Les Dix-sept incapables de s’aligner

Publié le 19 septembre 2011 par Letombe

Les Américains s’agacent de voir les Européens jouer avec des allumettes près d’une caisse de dynamite. Alors que la monnaie unique n’a jamais paru aussi menacée, les dix-pays de la zone euro sont non seulement incapables de trouver la solution qui rassurera définitivement les marchés financiers, mais ils se chamaillent publiquement sur des décisions déjà adoptées ce qui concourt à alimenter la panique des investisseurs.

« Il est très regrettable de constater non seulement qu’il existe des divisions dans le débat sur la stratégie en Europe, mais aussi qu’un conflit existe entre les gouvernements et la Banque centrale européenne », s’est désolé hier Timothy Geithner, le secrétaire américain au Trésor, qui était invité à assister à une réunion informelle des ministres des Finances de l’Eurogroupe à Wroclaw (Pologne). Il a exhorté les Européens à tout faire pour éviter « la menace de défauts en cascade » des pays de la zone euro. Barak Obama, le président américain, à la suite de cette réunion, a annoncé qu’il rencontrerait les dirigeants de la zone euro la semaine prochaine en marge de l’assemblée générale des Nations-Unies à New York.

Il y a de quoi être inquiet : si quelques pays (France, Belgique, Luxembourg) ont déjà adopté le traité élargissant les compétences et les moyens du Fonds européen de stabilité financière (FESF), comme l’a décidé le conseil européen des chefs d’États et de gouvernement de la zone euro du 21 juillet, d’autres prennent leur temps voire renâclent. Ainsi, aucune solution n’a pu être trouvée à la revendication finlandaise qui exige, en échange de son aide, des garanties réelles (contrepartie en argent, gage sur des biens immobiliers, etc.), ce qui reviendrait en fait à réduire l’efficacité du FESF. De même, la Slovaquie n’envisage toujours pas un vote de son Parlement avant la fin de l’année, faute d’une majorité suffisante. « Il va vraiment falloir être conscient du fait que chaque État va devoir, pas seulement crier très fort pour que la Grèce prenne des dispositions, mais aussi faire la preuve que nous sommes tous chez nous capables de prendre des dispositions », s’est énervé Didier Reynders, le ministre belge. On comprend que, dans un tel climat, les Dix-sept aient été à nouveau incapables de proposer une « action décisive » susceptible de « redonner confiance aux marchés financiers », comme l’a réclamé hier la Fédération bancaire européenne. Les bourses européennes, déçues, ont accusé le coup. L’euro n’est pas sorti des zones de turbulence.

Pourquoi la crise s’éternise-t-elle ?
On ne peut pas reprocher aux pays de l’Eurozone ne n’avoir rien fait depuis deux ans. Aide à la Grèce, création du FEFS doté de 440 milliards d’euros puis du Mécanisme européen de stabilité doté de 500 milliards d’euros qui prendra sa succession en 2013, renforcement des moyens d’action du FEFS (achat des obligations d’État sur le marché primaire puis sur le marché secondaire, celui de la revente), remise à plat de la gouvernance économique de la zone euro qui sera renforcée dès le mois d’octobre, après le vote du Parlement européen, etc. Mais les marchés n’ont pas été convaincus. Ils reprochent en particulier à ces mécanismes leur caractère intergouvernemental, puisqu’ils ne peuvent être activés qu’après un vote unanime des États de la zone euro et parfois une approbation des parlements nationaux (dans le cas de l’Allemagne). À dix-sept, un accident est plus que probable…

La cacophonie politique entre les pays du nord, qui voient d’un mauvais oeil une « union des transferts » financiers, et les pays du sud en perdition ainsi que la dévaluation de la parole des gouvernements ont créé de l’incertitude sur les marchés. Ainsi, après avoir exclu toute restructuration des dettes publiques, les États en ont prévu la possibilité, mais pour les dettes contractées après juin 2013, avant de changer une nouvelle fois de pieds en organisant, en juillet, un défaut partiel de la Grèce sur la dette actuelle et en exigeant une participation du secteur privé…

La contagion menace-t-elle ?
Elle a déjà commencé. Après la Grèce, l’Irlande et le Portugal ont demandé l’aide de la zone euro. Depuis août dernier, après avoir sauté la case « Espagne », elle menace l’Italie. Par contrecoup, les banques européennes, et notamment françaises, détentrices d’une bonne partie des dettes publiques ont été sévèrement attaquées par les marchés qui redoutent qu’une restructuration des dettes de ces pays ne les affaiblisse. Si l’Italie tombe, ce sera un trop gros morceau pour le reste de la zone euro qui risque de ne pas s’en relever.

Quelles solutions ?
Palliant les hésitations des politiques, la BCE a jeté par-dessus bord la plupart de ses interdits idéologiques afin de sauver l’euro, ce qui a déclenché la colère des monétaristes orthodoxes allemands : Axel Weber, le patron de la Bundesbank, a démissionné en février dernier, et Jürgen Stark, l’économiste en chef de la BCE a fait de même la semaine dernière. Tous les deux étaient en désaccord avec la décision de l’institut d’émission de Francfort de racheter sur le marché secondaire, celui de la revente, les obligations d’États des pays menacés. Elle détient déjà 143 milliards d’euros de bons d’État, sans doute plus depuis hier, car elle est intervenue massivement sur le marché pour soutenir la dette italienne. De même, elle a décidé de ne plus tenir compte de la notation des dettes publiques pour les accepter en « collatéral », c’est-à-dire en garantie des emprunts accordés aux banques commerciales. Enfin, elle a mis en œuvre toute une série d’autres mesures « non conventionnelles » : ainsi, depuis hier, avec d’autres banques centrales (dont la Réserve fédérale américaine), elle abreuve en dollars et en quantité illimités les banques qui commençaient à rencontrer des difficultés à se financer sur le marché interbancaire.

Mais cela ne suffira pas. La BCE détient sans doute l’une des clefs de la crise, du moins à court terme : si elle annonçait qu’elle rachètera en quantité illimitée toutes les dettes publiques de la zone euro, elle ramènerait sans doute le calme sur les marchés qui auraient alors la certitude, en cas de problème, qu’ils pourraient retrouver leurs mises.

Une telle solution ne pourrait être que temporaire, car elle risque de créer de l’inflation, la BCE devant créer de la monnaie pour procéder à ce rachat, ce qui est en contradiction avec son statut. En réalité, c’est le FESF qui devrait racheter ces obligations. Problème : ses ressources sont insuffisantes. L’ancien patron de la banque centrale néerlandaise avait estimé que son plafond devrait être augmenté à 1500 milliards d’euros. Hier, Timothy Geithner  a lui aussi plaidé pour une telle solution, en vain. De toute façon, il ne pourra s’agir, là aussi, que d’un palliatif. À terme, seules la création d’un trésor européen et l’émission d’obligations européennes permettront d’éviter que les marchés attaquent la dette d’un pays déterminé. Mais cela implique un saut fédéral que les États ne sont manifestement pas encore prêts à faire.

Par Jean Quatremer pour « les coulisses de Bruxelles UE »

N.B.: Version longue de l’article paru hier matin dans Libération

Merci à :Section du Parti socialiste de l'île de ré