Louis-Léopold Boilly (La Bassée, 1761-Paris, 1845),
Trompe-l’œil aux petits savoyards, après 1798.
Huile sur toile, 54 x 64,5 cm, Paris, Musée du Louvre.
À ceux pour qui il évoque encore quelque chose, le nom de Louis-Ferdinand Hérold demeure essentiellement celui d’un compositeur lyrique fêté dans les premières décennies du XIXe siècle. On sait moins aujourd’hui qu’à l’instar d’un Cherubini ou d’un Boieldieu, il écrivit aussi de la musique instrumentale, une part de sa production généralement assez complètement négligée par les interprètes. La volonté de redécouverte toujours en éveil du Palazzetto Bru Zane nous rend aujourd’hui trois de ses concertos pour piano, dont l’enregistrement, publié par Mirare il y a quelques semaines, a été confié au pianiste Jean-Frédéric Neuburger et au Sinfonia Varsovia, placés sous la direction de l’insatiable Hervé Niquet.
Louis-Ferdinand Hérold, né à Paris le 28 janvier 1791, est un enfant des institutions musicales créées par la Révolution française. Fils d’un pianiste et compositeur prénommé François-Joseph qui lui donne ses premières leçons, il entre au Conservatoire de Paris en 1806, dans la classe de piano Louis Adam, et y obtient un premier prix en 1810. Il y travaille également le violon avec Rodolphe Kreutzer, l’harmonie avec Charles-Simon Catel, et la composition avec Étienne-Nicolas Méhul. En 1812, il interprète un de ses deux premiers concertos pour piano, composés l’année précédente, au Théâtre-Italien, et obtient, quelques mois plus tard, un premier prix de Rome. Son séjour en Italie va se révéler déterminant pour la suite de son parcours, car s’il compose encore, en février et août 1813 respectivement, deux nouveaux concertos pour piano, ainsi que deux symphonies (1813 et 1814) et trois quatuors à cordes (1814), il finit par se tourner vers le domaine lyrique. La création napolitaine de son premier opéra La Gioventù di Enrico Quinto, le 5 janvier 1815, est un succès dont les échos élogieux propagés par la presse assoient sa réputation. Employé comme maestro al cembalo au Théâtre-Italien en 1816, il prépare, en recrutant des chanteurs, la première représentation parisienne (1822) de Moïse en Egypte de Rossini, tout en composant quelques ouvrages, dont certains en collaboration, qui connaissent des fortunes diverses, de la réussite de Charles de France (1816, coécrit avec Boieldieu) ou de La Clochette (1817) à l’échec des Troqueurs (1819) ou de L’Auteur mort et vivant (1820). Nommé maître de chant à l’Opéra-Comique en 1826, poste qu’il conservera jusqu’en 1831, cette année voit sa carrière prendre véritablement son envol avec le succès de Marie, qui sera suivi de celui de ses ballets comme, entre autres, La Somnambule (1827) ou La Fille mal gardée (1828). Nommé chevalier de la Légion d’Honneur en 1828, il atteint sa pleine maturité dans ses deux derniers opéras-comiques, Zampa ou La Fiancée de marbre (1831) et Le Pré aux clercs (1832), mais la phtisie le rattrape et il meurt à Paris, quelques jours avant d’atteindre 42 ans, le 19 janvier 1833.
Quel visage aurait pris la carrière d’Hérold si La Gioventù di Enrico Quinto avait été un échec ? Même s’il serait parfaitement abusif d’en tirer des conclusions tranchées, les concertos pour piano documentés par ce disque témoignent, à l’instar d’un enregistrement plus ancien de ses deux symphonies qui, au passage, mériteraient une version un peu plus convaincante, de brillantes qualités propres à assurer le succès de leur auteur, mais certainement hors d’une France aux yeux de laquelle les galons de la renommée ne pouvaient se gagner que sur les scènes lyriques ; cette raison constitue probablement la principale pour laquelle Hérold se désintéressa assez complètement du sort de sa musique instrumentale. Des difficultés d’établissement du texte ayant, entre autres, conduit les interprètes à écarter le Concerto n°1 en mi majeur, les trois autres attestent d’un langage en constante évolution qui, solidement ancré dans le classicisme, s’en dégage progressivement pour expérimenter de nouvelles possibilités expressives et prendre des teintes nettement romantiques. Au volontairement démonstratif Concerto n°2 en mi bémol majeur, alliance réussie de vivacité conquérante, largement induite par le choix de sa tonalité de base, et d’élégance raffinée à la transparence toute mozartienne (Andante médian), que l’on situerait quelque part entre Jan Ladislav Dussek (1760-1812), qui fit une brillante carrière dans le Paris de l’Ancien Régime et dont Hérold connaissait sans doute les œuvres, ainsi que l’atteste la comparaison du Rondo final avec celui du Concerto en si bémol majeur (opus 22, 1793) du Bohémien, et Johann Nepomuk Hummel (1778-1837), qu’il rencontra à Vienne en 1815, succèdent, après une période de maturation de presque deux ans, deux partitions plus ambitieuses. Le Concerto n°3 en la majeur, qui s’ouvre sur un Allegro maestoso d’esprit très hummelien jusque dans ses attendrissements, se signale particulièrement par son mouvement central, un splendide et très surprenant Andante qui non seulement utilise la tonalité, alors encore rare, de fa dièse mineur, mais évacue complètement l’orchestre pour ne laisser place qu’à un dialogue entre le clavier et un violon, tout empreint d’un lyrisme nostalgique au romantisme à peine contenu par un très français souci de la tenue qui fait percevoir, à mon sens, le cheminement à l’œuvre conduisant du compositeur de musique instrumentale à celui d’opéra. C’est par un premier mouvement au dramatisme exacerbé que s’ouvre le Concerto n°4 en mi mineur, qui n’en comporte que deux. Lourd de menaces, cet Allegro liminaire est tendu, concentré jusqu’à sembler parfois compact et heurté, mais également illuminé par un second thème contrastant merveilleusement par sa douceur et l’ampleur de sa respiration. Abandonnant ces sombres contrées, le Rondo final en mi majeur, dont le refrain apporte une des nombreuses preuves des talents de mélodiste d’Hérold, joue la carte d’une grande fluidité et d’un enjouement sans ostentation qui masquent un métier déjà très sûr, s’exprimant notamment dans la capacité à user de toutes les ressources de l’art (la modulation, ici) pour retenir et relancer sans cesse l’attention, une autre qualité essentielle pour le futur compositeur lyrique que nous voyons presque naître sous nos yeux.
Si ceux qui suivent attentivement le parcours d’Hervé Niquet (photographie ci-dessous) ne seront pas forcément étonnés de le retrouver à la tête de ce projet Hérold, dans lequel il démontre, une nouvelle fois, ses affinités avec la musique du XIXe siècle, la présence de Jean-Frédéric Neuburger (photographie au paragraphe précédent), que l’on est habitué à entendre dans des répertoires plus tardifs ou contemporains, pourra surprendre. Pourtant, le jeune pianiste se montre parfaitement au fait des exigences des partitions et la retenue que lui reprochent parfois ses détracteurs est ici merveilleusement en situation, car elle prévient toute surcharge dans l’intention comme dans la réalisation. Son jeu, plein d’une délicatesse exempte de fadeur, épouse avec une remarquable précision les nuances dynamiques et expressives des trois concertos, faisant de chacun d’eux un monde distinct et bien caractérisé, sans oublier de faire sentir également tout ce qui relie ces œuvres évidemment parentes. Grâce à un dosage tout en finesse des effets qui lui permet d’atteindre le juste équilibre entre rigueur classique et effusion romantique, Jean-Frédéric Neuburger fait mieux que rendre justice à l’esprit de ces concertos, il en fait des pages toujours passionnantes et souvent émouvantes. On n’adressera hélas pas tout à fait les mêmes éloges au Sinfonia Varsovia qui, sans le céder un instant sur la discipline et la volonté d’offrir un son d’une belle sensualité (les contrechants, en particulier, sont splendides), accuse, par moments, un déficit patent de légèreté qui peut s’avérer gênant, en particulier dans un mouvement comme le superbe premier du Concerto n°4, où l’on rêverait de plus d’emportement et de galbe, s’agissant, qui plus est, de la seule fois où la mention Allegro n’est pas suivie de maestoso. C’est peut-être l’endroit où apparaît de la façon la plus évidente que les musiciens sont habitués à une toute autre esthétique, disons plus « traditionnelle », que celle, plus décantée, que tente de leur faire adopter, à juste raison, Hervé Niquet, et qu’ils doivent consentir de gros efforts pour répondre au mieux à ses attentes. Le chef, lui, fait montre des qualités qu’on lui connaît, tant dans la précision de la mise en place que dans l’exigence en termes de netteté de l’articulation et d’équilibre des masses sonores. Malgré les quelques hésitations signalées de l’orchestre, il parvient à faire sonner l’ensemble avec beaucoup de clarté et de cohérence, tout en lui évitant de tomber dans l’uniformité ou la routine. En abordant ces pièces méconnues avec autant d’égards et de sérieux que les partitions les plus célèbres, Hervé Niquet parvient à fédérer des troupes au départ disparates autour d’un projet ambitieux avec une intelligence et un brio qu’on ne peut que saluer.
En dépit des quelques réserves exprimées ci-dessus, je vous recommande donc ce disque qui permet de découvrir des œuvres réellement passionnantes et représente une première étape de choix dans la réappréciation de la musique d’Hérold, qui mérite mieux que la demi-obscurité dans laquelle elle est aujourd’hui reléguée. On espère ardemment que le Palazzetto Bru Zane nous réserve d’autres surprises du même intérêt dans le domaine de la production instrumentale française de la première moitié du XIXe siècle, où nombre de belles trouvailles restent encore à effectuer.
Louis-Ferdinand Hérold (1791-1833), Concertos pour piano et orchestre, n°2 en mi bémol majeur, n°3 en la majeur, n°4 en mi mineur.
Jean-Frédéric Neuburger, piano
Sinfonia Varsovia
Hervé Niquet, direction
1 CD [durée totale : 59’21”] Mirare MIR 127. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. Concerto pour piano n°4 en mi mineur :
[I] Allegro
2. Concerto pour piano n°3 en la majeur :
[II] Andante con violino obligato (en fa dièse mineur)
Maria Machowska, violon
Illustrations complémentaires :
Louis Dupré (Versailles, 1789-Paris, 1837), Portrait de Louis-Ferdinand Hérold, 1834. Lithographie sur papier, 27 x 25 cm, Paris, Bibliothèque Nationale de France.
Les photographies de Jean-Frédéric Neuburger, du Sinfonia Varsovia et d’Hervé Niquet, prises à la Scuola Grande di San Rocco le 14 mai 2010, sont de Michele Crosera, utilisées avec autorisation.