Dans la série des "peut-on rire de tout ?", je vous présente Fuck America d'Edgar Hilsenrath. Pasilina qui se moque effrontément des suicidaires fait bien pale figure face à un Hilsenrath qui s'attaque à la Shoah, sujet éminemment sensible et pour lequel l'humour est plutôt malvenu.
Mais Hilsenrath, né en Allemagne en 1926 dans une famille de commerçants juifs sait de quoi il parle. La guerre il l'a vécu et il en a réchappé.
Fuck America est inspiré de la vie de son auteur bien que celle-ci soit largement romancée. Le livre met en scène Jakob Bronsky, un juif allemand ayant survécu au pire et exilé à New York au début des années 50. Complètement déboussolé, Jakob entreprend décrire un livre : le branleur. Le livre de sa vie qui lui permettra peut-être de retrouver la mémoire, les souvenirs enfouis de cette guerre qui lui a tout pris.
Entre deux séances d'écritures dans une cantine miteuse pour immigrés juifs allemands, Bronsky galère. Pas de boulot, pas d'amis, pas de femmes sauf quand il a suffisamment d'argent en poche pour s'en payer une. On est bien loin du rêve américain (qui en prend pour son grade tout au long du bouquin)...
Ce que j'ai le plus apprécié dans ce livre complètement hors norme, c'est certainement le style de Hilsenrath : dynamique comme j'aime mais surtout doté d'une maîtrise des dialogues hors du commun. Le ton fait aussi beaucoup. Il est cru, presque barbare. Pas étonnant que le livre ait été qualifié de diabolique par les maisons d'éditions lorsque l'auteur leur a présenté en 1980. Quant à l'humour, c'est lui qui guide la plus grande partie de ce livre.
Si la fin, en totale rupture avec la majeure partie du texte, peut surprendre, on comprend après coup qu'elle est nécessaire. Au final, Hilsenrath a choisi de placer le lecteur au premier rang de ce récit qui fut probablement salvateur pour lui.
« Cʼest vous, le héros du livre ? » « Ça se pourrait. Mais jʼécris à la troisième personne, bien que le livre soit autobiographique. »
« Je comprends », dit Grünspan. « A la troisième personne. Donc, le héros est un homme. »
« Évidemment. Le héros est un homme. »« Quel genre dʼhomme ? »
« Un homme solitaire. »
« Un branleur ? »
« Quʼest-ce que vous voulez dire ? »
« Un homme solitaire, cʼest toujours un branleur », dit Grünspan.
« Mais mon livre nʼa rien à voir avec la branlette. Cʼest un livre grave. »
« Ça ne change rien », dit Grünspan. « Si cʼest un homme solitaire, cʼest un branleur. Moi, à votre place, je ne changerais pas ce titre. Un titre génial : Le Branleur ! »
Fuck America : Les aveux de Bronsky d'Edgar Hilsenrath
Chez Attila (en poche chez Points)
291 pages