Il jubile, Jean-Luc. Et on le comprend. Lui qui avait quitté, il y a trois ans, le Parti socialiste peu glorieusement, dans la nuit du Congrès de Reims, avec les forces militantes et l'analyse d'un ultra-minoritaire - expliquant alors que la victoire de la motion de Ségolène Royal sonnait la droitisation ultime du parti - il joue aujourd'hui le faiseur de roi à la Fête de l'Huma. Moitié professeur en gauchisme, moitié Saint-Louis sous son chêne, il reçoit les candidats socialistes, leur remettant son petit livre rouge et prenant la pose avec eux devant un logo Front de Gauche.
Il assure, nous dit-on dans les gazettes, ne pas vouloir " se mêler de la primaire ".
Heureusement qu'il le précise. Car, à lire les comptes-rendus, on avait justement l'impression, au contraire, qu'il tend à s'en mêler, et pas qu'un peu. Sur les candidats aux primaires : " D'abord je note ceux qui ne sont pas venus [à la fête de l'Huma] Quand on est de gauche, on marque sur son calepin la date de la Fête de l'Humanité et on ne prévoit rien d'autre ". Sur Montebourg : " Il me souhaite bon vent, je lui souhaite aussi. ". Sur Ségolène, mi-condescendant, mi-dithyrambique : " j'ai trouvé Royal plus consciente du niveau de rupture à opérer que les autres [...] Elle commence à parler notre langue ". Sur François Hollande, sans surprise : " l'arrogance comme on a vu jeudi soir avec Hollande qui se voit déjà président ". Quant à Martine Aubry, qui n'a pu s'empêcher de ré-affirmer ce qui reste sa ligne programmatique la plus claire, le Hollande-bashing (" Je pense que quand on est un responsable de gauche on doit être à la Fête de l'Huma, là où est la gauche. "), elle n'a (nous dit-on) fait qu'une photo muette avec le Chavez-like français, peut-être échaudée par la fraicheur de son accueil au grand raout communiste.
Singulières attitudes. De la part, déjà, de ceux, au PS, qui se sont prêtés à ce curieux cérémonial que l'on pourrait - si l'on avait mauvais esprit - assimiler à une génuflexion pour . Le problème n'est pas d'aller à la Fête de l'Huma, bien entendu, mais d'instrumentaliser présences et absences des uns et des autres pour jouer au petit jeu du " j e suis plus VRAIMENT à gauche que toi ", comme l'a fait Martine Aubry. Comme s'il fallait arbitrer des débats (radicaux-)socialistes (fussent-ils ouverts à tous les citoyens) par le truchement des communistes et apparentés. Singulière attitude, ensuite, du camarade Mélenchon. Voilà un homme qui reconnaît la nécessité d'envisager l'avenir avec le PS, qui distribue bons et mauvais points aux candidats aux primaires, et qui pourtant a strictement refusé de ne serait-ce qu'envisager une participation à des primaires communes, par principe.
C'est ce que j'appelle les primaires un pied dedans, un pied dehors, ou encore les primaires " fromage et dessert ". On prépare - derrière les habituelles rodomontades verbales - le rassemblement avec le PS. On joue avec ses candidats en les invitant et en leur témoignant ensuite un soutien plus ou moins appuyé, dans l'espoir de faire basculer la balance dans tel ou tel sens. Mais on tient par-dessus tout à préserver son petit quart d'heure de célébrité warholien, ou plutôt gaullien, à faire pendant quelques mois le tour des plateaux de télévision et surtout - ne soyons pas naïfs - à instaurer le fameux rapport de force avec le PS, qui permettra de lui grappiller quelques postes en plus le moment voulu.
Les socialistes présents à la Courneuve ont aussi leur part de responsabilité. Les primaires citoyennes s'adressent au peuple et sont organisées par les deux partis ayant accepté l'invitation : le PS, et le PRG. A ce titre, je trouve pour le moins étrange que des candidats à ces primaires mêlent aux débats les dirigeants de partis ayant, eux, décliné la proposition de candidature commune. C'est même un jeu assez dangereux, pour les uns et pour les autres : comment se passera le nécessaire rassemblement de toute la gauche, si le candidat socialiste n'est pas celui qu'avait soutenu Mélenchon ? Verra-t-on bientôt Cécile Duflot, que l'on sent déjà frémir malgré sa réserve, expliquer que tel ou tel candidat est le préféré de EELV pour sa position sur le nucléaire ?
La proposition des primaires citoyennes était suffisamment large et ouverte pour que tous les partis de gauche qui le souhaitent s'y associent, dans le respect de l'identité politique de chacun. Nous avions d'ailleurs, avec quelques blogueurs de toutes tendances, lancé un appel dans ce sens. A chacun désormais d'agir en cohérence avec sa décision et de ne pas se lancer dans des manœuvres d'appareil bien peu honnêtes.
Romain Pigenel