Dans son numéro de Septembre, Sciences et Avenir a publié un dossier consacré au bio suite aux affaires de contaminations récentes de la filière. Les prosélytes du bio ont une nouvelle fois démontré qu’ils contrôlaient de plus en plus l’information grand public, grâce à la bienveillance et l’incompétence de journalistes qui ne savent pas faire leur travail.
Par Anton Suwalki
Imaginons qu’on ait identifié une défaut de fabrication sur un organe vital de voitures de marque X. Un journaliste désirant en savoir plus, s’adresse au publiciste qui a pondu le slogan « Quand on a besoin d’une voiture, on a besoin d’une X ». Et à lui seul.
– Cette voiture présente-t-elle le défaut qu’on lui attribue, et est-ce dangereux ? lui demande-t-il.
– Pas du tout, tempête le publiciste, tout ceci n’est qu’une odieuse campagne de déstabilisation de machin qui travaille pour la marque Y qui fait des bagnoles pourries, et quand on a besoin d’une voiture, on a besoin d’une X.
– Parlez moins vite SVP, j’arrive pas à tout noter, demande le journaliste.
Et voilà, son enquête est bouclée !
Les ficelles sont tellement grossières que l’on pourrait penser que la WWF et la marque Bio vrai, commanditaires du sondage pointant la baisse de confiance autour du bio suite à la crise sanitaire, se sont payés quelques pages de publi-reportage afin de rafraichir l’image de la filière. Après tout, quand on mesure l’invraisemblable proportion de pubs axés sur les arguments bio combinés à la propagande continue des Marie-Monique Robin and co diffusée sur les écrans… Mais il est infiniment plus probable que les journalistes qui ont commis ce navet soient eux-mêmes victimes de l’intoxication idéologique. Songeons que dans un article intitulé « Les secrets du vin au naturel », on peut lire à propos des pratiques de sorcellerie de l’agriculture biodynamique : « reste à expliquer « scientifiquement » (sic, les guillemets ne sont pas de moi), comment des doses infinitésimales d’extraits de prêle ou de bouse de vache très diluée dans l’eau peuvent avoir, à l’instar de l’homéopathie chez les humains (souligné par moi), un effet agronomique. » Sciences et Avenir aurait-il débauché des journalistes de la Revue « alternative » Nexus ? On comprend mieux en tout cas qu’ils aient pu gober tout ce qu’on a bien voulu leur dire.
Revue de quelques affirmations (ou plutôt slogans) de l’article central
L’agriculture biologique n’a pas favorisé la prolifération de la bactérie E.coli 0104:H4. Pour la plupart des acteurs du bio, les méthodes et pratiques du bio ne seraient pas impliquées dans cette épidémie. (tu m’étonnes!)
Les journalistes transcrivent les propos de Véronique Chable, une chercheuse de l’INRA (évidemment pas n’importe laquelle), qui affirme : « (les) graines (incriminées) ont été germées en laboratoire dans un milieu artificialisé ne bénéficiant pas d’un biotope équilibrant. » Formule plutôt inappropriée pour (ne pas ?) dire que le milieu favorise la prolifération de ce type de bactéries. Mais beaucoup plus grave, elle ne précise pas que l’agriculture bio s’interdit les méthodes de décontamination efficaces qui permettent de traiter les graines après germination (*). Cela signifie qu’une fois de plus, les militants du bio préfèrent par idéologie ignorer un problème (rappelons qu’il est tout de même question de dizaines de morts et des milliers de victimes) plutôt que de réviser, ne serait-ce qu’à la marge, des pratiques dangereuses.
Si ignorer le problème est irresponsable, mentir est tout simplement scandaleux. Ce que fait Claude Aubert qui reprend à son compte les niaiseries de Marie-Monique Robin, expliquant : « ce n’est pas n’importe quelle bactérie, mais une Escherichia coli très toxique et résistante aux antibiotiques. La médecine vétérinaire fait un emploi massif des antibiotiques. On peut très bien imaginer que la bactérie soit apparue dans l’intestin des ruminants et se soit propagée au fumier. » Rappelons à nos lecteurs que les bactéries E coli colonisent les intestins de tous les animaux à sang chaud, et que des infections par des souches toxiques de ce genre de bactéries ne font pas l’objet de traitements antibiotiques qui seraient pires que le mal. Le problème n’a strictement rien à voir avec l’élevage industriel et les antibiotiques.
Ignorance d’Aubert, ou mensonge délibéré ?
Les techniques naturelles ne sont pas plus risquées que celle de l’agriculture intensive.
C’est une fois encore Claude Aubert qui se charge de noyer le poisson à propos de l’article de deux chercheurs du CNRS publié sur le blog de Sylvestre Huet, qui soulignaient les risques spécifiques du bio, et dont nous avons déjà parlé. Claude Aubert se sert d’une approximation dans les références citées pour inventer une cabale : « En réalité cette étude (citée) n’a jamais existé. Cette fausse info vient d’un article (…) écrit en 1996 par Dennis T. Avery, bien connu pour être un ennemi juré du bio et pour les liens qu’il entretient avec l’industrie chimique. » Une version des faits que Jean-Luc Porquet, journaliste zélé du Canard Enchainé, s’est d’ailleurs empressé de recopier.
Les deux chercheurs ont en effet cité une étude du Centers for Disease Control (CDC), ce qui est inexact. Mais comme l’a très bien écrit Wackes Seppi dans La nef des fous du bio, DT Avery, dont Claude Aubert décidément peu embarrassé de scrupules n’essaie même pas de réfuter les affirmations, s’est bien basé sur les données produites par le CDC pour écrire son article.
9 aliments bio sur 10 sont totalement exempts de produits chimiques.
Des journalistes prétendument scientifiques reprennent bêtement cette formule « produits chimiques », inventée pour faire peur. Il est bien sûr question de produits chimiques de synthèse (ce qui est précisé plus loin), et donc par définition dangereux dans leur esprit. Certes, ils se risquent à admettre avec une touchante ingénuité : « la frontière semble parfois floue entre la recette empirique de grand-mère et la formule chimique moderne. » En effet, Mamie Jourdain faisait de la chimie sans le savoir !
« Éviter d’ingérer des pesticides de synthèse serait plus sain. » Que ceux-ci, comme ils l’affirment, soient moins présents dans les aliments bio, c’est bien la moindre chose, leur usage est interdit ! Et de citer la dernière étude de l’ANSES, que selon toute vraisemblance ils n’ont pas lue (peut-être même pas le résumé) afin de mettre en cause l’agriculture conventionnelle. Ils omettent soigneusement de rendre compte des conclusions de l’agence, « d’un bon niveau global de maîtrise des risques au regard des seuils réglementaires et des valeurs toxicologiques disponibles, (même si) certains points méritent une vigilance particulière. »
Car la question n’est pas de savoir si telle ou telle substance est présente dans un aliment, mais en quelle quantité. Les journalistes ont tout naturellement négligé de consulter des toxicologues, dont ceux qui ont contribué à cette étude, et se sont adressés à François Veillerette, ancien professeur de maths… mais surtout ancien directeur de Greenpeace, président du MDGRF et collectionneur de multiples casquettes vertes. On ne pouvait attendre de ce savant que des proclamations de science « alternative » : « Ces LMR ont été calculées chez des animaux », proteste-t-il à la manière de Marie-Monique Robin, entretenant la légende selon laquelle les modèles animaux et les concepts de DJA ou de LMR ont été conçus au petit bonheur la chance ! Un mensonge en appelant un autre, l’individu proclame qu’« il n’existe aucune évaluation proche de la réalité qui s’intéresse aux effets d’une exposition à faibles doses durant toute une vie. »
L’étude de l’ANSES ne s’intéresse pas qu’aux produits de synthèse, mais aussi entre autres aux minéraux, ce qui a échappé à nos brillants enquêteurs. On y note par exemple un risque d’excès d’apport en cuivre ne pouvant être écarté pour certains consommateurs… Ce qui devrait notamment nous interroger sur le sulfate de cuivre copieusement utilisé en agriculture biologique, et dont la toxicité n’est plus à prouver (comme d’autres substances extraites de végétaux utilisée en AB). À aucun moment, Sciences et Avenir n’évoque un problème possible. La bouillie bordelaise, grand-mère l’utilisait déjà il y a un siècle. Forcément, ça ne doit pas être dangereux !
Sur la question des « produits chimiques », les journalistes chargent Claude Aubert de conclure : « [Même si les pesticides ne faisaient courir aucun risque au consommateur], moralement, est-ce bien de manger des aliments qui nuisent à la santé de ceux qui les produisent ?« Ou comment passer de la peur à la fausse compassion et à la culpabilisation, si le registre de la peur n’a pas suffi à convaincre !
Vitamines et sels minéraux, les qualités nutritionnelles sont discutées
Sciences et Avenir cite l’étude britannique et le rapport Guéguen/Pascal, déjà évoqués sur Imposteurs, et rapporte leur conclusion sur l’absence de différence significative et (l’absence de répercussion sur la nutrition et la santé) entre les aliments bio et conventionnels. Fidèle à leur démarche unilatérale, ils ne consentent toutefois à ne donner que des exemples d’éléments en faveur du bio. Et donnent la parole à… François Veillerette, qui se prend cette fois-ci pour un nutritionniste et conteste donc l’interprétation des vrais nutritionnistes et dresse en conséquence sa liste des avantages du bio sur le conventionnel ! C’est décidément à croire que pour y comprendre quelque chose à la santé, tous les CV sont bons, sauf ceux des spécialistes de la santé.
Les journalistes se penchent enfin sur les qualités organoleptiques des produits, et là encore, citent un exemple (et un seul) d’un panel de consommateurs américains qui a préféré des variétés de fraises bio aux fraises conventionnelles. Ce qui est fort possible, mais il faut croire que c’est le seul cas qu’on leur a soufflé. Il y a d’autant moins de raisons objectives que l’avantage soit en faveur du bio dans ce domaine que les exigences de qualités gustatives sont totalement absentes du cahier des charges. D’autres tests comparatifs en aveugle présentent des résultats contraires : c’est l’exemple rappelé dans le dernier livre de Gil Rivière Wekstein (dont nous parlerons prochainement) d’un test sur des œufs de poules effectué par 60 Millions de consommateurs : lors de dégustation en aveugle, les œufs qui obtenaient la meilleure note provenaient de poules élevées en cage (sans doute un blasphème pour les adeptes de la religion bio), à égalité avec des œufs Label Rouge.
Un contre-exemple dont on ne peut tirer aucune généralisation, mais qui prouve la formidable armure de préjugés derrière laquelle les journalistes sont allés enquêter.
En faveur de leur bonne foi, on relèvera un seul élément : l’encadré qui donne la parole à Léon Gueguen, mais sur la seule question : « Faut-il envisager une reconversion totale ? » (il évoque néanmoins en deux lignes son rapport mis en cause par Veillerette). L’autre interviewé n’est autre que Marc Dufumier, titulaire d’un Vélot décerné par Imposteurs pour ses affirmations désopilantes en économie : « Lors de la révolution industrielle, les hommes ont commencé à investir d’énormes quantités d’argent dans la création de variétés. Pour amortir ces millions, ils ont du vendre de très gros volumes de semences. » Sans sourciller, Marc Dufumier répond oui, il faut 100% d’agriculture bio d’ici à 2050…
En conclusion
Ce dossier est donc aussi consternant que n’importe quelle feuille de Marie-Monique Robin, l’hystérie et la calomnie systématique en moins. Ces gens n’ont pas fait un travail digne de journalistes scientifiques, ni même de journalistes tout court, et même en admettant leur bonne foi (le doute à ce sujet est tout de même permis), il est par contre inadmissible que la rédaction ait laissé passer de telles inepties. Va-t-on assister à une contamination par les New Age de ce genre de revue ? En tout cas, les prosélytes du bio ont une fois de plus démontré qu’ils contrôlaient de plus en plus l’information grand public, grâce à la bienveillance et l’incompétence de journalistes qui ne savent pas faire leur boulot, et donc la possibilité de s’auto-amnistier dans toutes les crises qui pourraient s’ajouter à celles que l’on a déjà connues.
Rappelons que nous ne sommes pas contre le bio en soi, mais nous sommes contre l’idéologie qui le porte, et l’aveuglement qui l’accompagne sur des risques sanitaires spécifiques qui nécessiteraient d’accepter de modifier certaines pratiques. Peut-on demander à des intégristes de faire quelques concessions sur la pureté des rituels au bénéfice de la sécurité sanitaire ? La réponse est malheureusement dans le déni des responsabilités et la recherche de boucs émissaires confirmés une fois de plus.
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Note
Article publié originellement sur Imposteurs, reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur.