Charles Estienne, chantre de l’abstraction lyrique
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Charles Estienne
Le nom de Charles Estienne (1908-1966) est aujourd’hui presque oublié. Ce fut pourtant un des principaux critiques d’art de l’après guerre et le mentor de l’abstraction lyrique, appelée Seconde École de Paris. À travers ses critiques dans Combat, France Observateur et parfois dans les Lettres françaises, il n’a eu de cesse, à partir de 1946, de faire connaître avec une grande ouverture d’esprit des jeunes artistes qui avaient pour noms Bazaine, Manessier, Deyrolle, Soulages, de Staël, Poliakoff, avec lesquels il entretenait des relations d’amitié, à une époque où le marché de l’art était encore balbutiant et où l’abstraction ne s’exposait que dans les Salons (Salon de mai, Salon des réalités nouvelles) et dans de rares galeries d’avant-garde.
Critique autodidacte, peu porté vers la théorie, en marge des institutions, il a défendu avec chaleur et lyrisme les peintres chez lesquels il reconnaissait une démarche originale et authentique. S’il s’est parfois égaré, emporté par ses humeurs et son affectivité, s’il a méconnu la peinture américaine et sous-estimé le mouvement Cobra, il n’en demeure pas moins qu’il a su repérer et apprécier tous les artistes importants de l’École de Paris. Après avoir cherché à créer son propre Salon Octobre en 1952, et avoir lancé le mouvement « tachiste » l’année suivante, une tentative de synthèse entre surréalisme et abstraction lyrique, il s’est peu à peu retiré de la vie artistique parisienne, préférant séjourner à Argenton, dans sa Bretagne natale, entouré d’amis peintres, et consacrer son temps à la poésie et à la chanson. La conservatrice, Françoise Daniel, a conçu une exposition en forme d’hommage qui correspond parfaitement à l’esprit de l’époque et du critique : un accrochage serré, comme dans les Salons et les galeries des années cinquante et un choix éclectique d’oeuvres où les artistes célèbres côtoient les méconnus et où les surréalistes tardifs dialoguent avec les abstraits lyriques et gestuels. On remarquera surtout des peintures insolites de Toyen, les premières œuvres surréalistes d’Hantai ou un superbe tableau de Manessier. La présentation, contrainte à un espace réduit, se prolonge malicieusement par des toiles abstraites insérées au milieu des collections permanentes du XIXe siècle.
Yves Kobry
N°85 – Les Lettres Françaises du 6 septembre 2011