Comme toutes les disparitions dont l’annonce arrive ainsi qu’un naufrage ou un tremblement de terre, elle est vite relayée par d’autres espaces sombres. Il n’en manque pas. Cependant demain, Cora Vaucaire nous manquera encore. Toutefois demain, Cora Vaucaire chantera toujours.
Je ne vais pas prétendre l’avoir rencontrée du temps où elle créait des chansons sur les textes de Prévert, ni même quand elle chantait Brabara, Léo Ferré ou « Quand les hommes vivront d’amour », en gommant l’accent québécois de Raymond Lévesque. Non, je l’ai rencontrée en 1977 lorsque j’ai fait mon premier stage de tapisserie au CREAR au château de Montvillargene. Je murmure pour moi-même toutes ces paroles que je connais par cœur, à commencer par celles des « Feuilles mortes », pour continuer par « l’Echarpe » de Maurice Fanon que j’avais entendu interprétée par son auteur en bas de la Mouff dans un autre cabaret disparu.
Le CREAR, je crois l’avoir écrit un jour, était une invention de Marc Chevalier, l’un des initiateurs du cabaret de l’Ecluse quai des Grands-Augustins. Je garde bien enfermé, dans le bar à vins qu’ll est devenu et dans la mémoire des mariniers d’avant-guerre, le souvenir de Barbara et des Frères Ennemis.
Parmi les enseignants recrutés par Chevalier, Cora venait régulièrement donner des cours et chanter. Je ne l’ai plus revue depuis et pourtant on dit que sa voix était toujours aussi fluide à la fin du siècle dernier.
C’est ainsi que se constitue la plus précieuse de nos mémoires, celle qui encadre une tête penchée, des yeux en amande et une manière doucement sensuelle de caresser les mots, les uns après les autres, en entraînant un peu de la poésie du précédent à la surface du suivant.
Douce mémoire celle-ci !
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