Oyez, oyez, bonnes gens! Le rétro-gaming revenant à la mode, il est temps d’enfiler nos tenues d’archéologues et de remonter le temps pour visiter les sanctuaires oubliés de nos mémoires volatiles. Pendant longtemps injouable sur nos systèmes d’exploitation pour des problèmes de rétrocompatibilité, Constructor est de retour depuis quelques temps par la grâce de Good Old Games. L’occasion pour nous de revenir sur ce city-builder atypique pour un test en bonne et due forme, et voir si le vieillard est encore fringant ou déjà prêt pour la mise en bière.
Bonne nouvelle pour tous les joueurs allergiques aux manipulations douloureuses, le jeu se télécharge et s’installe tout seul. Il se voit accompagné de Dos Box, programme permettant de faire tourner les vieux jeux sur les nouvelles versions de Windows. Indolore pour l’utilisateur, le programme se lance automatiquement en démarrant le jeu et ne demande pas de configuration particulière. Cette simplicité d’utilisation est désormais coutumière du magasin en ligne mais reste à chaque fois une agréable surprise.
Vieil homme, bien conservé, recherche compagnon pour moments espiègles…
Chaque propriétaires possède ses propres caractéristiques et son habitat de prédilection.
Lorsqu’on se replonge dans les jeux de notre enfance, la première crainte se situe dans l’aspect visuel du titre. On ne compte plus les hectolitres de sang perdus par les globes oculaires des vieux mélancoliques pour qui la 3DFX est encore hyper bat. Dans notre cas, l’équipe médicale est formelle : pas d’hémorragie en perspective. Assez étonnement, le rendu est même très agréable. Sans flatter la rétine à grand renfort de shaders ou autre tesselation, le monde est coloré à souhait et vos petits personnages ne ressemblent pas à une purée de pixels. Comme pour Sim City, la référence du genre à l’époque, le tout est en 3D isométrique, et les zooms ou rotations de caméra sont impossibles. Mais ce qui fait aujourd’hui encore la force du titre et bel et bien la direction artistique. Le rendu toonesque correspond parfaitement à l’ambiance loufoque générale et les personnages ont tous des têtes à coucher dehors. C’est un vrai régal de contempler le regard vide des ouvriers ou l’œil torve de votre mafieux. Le ton est d’ailleurs donné dès la cinématique d’introduction, délicieusement cynique, qui met en scène ces deux protagonistes. La partie sonore est également de très bonne facture : le thème principal reste gravé en mémoire des années après la dernière partie lancée, et les rares voix ou bruitages sont d’excellente qualité, rivalisant dans la stupidité avec Warcraft II.
Et cet humour froid, politiquement incorrect, il va falloir l’apprécier ou, à défaut, vous y habituer car il se trouve au centre du gameplay. Un bâtiment abimé se voit vite investi par des cafards de deux mètres qu’il vous faudra occire au plus vite au risque de le voir faire des petits dans les maisons voisines. Là où d’autres jeux se contenteraient de vous proposer un dératiseur, vous avez à votre disposition vos ouvriers, les loubards et leurs battes de baseball, ou même la mafia, dont le QG n’est autre qu’un restaurant de pâtes ! Vous débloquerez ces personnages spéciaux au fil du jeu, en construisant leurs repères et en les payants pour faire les sales besognes. Les ouvriers adverses sont trop productifs ? Organisez une fête grâce à vos hippies pour les détourner du travail, ou envoyez leur un clown, qui leur fera essayer un manège aux sensations mortelles. Littéralement. Ces quelques agréments pourraient relever du gimmick, mais le jeu est tellement difficile qu’ils vont vite s’avérer indispensables, si vous voulez survivre plus d’une heure dans cette jungle immobilière.
… et expériences extrêmes à trois avec Rex, mon berger allemand.
Le bar des motards vous permet d'embaucher des loubards en cuir et à tronçonneuse.
Chez les vieux briscards de la souris, ce jeu est devenu légendaire pour sa difficulté. Construire tous les bâtiments disponibles en mode libre, facile, et sans ennemis relève déjà de la gageure. Durant les premières heures de jeu, voire les premiers jours, votre promoteur aura plus l’habitude de se faire enterrer vivant que d’assister à des feux d’artifices à sa gloire. Ne comptez pas vous reposer sur vos alliés, vous n’en aurez aucun. Locataires, employés ou adversaires, on se demande vite lequel veut le plus nous voir couler. Vos ouvriers sont en sous nombre et se fatiguent plus vite que leur ombre. Les promoteurs concurrents n’hésiteront pas un seul instant à user des mêmes méthodes que vous et enverrons sans remords des loubards tabasser vos ouvriers ou intimider les locataires. Si vous n’êtes pas attentif, vous verrez vite des chefs de chantier ennemis se saisir de vos propriétés. Mais les plus teigneux de tous sont vos locataires. Je veux une alarme, un chien, il faut me redécorer le salon, cette haie est moche, pourquoi mon voisin a une chaise de jardin et pas moi, l’usine fait trop de bruit… Vous ne vous reposerez jamais, et il faudra satisfaire tout ce petit monde au cas par cas. Prenez garde à ne pas ignorer les plaintes de vos résidents, car ils distribuent les mauvais points comme votre ancienne institutrice les gommettes rouges, et la mairie est très sensibles à leurs jérémiades. Dans le pire des cas, certains iront même jusqu’à saccager leur logement avant de vider les lieux.
Jouxtant le bar des motards, le magasin de pâtes est en fait le QG de la mafia locale.
Or une autre difficulté du gameplay tient au fait que les ressources humaines ne sont pas illimitées. Il arrivera fréquemment que vous n’ayez aucune âme pour habiter votre nouvelle bâtisse suréquipée. Vous devez vous-même créer votre cheptel en demandant à certains locataires de vous payer en descendance plutôt qu’en argent. Leurs enfants pourront devenir vos employés ou de nouveaux locataires potentiels, du même niveau ou de niveau supérieur pour peu que vous leur fournissiez une école ou un ordinateur personnel. Car le jeu reproduit également les inégalités sociales et les exigences propres à chaque classe. Un notaire refusera de loger dans une maison en bois, et offrir un manoir à la famille tuyau-de-poêle sera un véritable gouffre financier, ladite famille n’ayant pas les moyens de vous payer les loyers de ce type de bien et ayant une fâcheuse tendance à les laisser décrépir. C’est bien simple, Constructor élève le micro management au rang d’art et il faudra constamment régler vos actions avec la précision d’un horloger suisse pour espérer voir la mairie reconduire votre contrat. Ne comptez pas non plus sur un quelconque tutoriel, la philosophie adoptée étant celle de l’apprentissage par l’expérience et par l’échec.
Note Globale : 8/10
Constructor s’impose comme un indispensable pour tous les amateurs de gestion et de stratégie. Son humour décalé en fait un petit bijou d’irrévérence et, bien que les graphismes soient dépassés, les choix artistiques prix par System 3 lui ont permis de résister magistralement au passage du temps. Attention toutefois, la difficulté des premières heures en frustrera plus d’un aujourd’hui, comme ce fut le cas à l’époque de sa sortie. Mais pour peu qu’ils persévèrent, les curieux et les nostalgiques se verront vite récompensés par un gameplay débordant d’ingéniosité et de malice. Que ce soit contre l’ordinateur ou d’autres joueurs en ligne, vous ressentirez le frisson des défaites cuisantes ou des victoires épiques. Constructor fait partie de ces trop rares jeux qui, une fois terminés, donnent l’impression d’avoir accompli quelque chose, de nous avoir rendu plus intelligent.