Je n’ai pas commenté, et ne commenterai pas (sauf peut-être sous l’angle de l’humour) le premier débat télévisé des primaires. Il en ira probablement de même pour les suivants. La séance était suffisamment claire pour que chacun puisse se faire son avis sans s’encombrer de couches et de couches de commentaires superfétatoires, a fortiori en provenance d’un acteur engagé comme moi.
Quelques remarques en revanche sur la couverture médiatique des événements. Je me suis retrouvé en photo, avec quelques camarades en hollandisme, dans Libération pour illustrer l’article consacré au débat. Intéressant choix iconographique. On nous y voit dans le lieu où nous nous étions réunis pour suivre l’émission, l’air très concentrés, penchés et affairés sur nos smartphones. La légende : « Hier soir, à la Cantine, à Paris. Les partisans de François Hollande ont privatisé ce bar [sic] pour suivre le débat télévisé ». On repère derrière nous la retransmission de l’émission sur un grand écran. Cette photo est la seule qui illustre un article par ailleurs uniquement consacré au débat en lui-même, et qui n’aborde pas la question des soutiens de tel ou tel candidat. Et s’il n’épilogue pas sur notre activité, un reportage vidéo de M6 pour le journal du lendemain est plus prolixe : nous montrant également en train de pianoter sur nos téléphones, ce dernier évoque en voix off un moment de l’échange entre François Hollande et Martine Aubry qui « affole les tweets des militants ».
Plusieurs remarques sur ces micro-observations. L’illustration de l’article de Libération révèle un prisme journalistique naissant : la campagne 2012, ce serait les NTIC, les téléphones intelligents et – là c’est M6 qui complète – les réseaux sociaux. Dans la représentation du militant, le colleur d’affiche cède progressivement la place au geek qui fait campagne sur Internet. Il y avait, dans le QG hollandiste, bien d’autres photos à faire. Nous étions regroupés dans un coin pour des raisons techniques, minoritaires au sein d’un public majoritairement venu là pour suivre le débat dans une ambiance conviviale et sans avoir le nez plongé dans le web en même temps. Mais c’est cette image qui reste. On notera qu’elle a par ailleurs l’avantage de représenter ce qui est d’ordinaire difficilement représentable, à savoir l’activisme numérique. Comme l’a noté un confrère blogueur, chef de file de la ségosphère, la photo donne le sentiment d’un groupe de militants l’arme à la main, quand l’activisme en ligne consiste d’ordinaire en un très peu photogénique pianotage en solitaire devant son Mac ou PC.
Quant au reportage de M6, s’il montre aussi des soutiens de Hollande dans une attitude plus classique, il s’avance plus sur notre activité, qui aurait été simplement de tweeter. Qu’en savent les journalistes, qui ne nous ont pas posé la question ? Nous aurions pu aussi bien envoyer des textos ou des mails, ou poster des commentaires sur Facebook. Qu’importe : c’est bien le twitto et sa consœur la twitta qui sont en train de devenir des icônes de l’élection présidentielle 2012. Ce sentiment est conforté par une rapide recherche Google : on ne compte plus les articles de presse consacrés au suivi de l’émission sur Twitter, alors que le même suivi sur Facebook n’est semble-t-il jamais étudié. Et pourtant, que pèse en nombre d’utilisateurs Twitter à côté de Facebook ? Et que dire des blogs, toujours aussi actifs mais également passés à la trappe ?
Ces choix – ou biais – informationnels ne sont pas totalement absurdes. Oui, il y a déjà un fossé qualitatif entre le rôle du web et des NTIC en 2012 et celui qu’ils avaient en 2007. Oui, le débat sur Twitter est particulièrement vif, ne serait-ce que parce que le format court du tweet génère de facto un mode d’expression plus cinglant et moins contourné. Pour autant, je doute que les 5 millions de Français ayant assisté à l’émission l’aient fait le smartphone à la main, et que ceux qui l’ont effectivement fait aient complètement déserté Facebook. Si les modes passent, une technologie (et son usage) ne chasse pas l’autre ; j’ai vu passer ces derniers jours un certain nombre de mails collectifs ou de chaînes de mails appelant à participer aux primaires, et je les suspecte d’avoir au bout du compte plus d’impact que la même requête transitant par Twitter ou par Facebook.
Il y aurait une sociologie à faire des journalistes qui suivent cette campagne présidentielle. Les plus jeunes sont des digital natives forcément plus connectés que la moyenne, et penchant probablement plus vers Twitter que vers les autres réseaux sociaux, celui-ci étant censé être le plus orienté vers l’information pure et dure. Conjointement, on a vu leurs aînés débarquer en masse sur le réseau aux 140 caractères ces derniers mois, et tout spécialement au moment de l’affaire DSK. Cette forte présence sur Twitter contribue à son tour à y attirer les candidats et leurs soutiens : un tweet risque plus d’attirer l’attention des journalistes qu’un billet de blog ou statut Facebook. C’est une sorte de vertu auto-réalisatrice de la promesse d’influence de Twitter : à force que des professionnels des médias, puis des politiques (ou vice versa) croient en la force du réseau et l’investissent, il finit par obtenir un poids relatif bien supérieur à celui de son nombre réel d’utilisateurs.
Il sera intéressant de voir, au cours des prochains mois, si cette tendance se renforce, et si la tweet-campagne éclipse d’autres aspects de la présidentielle, ou du moins fait jeu égal avec eux.
Romain Pigenel