Après Paris, je t’aime dont la musique mélodieuse résonne encore à mes oreilles de festivalière pas encore totalement assourdie par le tohu-bohu cannois, direction New York pour le film World Trade Center d’Oliver Stone dont 20 minutes très attendues ont été projetées avant-hier en avant-première dans la salle Debussy avant la projection d’une copie restaurée de Platoon. Oliver Stone est ainsi venu accompagné de Willem Dafoe, Charlie Sheen et Tom Berenger (photo ci-contre) pour cette présentation exclusive. Dès les premières secondes la tension est palpable, sur l’écran et dans la salle. Nous voilà replongés presque 5 ans en arrière, les 5 courtes années qui auront été nécessaires pour que le cinéma s’empare du sujet ou plus exactement
De patriotisme et de consommation, il fut aussi question dans un film de la compétition, celui qu’il est recommandé de voir sans avoir rien ingurgité auparavant : Fast food nation de Richard Linklater, l’adaptation du roman d’Eric
Heureusement avec le contemplatif Les Climats de Nuri Bilge Ceylan, me voilà rassurée puisque c’est dans le forme que réside l’intérêt de ce film turc dont le réalisateur avait déjà été primé à Cannes pour Uzak en 2003 remportant le grand prix et le prix d’interprétation masculine. Selon Ceylan, « l'homme est fait pour être heureux pour de simples raisons et malheureux pour des raisons encore plus simples tout comme il est né pour de simples raisons et qu'il meurt pour des raisons plus simples encore ». Isa et Bahar sont ainsi deux êtres seuls, entraînés par les climats changeants de leur vie intérieure, à la poursuite d'un bonheur qui ne leur appartient plus. Le réalisateur (qui interprète également ici le rôle principal) ausculte les bouleversements et la tempête intérieure que provoque la rupture de ce couple et qui fait écho aux conditions climatiques extrêmes et déchaînées. Ce film est une nouvelle fois visuellement remarquable, avec des plans fixes d’une beauté picturale, des visages auscultés, une structure avec des plans se faisant savamment écho. Là encore on peut néanmoins se demander l’intérêt de sa sélection car si ce film est particulièrement remarquable de point de vue de la mise en scène, il rappelle particulièrement Uzak pour lequel il avait déjà reçu ce même prix. A quand un peu d’audace, et de nouveauté dans la sélection ? Nous retrouvons les mêmes plans fixes, la même neige que dans Uzak auquel il ressemble parfois à s’y méprendre. Il est donc peu probable que ce prix lui soit dévolu à nouveau d’autant que d’autres comme le film de Pedro Almodovar , Volver (dont je vous parlerai demain) pourrait largement y prétendre. Les applaudissements se contentent d’être respectueux comme ils le furent pour le pourtant remarquable Selon Charlie.
Bien sûr dans Selon Charlie de Nicole Garcia (photo ci-contre), pas d’hémoglobine, pas de pseudo-transgression. Juste des hommes face à eux-mêmes. Des hommes perdus, à un carrefour de leurs existences. Nicole Garcia nous emmène cette fois au bord de l’Atlantique, hors saison. Trois jours, sept personnages, sept vies en mouvement, en quête d’elles-mêmes, qui se croisent, se ratent, se frôlent, se percutent et qui, en se quittant, ne seront plus jamais les mêmes. Charlie c’est un enfant de 12 ans dont le père interprété par Vincent Lindon trompe sa femme. Charlie c’est celui qui observe, sait, regarde ces hommes égarés et finalement leur permettra de retrouver le chemin, le droit chemin qui a parfois un caractère quasi mystique Nicole Garcia: plan d'une Eglise vers laquelle semble se diriger Charlie lorsqu'il dénonce l'adultère de sonpère, bruits de cloches... Ce Selon Charlie pourrait être Selon Mathieu, d’ailleurs Mathieu c’est aussi le nom d’un des personnages. Charlie c’est l’adulte au visage d’enfant qui observe des enfants aux visages d’adulte. C’est cette part d’enfance, d’espoir, d’impression que tout peut arriver, que l’impossible n’est qu’une limite de la raison que son regard ,dur parfois, va faire ressurgir. Tous ces personnages ont un désir de fuite, de changement, tous sont des "hommes de solitude" comme ce squelette que le chercheur étudie, ainsi le qualifie-t-il en tout cas. Il faut un certain temps pour s’intéresser à ces personnages, pour les suivre, les comprendre, comme si Nicole Garcia voulait nous immerger dans leur solitude, nous faire éprouver leur égarement, nous renvoyer à nos propres questionnements, nos doutes, nos espoirs enfouis, comme si nous étions nous aussi face au regard réprobateur de Charlie. Tous ces personnages hésitent avant de courir au propre comme au figuré. Vers la liberté. Vers leurs réelles aspirations. Benoît Magimel est une nouvelle fois magistral dans ce rôle de professeur de biologie ayant abandonné ses rêves en même temps que sa carrière de chercheur, il mériterait une seconde fois le prix d'interprétation masculine. Un film aux interrogations universelles qui vous donne envie de prendre le destin en main, qui vous donne le Goût des autres n'étant d’ailleurs pas sans rappeler le film éponyme d'Agnès Jaoui particulièrement par le personnage de Jean-Pierre Bacri en politicien parfois ridicule mais finalement très touchant, et par la drôlerie et l’ironie qui émaillent le film et contribuent à lui donner ce ton particulier qui nous charme peu à peu. Progressivement la fragilité de ces hommes va affleurer, de prime abord antipathiques ils vont peu à peu susciter notre intérêt. Mon deuxième coup de cœur du festival qui pourrait aussi mériter le prix du scénario. Une fois la projection terminée, reste le souvenir d’un regard intense et profond, celui de Nicole Garcia sur l’existence et celui de Charlie. Un film d’une légère gravité ou d’une gravité légère dont la distance et l’inégalité reflètent le trouble des personnages et leurs vies dispersées mais qui ne sont pas à mon sens une faille scénaristique. Espérons que le jury sera plus sensible que les festivaliers à ce film qui sait prendre le temps et nous incite à le faire. Le festivalier n’aime pas prendre le temps. Il aime se perdre et s’en donner l’illusion dans tous les excès que la Croisette met à sa portée. Peut-être devrait-il écouter et essayer d’entendre Charlie…
Mon coup de cœur de la Sélection Officielle demeure le film de Ken Loach.
A suivre…(photo ci-contre, le palais des festivals encore à l'heure du Da Vinci code)