Magazine Société
La théorie économique – si tant est que l’on puisse parler de théorie en la matière – prend ses racines dans les concepts d’offre et de demande. Keynes est devenu, peut-être malgré lui, le pape de la croissance par la demande, c’est-à-dire par la consommation. Le keynésianisme a été la bible des gouvernements sociaux-démocrates. Leur credo se construit sur la croyance que les investissements de l’État provoquent une amélioration de la situation sociale par la création d’emplois. Ces derniers créent de nouveaux consommateurs qui améliorent la demande sur le marché des produits et services. Cette augmentation de la demande accélère la croissance. Ce cercle vertueux a été le moteur quasi exclusif des gouvernements français depuis des années. Or, les investissements de l’État sont financés par l’emprunt (voir le dernier « Grand Emprunt » de N. Sarkozy) et, comme tout emprunt, ce dernier augmente la dette. La destination de cet investissement est importante. S’il s’agit de créer des activités marchandes à moyen terme, les économistes parlent alors de « bonne dette » car l’emprunt doit normalement être remboursé finalement par le retour sur investissement attendu. Mais si l’investissement ne sert qu’à faire fonctionner l’État, alors il s’agit de « mauvaise dette ». Lorsqu’à cette addiction s’ajoute la mauvaise habitude d’un budget en déficit récurrent, la dette prend des proportions insoutenables. De plus, l’obsession de la croissance par la demande a poussé les gouvernements successifs à des excès dont il est difficile de sortir. Des subventions de toutes sortes ont pris la place des investissements et les secteurs aidés se sont multipliés : agriculture, élevage, pêche, emplois aidés, etc … Autant d’interventions qui n’améliorent pas la balance des paiements. Enfin, comme la demande se tourne en partie vers les produits importés moins chers, le déficit commercial, et donc la dette, ne fait qu’augmenter. De plus, les consommateurs étant sollicités au-delà du raisonnable pour s’endetter afin de consommer, à la dette publique s’ajoute la dette privée. C’est l’explosion de cette dette privée qui a provoqué la crise majeure américaine des « subprimes » en 2008, crise qui s’est étendue à toute la planète. L’alternative est une politique de l’offre, c’est-à-dire une politique qui s’évertue à améliorer la compétitivité du pays pour obtenir (enfin !) une balance des paiements positive. Encore faut-il que l’offre trouve son marché, c’est-à-dire qu’elle se différencie des compétiteurs. Mais il faut faire le bon choix. La différenciation par les prix est devenue impossible aux pays occidentaux en face des coûts de main d’œuvre des pays en voie de développement. Il ne reste que la différenciation par l’innovation, c’est-à-dire la création d’une offre innovante en avance sur celle des pays compétiteurs. Mais l’innovation ne se décrète pas (pas plus que la croissance). Elle se prépare pendant des années. Et, dans ce domaine, la France a pris un retard considérable. Sa désindustrialisation en est la preuve éclatante. L’innovation est devenue la propriété de quelques grandes entreprises, alors qu’elle devrait (comme en Allemagne) exister dans les nombreuses petites et moyennes entreprises qui, aujourd’hui, sont beaucoup trop absentes de l’exportation. Là devrait être le domaine exclusif des investissements. Malheureusement, le temps entre l’innovation et l’industrialisation est long. Ce qui veut dire que, même si les gouvernants prennent enfin les bonnes décisions, le temps sera long avant que ne se résorbe la crise de la dette. En résumé, les deux grands défis du pays sont la justice fiscale et la ré-industrialisation par l’innovation.