8 siguen para La Güera, siendo empleados estos prisioneros en apertura de carreteras y otros trabajos. Los mismos fueron à RIO DE ORO, Villa Cisneros (suit une liste ou figure Carlos pestana Nobrega). J'en déduis qu'il s'évada afin de rejoindre les troupes républicaines puis d'être contraint à l'exil en France sous la poussée des troupes franquistes.
Si d’aucun possède quelques informations sur cet artiste, je l’en remercie par avance de les fournir.
[1] Afin de réunir à nouveau les familles séparées à la frontière française, il n'avait pas hésité à recueillir des réfugiés du camp d’Argelès pour leur donner du travail dans ses vignes.