Le soja, réservé auparavant aux férus d’alimentation asiatique ou végétarienne/végétalienne, a depuis quelques années la côte auprès d’un large public, aussi bien sous forme de jus, de steaks, de tofu, de graines germées que de compléments alimentaires, que l’on trouve désormais dans n’importe quel supermarché. Et ceci pour sa richesse en protéines végétales, sa composition intéressante en acides gras, mais aussi car il renferme des phytohormones, et plus précisément des phytoestrogènes. Comme leur nom l’indique, ce sont des molécules d’origine végétale proches de par leur structure de l’œstradiol, hormone sexuelle féminine. De ce fait la question de l’interaction entre ces composés et nos propres hormones se pose ainsi que celle des bénéfices/risques qui pourraient en découler.
Mode d’action et habitudes de consommation à travers le monde:
Les phytoestrogènes contenus dans la plante de soja appartiennent à la famille des isoflavones dont les principales molécules sont la génistéine et la daidzéine.
Globalement, une alimentation asiatique traditionnelle riche en soja est 100 fois plus riche en isoflavones qu’une alimentation occidentale typique. Des apports moyens en isoflavones aglycones ont pu être estimés dans diverses populations : 45 mg/j au Japon, 9-35 mg/j dans les autres pays asiatiques et 0-2 mg/j en Europe ou aux Etats-Unis. En France, les apports en génistéine et daïdezéine sont de 0,026 mg/j en moyenne chez les adultes non consommateurs de soja et peuvent égaler voire surpasser ceux des populations asiatiques dans le cas de comportements alimentaires tels que végétarisme, consommation de soja alimentaire ou sous forme de compléments, alimentation dite « saine »…
Après ingestion, les isoflavones sont métabolisés et en partie activés par la flore intestinale. Il existe une grande variabilité entre les sujets (et également entre les hommes et les animaux) pour la biodisponibilité des phytoestrogènes, qui tient sans doute à la diversité de la flore intestinale, des régimes alimentaires et du métabolisme.
Les isoflavones vont se fixer sur les récepteurs à œstrogènes et vont en réguler la production : si l’organisme produit des œstrogènes en excès, les phytoestrogènes pourraient inhiber partiellement leur effet négatif, tandis que si la production est insuffisante, ils seraient à même de la supplémenter en partie. Toutefois, leur affinité avec les récepteurs à œstrogènes serait selon les experts 100 à 1 000 fois moins forte que celle des hormones naturelles ou de synthèse.
Champs d’action des phytoestrogènes:
Les indications les plus fréquentes de la consommation de phythormones de soja sont le traitement des désagréments liés à la ménopause (bouffées de chaleur, irritabilité, sécheresse vaginale, relâchement cutané…), la prévention du cancer du sein (mais aussi de la prostate et du côlon), de l’ostéoporose, des maladies cardio-vasculaires…Qu’en est-il vraiment? Quelles sont les données à l’heure actuelle?
Les informations concernant les effets positifs ou négatifs de la consommation de ces composés végétaux sont pour le moins confuses si ce n’est même contradictoires, malgré un certain nombre d’enquêtes épidémiologiques et d’études sur le sujet, en Asie ou en Occident, in vivo ou in vitro.
Certaines de ces études ont montré une fréquence des cancers du sein plus faible dans les populations asiatiques par rapport à des populations occidentales. Le rôle de la consommation en phytoestrogènes a été évoqué comme facteur causal possible. La réduction du risque correspond à un niveau d’apport entre 30 et 40 mg/jour dès l’adolescence et dans un contexte alimentaire favorable (beaucoup de végétaux, d’omega 3, et peu de graisses saturées). Cet effet semble plus marquant chez les femmes avant la ménopause, suggérant un mécanisme hormonal. Cependant, il est difficile de dissocier de l’effet des phyto-estrogènes des facteurs liés au style de vie.
Il existe moins d’études sur le cancer de l’endomètre mais elles tendent à montrer une réduction du risque. Cependant, les isoflavones apparaissent sans effet chez les femmes occidentales.
Et chez les hommes? Concernant le cancer de la prostate, il existe peu d’études concluantes sur l’homme, mais les études animales convergent globalement vers une réduction du risque.
L’incidence de l’ostéoporose est diminuée de moitié chez les femmes ménopausées japonaises par rapport aux occidentales. Mais aucune étude ne donne actuellement de résultats tangibles sur l’impact de la consommation de phytoestrogènes sur le risque de fractures. Toutefois les études épidémiologiques d’observation montrent qu’une consommation importante d’isoflavones de soja est associée à une densité minérale osseuse élevée mais d’autres facteurs comme l’activité physique, la stature…seraient également des facteurs à prendre en compte. L’apport en isoflavones de soja permet d’éviter la déminéralisation en cas de carence estrogénique (les doses quotidiennes testées sont de l’ordre de 50-100 mg), mais aucune donnée sur l’incidence à long terme n’est disponible. Les études in vitro montrent une inhibition de la résorption osseuse associée à une stimulation de l’accrétion. Cependant, les études cliniques de courte durée ne fournissent aucune preuve convaincante de l’effet des phyto-estrogènes sur les marqueurs du remodelage osseux.
L’ efficacité des isoflavones serait toutefois supérieure chez les personnes capables de bioconvertir l’équol à partir de son précurseur la daidzéine via la microflore intestinale. Or c’est le cas de seulement un tiers de la population occidentale, ce qui peut diminuer considérablement les effets d’une supplémentation.
A la différence de ce qui est constaté avec l’oestrogénothérapie classique, on ne retrouve pas de corrélation entre la supplémentation par phytoestrogènes et l’absorption intestinale du calcium.
Les isoflavones de soja stimulent les fibroblastes (cellules du tissu conjonctif) de la peau et la génistéine inhibe localement la production de cellules cancéreuses induite par le rayonnement solaire et pourrait donc prévenir le vieillissement cutané solaire.
Recommandations spécifiques pour certains groupes de populations:
Le soja est vu comme une aide extérieure pour les femmes en période d’activité hormonale « perturbée » comme la péri-ménopause, mais qu’en est-il pendant la grossesse et l’allaitement ? Des expériences chez l’animal montrent qu’ils peuvent avoir des effets indésirables sur les petits. Cela n’a pas été observé jusque là chez l’humain mais, par prudence, l’Institut national de prévention d’éducation pour la santé (Inpes) recommande de ne pas prendre de compléments alimentaires contenant des extraits de soja pendant la grossesse et de limiter les aliments en contenant. Ainsi, un apport supérieur à 1mg/kg/j en phyto-estrogènes ne peut être recommandé car il pourrait ne pas être sans risque sur le développement génital et éventuellement augmenter le risque de cancer du testicule et du sein dans la progéniture. L’ Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) préconise un repère facile à appliquer pour les futures mamans : pas plus d’un aliment contenant du soja par jour pendant la durée de la grossesse mais aussi de l’allaitement. On entend par « une portion » par exemple un steak de soja, une salade de graines germées, un verre de jus de soja…Pour info, l’huile de soja ne contient pratiquement pas d’isoflavones!
Par ailleurs,de par l’interaction qu’ils ont avec la synthèse des hormones thyroïdiennes, les phytoestrogènes doivent être exclus, sous quelque forme que ce soit, chez les sujets hypothyroïdiens, traités ou non. Une interaction existe aussi avec d’autres traitements hormonaux comme le tamoxifène, les recommandations sont donc les mêmes pour les femmes atteintes de cancer du sein recevant ce traitement.
S’il faut prendre avec un certain recul les différentes études divergentes en attendant des résultats plus fiables avec une prise en compte multi factorielle , il serait dommage d’écarter complétement et à tout âge le soja de son régime alimentaire car il a de nombreux intérêts nutritionnels, cependant certaines périodes pour les femmes nécessite une consommation raisonnée. Le consommateur pourrait dans un avenir proche être aiguillé par un étiquetage alimentaire plus détaillé des produits contenants des isoflavones (quantités, dose maximale journalière…). Par ailleurs, on peut également s’intéresser à une autre classe de phytohormones, les lignanes, que l’on trouve principalement dans les graines de lin, car elles pourraient jouer un rôle chez les femmes occidentales puisqu’elles représentent la majorité des phyto-estrogènes ingérés par l’alimentation.
Si vous souhaitez en savoir plus, le rapport de l’AFSSA est disponible en ligne ( 440 pages tout de même…)